Ida

du 1 au 23 juin 2007
1h30

Ida

  • De : Baka Ròklò
  • Mise en scène : Ruddy Sylaire, Noël Jovignot
  • Avec : Baka Ròklò
Lorsque la télévision, gorgée de publicités gourmandes, s’en vient battre le ventre vide d’un chômeur dont le seul amour s’en est allé en quête d’un autre ailleurs et qu’alentour le pays bruisse de son assourdissant chaos de misères, il ne reste que les cris exhalés pour conjurer le désespoir. Le texte poétique et intense d'un jeune auteur et comédien haïtien à découvir !

Combat de fièvres et de biens
« Le Théâtre, ce projet commun de dire non ! »

  • Combat de fièvres et de biens

Lorsque la télévision narquoise, gorgée de publicités gourmandes, s’en vient battre le ventre vide d’un chômeur dont le seul amour s’en est allé en quête d’un autre ailleurs et qu’alentour le pays bruisse de son assourdissant chaos de misères, il ne reste que les cris exhalés pour conjurer le désespoir.

Dès lors, dans la solitude de son champ de paroles, le héros de Baka Ròklò, le diablotin haïtien rebelle, apostrophe de ses mots le long cortège des douleurs d’une mémoire insoumise. Et de se mêler, aux confins du souvenir, la mère et son image obsédante, d’une tendresse à faire rêver l’enfance qui n’est plus, les amis en dérive, les turpitudes d’un maître d’école pervers, l’ombre tenace d’un tonton macoute dont la fille était si belle…

Au loin, à l’horizon du néant, il y a la tentation d’un artifice, l’illusion d’une église, la facilité des ivresses. Et la folie qui guette. Et l’idée du partir... Mais les mots enflés d’élans et d’envies sortent vainqueurs. Le dramaturge est là, poète-marron, confondu à son personnage, amarré à son île, arc-bouté aux lendemains. A son tour, devenu poteau-mitan d’un temple païen du possible alors que tout semblait dire qu’il n’y avait plus que le rien.

Ainsi, lorsque juste avant la nuit, le doigt fou des hommes montre la fin, quand la maladie et la mort rôdent dans un ciel rapace, seuls les mots insurgés paraissent en démesure de braver l’impossible.

Bernard Magnier

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  • « Le Théâtre, ce projet commun de dire non ! »

Bernard Magnier : Pouvez-vous nous dire où et comment est née l’idée de votre spectacle ?
Baka Roklo : Ida, d’abord n’a pas été conçu comme un projet prédéfini. Un projet d’écriture préétabli, avec un plan, comme je peux en faire aujourd’hui. Comme on en fait tous froidement quand on devient, quand on décide de devenir un créateur, un écrivain consenti. J’ai écrit Ida, mais, à vrai dire, ce texte est presque venu tout seul, guidé par l’urgence. C’était en quelque sorte un cri de rage. Je mourais d’envie de cracher tout le mal que je portais en moi sur mon île. Avec, bien sûr, cet amour démesuré que j’ai pour elle et… sa longue souffrance.

Pourriez-vous en expliquer le titre ?
Le titre m’est venu après. Beaucoup d’autres l’ont précédé, nombreux. Au fil des lignes, j’avais décidé que le personnage devait finir par mourir après avoir subi les souffrances les plus ignobles qu’un homme du «XXè siècle» est susceptible de subir. C’est ainsi que, dans la longue litanie des peines, le mal du siècle, le sida, a fait son entrée dans le texte Dans sa misère totale, dans sa déshumanisation causée par la pauvreté, la désillusion, le personnage accepte d’être cobaye de quelques médecins de passage dans son pays. De cela est né le titre, Ida, qui est le nom d’une femme pour laquelle on devine que le personnage est prêt à tout… Ida comme arraché de SIDA.

Pourquoi avoir choisi la forme du solo, du monologue ?
Le monologue, dialogue intérieur ou déclaration intra personnelle, me paraît la forme la plus appropriée, la moins artificielle pour un personnage dans cet état de misère, de désillusion et donc… de solitude.

Vous donnez une place déterminante à la mère dans ce texte. Quel rôle lui attribuez-vous  ?
La mère est un poto mitan, ce pilier central dans tout temple vaudou. Vers lequel toutes les prières sont adressées. Autour duquel toutes les plaintes, toutes les libations se tiennent. On doit tout à une mère. En Haïti, en tout cas, où la majorité des pères abandonnent leurs enfants, sa place est primordiale. Alors, vous imaginez, le jour où ce poteau disparaît, et qu’il ne reste plus rien. Il n’y a plus de prières possibles. Il n’y a même plus de vie. C’est en ces termes que j’ai essayé de la camper, j’espère avoir réussi.

Vous signez votre travail Baka Ròklò. Ce surnom a-t-il une signification particulière ?
Cela vient de mon enfance. Petit, j’étais grognon, récalcitrant, retors. Je me défendais des attaques des grands. Je me révoltais contre tous ceux qui voulaient lever la main sur moi. Dans la famille, j’étais l’enfant qui ne se laissait pas faire, j’étais un petit diable, un ròklò comme on dit en créole. Je ne me défendais pas seulement, je défendais les autres petits aussi. Ensemble, on mettait en défi les grands d’oser nous frapper. J’étais l’aîné, je prenais ça très au sérieux. C’est une sérieuse responsabilité de devenir grand soi-même dans la jungle humaine. En dirigeant maintenant une compagnie, j’ai souvent l’impression de continuer à faire la même chose, de continuer à soulever le nombre contre les abus de toutes sortes. C’est ça, pour moi, le théâtre. Ce projet commun de dire NON.

Comment s’est effectuée votre venue au théâtre, à la littérature ?
En allant à la bibliothèque. Ils ont eu un jour la sale idée d’y organiser un atelier. Je pense que je n’en suis jamais sorti. Le diable m’a empoigné.

Depuis quand avez commencé à écrire ?
A onze ans. Et c’était pour réécrire la Bible, du moins des passages bibliques. Je voulais adapter tous les sermons de Jésus. Vaine entreprise dans une classe primaire où mes camarades m’ont vite transformé en petit écrivain public. J’étais mieux à écrire pour eux leurs lettres d’amour, leurs acrostiches. En y pensant, aujourd’hui, je regrette de n’avoir pas continuer avec cette première entreprise. La Bible est l’œuvre de fiction la plus complète. On ne fait tous que la réécrire. Peut-être parce que la fin et le début de l’homme y sont relatés.

Avez-vous commencé très tôt à lire ?
J’ai commencé très tard à lire vraiment. C’est-à-dire, vers à peu près l’âge de seize ans. Avant, j’aimais les livres tout simplement. Je manifestais un amour démesuré pour les livres mais sans jamais les lire pour autant. J’ai écrit un texte là-dessus d’ailleurs. C’était incroyable, malgré mes maigres économies, j’en achetais beaucoup, pour les conserver, les admirer, les caresser. Et tout ça, juste par amour de ce qui pourrait s’y trouver. Sans pendant longtemps me mettre vraiment à les déchiffrer.

Quel a été le déclic ?
Un jour, j’ai lu Démian de Hermann Hesse, ensuite Des souris et des hommes de John Steinbeck. Avec ces deux livres, j’ai appris les secrets contenus dans les pages. Et cela m’a donné goût pour continuer.

Quelles ont été vos autres lectures déterminantes  ?
Curieusement, un livre d’histoire qui n’a rien avoir avec les fictions de Hesse et de Steinbeck, Histoire de l’anarchisme… mais je dois dire que je lisais tout à la bibliothèque de l’Institut français de Port-au-Prince, à l’époque elle était assez étoffée. Je lisais de la philosophie, de la psychologie, de l’histoire, de la politique, de l’anthropologie, des livres sur l’art...

Des romans également ?
Le roman, c’est de nos jours le genre le plus prisé. De fait, je tiens toujours à être surpris par un romancier, par son inventivité, pour continuer à le lire. Alors, comme œuvre contemporaine, je ne trouve jusqu’à présent à mon goût aucun autre roman français qui dépasse en virtuosité Les choses de Georges Pérec. Quelle maîtrise ! Quel joueur et quel artiste. C’est une œuvre inclassable. Et puis, il y a les romanciers latinos. Plus particulièrement un auteur cubain mort très jeune, Reinaldo Arenas. Son livre, Le puits, est une leçon du genre. En attendant le vote des bêtes sauvages de Kourouma est une autre violence faite au genre romanesque. Violence bénéfique et admirablement réussie.

Qu’en est-il du théâtre ?
Le théâtre, c’est très simple. Avant, bien sûr, c’était Ionesco,Beckett, Adamov. Et tout ce qu’il y avait de théories sur le théâtre dans le monde entier. La collection «Les voies de la création théâtrale» du CNRS m’a été d’une aide précieuse. Moi, qui n’avais pas de théâtre dans mon pays, je me nourrissais allègrement des expériences de Peter Brook, de Tadeuz Kantor, de Grotowski, de Meyerhold… Et un jour, quelqu’un m’a fait découvrir Dans la solitude des champs de coton et ce fut la chasse. Il me fallait lire tout Koltès. Parce que là, ça me parlait de moi, de mon époque, de mon monde… Si avant, c’était le roman, aujourd’hui, je prends plus soin de lire du théâtre. Brecht, Hanokh Levin, des anciens, des contemporains, qu’importe ! Je trouve que les dramaturges ne sont pas assez lus. Alors de ma petite personne, je contribue…

La poésie ?
Mes quelques poèmes préférés sont Les conquérants de José Maria de Hérédia, Amers de Saint-John Perse. Mais je suis sublimé quand je lis Césaire ou René Philoctète, l’un des plus grands poètes haïtiens de tous les temps. On ne peut être aussi certain vis-à-vis des poètes et de la poésie. Comme on ne peut être certain vis-à-vis de son sang, de l’amour. La poésie est essence. Elle est sensation. On ne peut vraiment pas la déshabiller.

Quels sont parmi les écrivains haïtiens ceux qui ont joué un rôle dans votre venue à l’écriture ?
J’ai découvert curieusement "ma littérature", celle d’Haïti, après Le chercheur d’or de Le Clézio, bien plus tard aussi après La prisonnière de Proust. Obnubilé par la passion dont témoignaient les amis comédiens pour les poèmes de Depestre, de Philoctète, etc. Cette découverte m’a ré-ouvert les yeux sur le peu que je connaissais jusque-là de la littérature française et m’a fait ainsi apprendre que les (mes) meilleurs écrivains de langue française ne sont pas nés en France et qu’ils s’appellent Saint-John Perse, Jacques-Stéphen Alexis, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Aimé Césaire, Beckett, Camus, Ionesco…

Comment expliquez-vous l’étonnante vitalité créatrice des écrivains haïtiens ?
Cette étonnante créativité n’est pas seulement dans la littérature. Elle est moins dans la littérature que dans la peinture par exemple. Haïti est pour moi le pays de la peinture. C’est effarant le nombre de peintres qu’il y a par kilomètre carré chez nous. Tous dans un style différent et tous aussi inventifs et surprenants les uns que les autres. Je tenterais de l’expliquer par ces sensations fortes qu’offre à tout moment, cet étonnant pays qui est, à la fois, un émerveillement, mais aussi un choc qui horrifie par son histoire et son devenir. Aucun pays selon moi n’est comme Haïti (c’est un souhait plus qu’une réalité car je sais qu’il y en a d’autres) où on peut vivre à égale distance et dans un même temps le pire et le beau. Le bleu incommensurable de la mer et l’insolence des tas de fatras et des eaux puantes. Le courage des mères et la bassesse des politiciens…

Pouvez-vous nous dire en quoi cette situation est génératrice de vitalité et de talents artistiques ?

Parce que peut-être l’art (la création) est une porte ouverte à l’éternité. Peut-être parce que l’art reste tenace face à la destruction. Je ne veux pas dire que l’art ne peut naître que dans un pays comme Haïti, que dans la merde, dans la guerre, dans la misère… Que les créateurs sont plus prolifiques et plus inventifs dans les pays où ça va mal. Je ne suis pas assez sadique pour le croire. Et puis, mon art vit très mal dans cet état d’enlisement dans lequel patauge mon pays. Je crains que cela l’étouffe, le rende rachitique et peut être pas assez ouvert. De toute façon, il n’y a pas que le tiers-monde qui gagne en absurdités, en effarements. Le monde actuel est dominé par l’inertie de l’esprit. C’est plus que jamais quartier libre aux radicaux. On est dans un monde totalement déshumanisant. Les frontières se ferment, les pays se surprotègent dans un monde à prétention globalisante. Et la démocratie reçoit de sacrés coups ! Elle montre enfin ses fissures et ceci dans des pays qui en donnaient jusqu’à présent de très bons exemples. Par contre, bizarrement, comme si de rien n’était, on continue à créer. C’est étonnant. Comme Dostoievski, dans le plus noir des cauchemars, on continue à gratter. A créer. A faire. A faire que la beauté, le sens règnent sur la bêtise et sur l’absurdité.

Propos recueillis en avril 2007 par Bernard Magnier.

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  • La presse

"Haïti apparaît dans toute sa complexité, ses "dérives", ses "ivresses" et sa "démesure" à travers la poésie de Baka Roklo, un des créateurs les plus originaux de son pays par ses textes incisifs et sa technique corporelle si particulière." Catherine Robert, La Terrasse, juin 2007

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Spectacle terminé depuis le samedi 23 juin 2007

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