L'Orestie

du 3 décembre 1999 au 15 janvier 2000

L'Orestie

CLASSIQUE Terminé

L'Orestie est une vieille histoire, une histoire de sang versé et de vengeance interminable, cette de quelques destins humains emportés dans les remous de l'avenir qui se prépare. L'histoire d'un triomphe maudit dès son origine, souillé dans l'excès même de son éclat…

Georges Lavaudant semble avoir pris plusieurs années à préparer son approche du théâtre grec. En 1994, il avait intégré dans Lumières I un montage d’une vingtaine de minutes d’après Agamemnon, comme un rétroviseur tourné vers l’origine du théâtre. Peu après, il avait animé au Conservatoire un stage consacré aux trois Electre d’Eschyle, Sophocle et Euripide, avant de créer dans la Cabane de l’Odéon un spectacle intitulé Ulysse-Matériaux. Plus récemment enfin, en 1997, il a présenté au Petit Odéon Ajax/Philoctète, un spectacle d’une heure autour des héros de Sophocle qu’incarnaient deux des comédiens de sa troupe, Patrrick Pineau et Philippe Morier-Genoud. A présent, pour la première fois, Georges Lavaudant se confronte pleinement à la tragédie grecque en tant que " grande forme ". Pour cela, il a choisi de revenir à Eschyle et à l’unique trilogie que l’Antiquité nous ait transmise : l’Orestie, le dernier chef-d’oeuvre de l’aîné des Tragiques, auquel le jury athénien décerna le premier prix au concours de 458 avant notre ère.

L’Orestie est une vieille histoire, une histoire de sang versé et de vengeance interminable, celle de quelques destins humains emportés dans les remous de l’avenir qui se prépare. L’histoire d’un triomphe maudit dès son origine, souillé dans l’excès même de son éclat. Celle d’Agamemnon, le roi vainqueur à son retour de Troie, le père qui avait sacrifié sa fille à son sens du devoir et à son désir de victoire, et qui revint après dix ans au sommet de sa gloire pour trouver au fond de son propre palais une mort ignoble aux côtés de Cassandre, la prophétesse captive dont il avait fait sa compagne. Celle de son épouse Clytemnestre, qui attendit toutes ces années de lui faire enfin payer le sacrifice d’Iphigénie, mais qui accueillit entretemps Egisthe, son amant, dans la demeure royale dont elle avait la garde, confondant ainsi aveuglément en une seule rage sa tendresse maternelle, sa jalousie de femme et ses fureurs d’amante. Ce sont les derniers soubresauts d’une histoire de famille, celle des Atrides, dont la malédiction est reconduite de génération en génération jusqu’à toucher à son comble : malédiction de la lignée d’Atrée, qui dépeça les fils de son frère Thyeste pour les lui faire dévorer - d’Egisthe, l’unique survivant de ce festin sanglant, qui vengea son père en dressant à son cousin Agamemnon un piège mortel – d’Oreste, fils d’Agamemnon et petit-fils d’Atrée, qui frappa à son tour sa propre mère et son amant usurpateur. Une histoire d’hommes qui se tuent entre eux, où peu avant qu’elle ne s’achève " une femme au coeur d’homme "   intervient et tente d’imposer en vain sa propre conclusion.

C’est aussi l’histoire de la fin d’une telle histoire, le mythe qui prend congé de l’époque des rois en rompant le fil sanglant que les hommes s’obstinent à renouer. Car l’Orestie est contemporaine des premiers temps de la démocratie athénienne, de l’ouverture d’un espace jusque-là inouï : celui de la politique (comme dimension partagée de l’existence commune de la cité), celui du droit (comme expression des principes régissant les relations entre citoyens égaux, mais aussi comme nécessité de leur interprétation), celui de la philosophie (comme pratique d’une pensée qui s’expose à l’argumentation et ne tire son autorité que d’une telle exposition). Ou encore celui de l’histoire, comme récapitulation rationnelle du sens de l’activité effective des hommes. Cet espace critique, celui du débat et de l’incessante élaboration des règles et des valeurs qui en permettent la possibilité, est aussi celui où le théâtre grec s’est déployé. Revenir à ce théâtre n’est donc pas un acte de piété archéologique : nous habitons encore l’espace de l’ouverture duquel il porte témoignage, qui n’existe ou ne se transmet qu’en étant à chaque fois repris, interrogé comme une fondation sans fin. Et ce travail d’interrogation, que les Grecs furent les premiers à conduire, est lui-même constitutif de l’espace qu’ils nous ont légué.

Sur la scène du théâtre de l’Athènes démocratique, en 458 avant Jésus-Christ, l’Orestie donne à voir le moment où le dernier criminel, Oreste, avant de se condamner lui-même à l’exil, prend le peuple à témoin qu’un dieu l’avait poussé à mettre à mort sa mère. Car la loi non écrite du talion, loi antique et obscure des temps de la noblesse, était aussi dictée par des puissances immortelles, et les redoutables Erinyes, les chiennes divines surgies du sang des victimes, s’en portaient impitoyablement garantes. Passions, intérêts, devoirs, tous les motifs dont les hommes débattent et qui éclairent leurs actions expriment aussi les conflits qui opposent entre eux les dieux de différentes générations, ceux de l’ordre ancien contre les enfants de Zeus, les Erinyes contre Apollon et Athéna. Et sans les dieux nouveaux, Oreste serait livré sans rémission à sa souillure : il faut qu’Athéna fonde et préside un tribunal de citoyens, il faut qu’Apollon plaide la cause du matricide devant un jury de mortels, il faut enfin que la déesse vote en faveur de l’acquittement (" en faveur du père ", dit-elle) pour qu’Oreste soit arraché au destin des Atrides. Alors seulement celui qui a donné son nom à la grande trilogie d’Eschyle, le premier de sa famille à avoir assumé non seulement son crime mais la part d’horreur qui en retombe sur sa tête, sera sauvé – et avec lui, la légende de sa famille touche à son terme et se dissipe dans un passé révolu.

Reste le temps présent, et son théâtre où se réfléchissent ses origines, comme un espace où revenir encore et toujours, maintenant que les dieux sont absents, à la naissance nécessaire et tourmentée de la justice.

La tragédie n’est pas seulement une forme d’art : elle est une institution sociale que, par la fondation des concours tragiques, la cité met en place à côté de ses organes politiques et judiciaires. En instaurant sous l’autorité de l’archonte éponyme, dans le même espace urbain et suivant les mêmes normes institutionnelles que les assemblées ou les tribunaux populaires, un spectacle ouvert à tous les citoyens, dirigé, joué, jugé par les représentants qualifiés des diverses tribus, la cité se fait théâtre ; elle se prend en quelque sorte comme objet de représentation et se joue elle-même devant le public. Mais si la tragédie apparaît ainsi, plus qu’aucun autre genre littéraire, enracinée dans la réalité sociale, cela ne signifie pas qu’elle en soit le reflet. Elle ne reflète pas cette réalité, elle la met en question. En la présentant déchirée, divisée contre elle-même, elle la rend tout entière problématique. Le drame porte sur la scène une ancienne légende de héros. Ce monde légendaire constitue pour la cité son passé – un passé assez lointain pour qu’entre les traditions mythiques qu’il incarne et les formes nouvelles de pensée juridique et politique, les contrastes se dessinent clairement, mais assez proche pour que les conflits de valeur soient encore douloureusement ressentis et que la confrontation ne cesse pas de s’exercer. La tragédie, observe justement Walter Nestle, prend naissance quand on commence à regarder le mythe avec l’oeil du citoyen. Mais ce n’est pas seulement l’univers du mythe qui sous ce regard perd sa consistance et se dissout. Le monde de la cité se trouve du même coup mis en question et, à travers le débat, contesté dans ses valeurs fondamentales. Même chez le plus optimiste des Tragiques, chez Eschyle, l’exaltation de l’idéal civique, l’affirmation de sa victoire sur toutes les forces du passé ont moins le caractère d’un constat, d’une tranquille assurance, que d’un espoir et d’un appel, où l’angoisse ne cesse jamais d’être présente, même dans la joie des apothéoses finales. Une fois posées les questions, il n’est plus pour la conscience tragique de réponse qui puisse pleinement la satisfaire et clore son interrogation.

Jean-Pierre Vernant
Mythe et tragédie en Grèce ancienne,
Paris, Maspero, 1967, pp. 24-26

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