Ivanov

Cet homme ordinaire de la fin du XIXème siècle inventé par Tchekhov ressemble à nos contemporains tant il est pris dans la tenaille de la passivité et de l’inaction - de la dépression dirait-on aujourd’hui. Reprise de la très belle mise en scène de Philippe Adrien.

Une curieuse pièce
Révéler l’être humain
Lettre à Souvorine, Anton Tchekhov, décembre 1888

  • Une curieuse pièce

Ivanov est sans doute la pièce la plus curieuse de Tchekhov. Plus que Nina dans La Mouette, le personnage se trouve au centre même de l’œuvre : « J’avais l’impression que tous les hommes de lettres et dramaturges avaient ressenti la nécessité de dépeindre un être mélancolique et qu’ils avaient tous écrit instinctivement, sans avoir de point de vue. Avec mon projet, j’ai tapé à peu près dans le mille », déclare Tchekhov.

Ivanov, ce n’est pas seulement un caractère et un destin, mais une figure expressément située dans une dimension éthique, culturelle. « Jour et nuit, je souffre… ma conscience… je me sens horriblement coupable, mais où se situe exactement ma culpabilité, je ne le saisis absolument pas… » Ivanov relève à l’évidence d’une justice qui saurait apprécier l’ambiguïté et la complexité des êtres humains. Le questionnement mis en jeu par Tchekhov vaut pour son époque, mais aussi pour notre culture dans son ensemble. La figure nous apparaît encore aujourd’hui comme le type même du sujet masculin des temps modernes.

Texte français Philippe Adrien et Vladimir Ant, publié à L’Arche Éditeur.

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  • Révéler l’être humain

C’est vrai, La Mouette est emblématique du théâtre de Tchekhov, mais Ivanov est sans doute sa pièce la plus curieuse et la plus intéressante. Cela tient au personnage lui-même qui déjà, plus que Nina dans La Mouette, se trouve au centre même de l’oeuvre. Ivanov, ce n’est pas seulement un personnage avec un caractère, une psychologie et un destin singuliers, mais une figure expressément située dans une dimension éthique, culturelle tout à fait fondamentale. Ivanov est agnostique ; il apparaît néanmoins marqué, quasiment stigmatisé, par certaine interprétation du dogme qui porte à la souffrance et au sacrifice dans une quête infinie de Dieu. Chez un athée cette recherche vire à l’errance éperdue.

La conduite d’Ivanov placée sous le signe de l’injonction chrétienne : « Aime ton prochain comme toi-même », mérite bien sûr d’être interrogée. Comme souvent chez Tchekhov, mais ici de façon particulièrement aiguë, nous ne parvenons pas à juger selon les critères du bien et du mal. C’est ce qui nous touche au coeur. Ivanov relève à l’évidence d’une autre justice qui saurait apprécier l’ambiguïté et la complexité des êtres humains. Ce questionnement vaut pour l’époque de Tchekhov, mais aussi pour notre culture dans son ensemble. Tout commence par le texte. Grâce au concours de Vladimir Ant, j’ai le privilège d’un accès direct à l’original et traduisant La Mouette, nous sentions qu’il y avait fort à faire pour rendre à Tchekhov sa vérité, sa simplicité, sa vigueur en français. Nous anticipions déjà sur Ivanov

Ce théâtre de Tchekhov semble avoir été inventé pour les acteurs, oui, pour leur permettre au début du vingtième siècle et encore aujourd’hui de concevoir, de développer, d’affiner les techniques de jeu de l’acteur moderne.

Songeant à Ivanov, je me suis souvenu de Scali Delpeyrat qui a joué Hamlet dans ma mise en scène en 1997. Une évidence, et la perspective d’un travail exigeant pour incarner ce personnage qui nous apparaît aujourd’hui comme le type même du sujet masculin des temps modernes.

Philippe Adrien

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  • Lettre à Souvorine, Anton Tchekhov, décembre 1888

J’avais l’impression que tous les hommes de lettres et dramaturges avaient ressenti la nécessité de dépeindre un être mélancolique et qu’ils avaient tous écrit instinctivement, sans avoir de point de vue. Avec mon projet Ivanov, j’ai tapé à peu près dans le mille.

Ivanov est un noble, un universitaire qui n’a rien de remarquable ; c’est une nature émotive, ardente, qui se laisse facilement emporter par ses passions, honnête et droite comme la plupart des nobles cultivés. Il a vécu dans sa propriété et a siégé à l’assemblée territoriale. Cet homme se jette dans le feu de l’action ; les bancs de l’école à peine quittés, il prend sur ses épaules un fardeau trop lourd pour lui, se consacre aux écoles, aux paysans, à l’exploitation rationnelle, fait des discours, écrit au ministre, combat le mal, applaudit le bien, aime, non pas simplement et n’importe comment, mais toujours, ou des bas-bleus, ou des psychopathes, ou des juives, ou même des prostituées qu’il sauve…

À trente, trente-cinq ans, il commence à éprouver lassitude et ennui : « Si on me regarde de l’extérieur, c’est sûrement terrible, je ne comprends pas moi-même ce qui se passe en moi… » Lorsqu’ils se retrouvent dans une telle situation, les gens étroits d’esprit et malhonnêtes en rejettent en général toute la faute sur le milieu, ou bien ils s’installent dans le groupe des « hommes en trop  », des « Hamlet  », et se contentent de cela. Ivanov, lui, parle d’une faute qu’il aurait commise, et le sentiment de culpabilité croît en lui à chaque nouveau choc  : « Jour et nuit ma conscience me torture, je sens que je suis profondément coupable, mais en quoi consiste exactement ma faute, je ne le comprends pas… ».

À l’épuisement, à l’ennui et au sentiment de culpabilité, ajoutez encore un ennemi. C’est la solitude. Personne n’a rien à faire de ce qu’il ressent et du changement qui s’opère en lui. Il est seul. De longs hivers, de longues soirées, un jardin désert, des pièces désertes, un comte bougon, une femme malade… nulle part où aller. C’est pourquoi à chaque minute le torture la question : que faire de soi ? Des gens comme Ivanov ne résolvent pas les problèmes, mais ploient sous leur poids. La déception, l’apathie, la fragilité nerveuse et la fatigue sont la conséquence inévitable d’une trop grande exaltation, or cette exaltation est le propre de notre jeunesse.

Passons au docteur Lvov. C’est le type même de l’homme honnête, droit, ardent, mais étroit d’esprit. Il regarde chaque événement, chaque personne à travers un cadre étroit et juge de façon préconçue. Ivanov et Lvov se présentent à mon imagination comme des hommes vivants. Je vous le dis en mon âme et conscience, sincèrement, ces hommes ne sont pas nés dans ma tête de l’écume de la mer, d’idées préconçues, d’ « intellectualisme », par hasard. Ils sont le
résultat de l’observation et de l’étude de la vie.

Si le public sort du théâtre avec la conviction que les Ivanov sont des salauds et les docteurs Lvov de grands hommes, alors il me faudra prendre ma retraite et envoyer ma plume au diable.

Tout ce que Tchekhov a voulu dire sur le théâtre, traduction Catherine Hoden, l’Arche Éditeur, 2007

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