Geschichten aus dem Wienerwald (Légendes de la forêt viennoise)

du 4 au 6 octobre 2007
3 heures avec entracte

Geschichten aus dem Wienerwald (Légendes de la forêt viennoise)

Marianne, fille d’un fabriquant de poupées de Vienne, est promise à Oscar, riche boucher du quartier. Mais au cours de la cérémonie de fiançailles, elle tombe amoureuse de l’un des invités, Alfred, bookmaker lâche et désœuvré… Le travail de réactualisation mené par Christoph Marthaler sur Les Légendes de la forêt viennoise souligne l’acuité d’Horváth et sa vision de l’inébranlable marche au chaos.

Histoire
Humains trop humains
Valeurs culturelles
Note de l'auteur

Spectacle en allemand surtitré en français.

  • Histoire

Marianne, fille d’un fabriquant de poupées de Vienne, est promise à Oscar, riche boucher du quartier. Mais au cours de la cérémonie de fiançailles, elle tombe amoureuse de l’un des invités, Alfred, bookmaker lâche et désœuvré…

La description de cette humanité veule, enivrée de valses viennoises et minée de conventions hypocrites, terreau fécond du nazisme à venir, et les portraits sans concession des déclassés de ce no man’s land social de l’Allemagne et de l’Autriche des années 1920, allaient valoir à Horváth un exil dont il ne reviendrait pas. Celui dont les œuvres nourrirent les flammes des autodafés, auteur «dégénéré », trouva la mort au printemps 1938, à 37 ans, écrasé, lors d’un orage, par un arbre sur les Champs-Élysées.

Le travail de réactualisation mené par Christoph Marthaler sur Les Légendes de la forêt viennoise souligne l’acuité d’Horváth et sa vision de l’inébranlable marche au chaos.

Avec l’aide de la décoratrice Anna Viebrock, il transpose l’action de ces histoires de la forêt viennoise, mettant en scène les commerçants et habitants d’une même rue de la capitale autrichienne, dans la cour d’un immeuble de Marzahn - faubourg de Berlin-Est aujourd’hui particulièrement éprouvé par le chômage et foyer vivace de l’extrême droite - ou dans le hall d’un vieux cinéma de Vienne.

Rejetés sur le bas-côté de l’Histoire, exclus du développement économique, les personnages tragi-comiques de Horváth sont les ancêtres de ces vieux Viennois ou de ces « Ossis » que l’on peut voir aujourd’hui errer par les rues. Ceux-là qui cherchent refuge dans un passé idyllique et imaginaire, dans les valeurs et les concepts d’un temps où leur monde n’était pas encore en lambeaux.

  • Humains trop humains

« L’air résonne d’harmonies… comme si mourait inlassablement la valse de Johann Strauss, Légendes de la forêt viennoise. Le beau Danube bleu passe tout près. » Ces indications d’Ödön von Horváth au tout début de la pièce ressemblent à s’y méprendre à la description d’un spectacle de Christoph Marthaler. Cet enfant terrible du théâtre suisse, ex-directeur du Schauspielhaus de Zurich, est en effet autant musicien que metteur en scène et sait comme personne composer des spectacles associant intimement musique, chant et théâtre. D’une telle œuvre, quasiment écrite pour lui, il ne pouvait manquer de faire son miel.

Il y a d’abord cette atmosphère suavement désuète. Un parfum de nostalgie flotte dans l’air. Le temps s’étire doucement, se relâche ; alors, on se laisse aller, on s’abandonne. Bien sûr, aujourd’hui, les choses n’ont plus tout à fait le même goût. Avant c’était mieux. Le boudin, par exemple, était meilleur, comme le fait remarquer une petite fille au garçon boucher Havlitchek, lequel se verrait bien du coup lui planter son couteau en travers de la gorge à cette « petite garce », pour lui faire comprendre un peu... D’une fenêtre s’échappent des notes de musique, la valse de Strauss jouée sur un piano déglingué.

La pièce, Légendes de la forêt viennoise, a été créée à Berlin en 1931. Elle met en scène des personnages de la classe moyenne déclinante à Vienne sur fond de crise économique et de montée du nazisme. L’un d’eux s’appelle Zauberkönig, ce que l’on pourrait traduire en français par « roi des magiciens ». Un nom ironique, bien sûr, car il n’y a pas de magie dans ce tableau désenchanté d’une société repliée sur elle-même, sinon peut-être dans le rêve d’un passé qu’on se plaît à enjoliver – et dans la mise en scène limpide de Christoph Marthaler. Le décor d’Anna Viebrock situe la pièce dans une arrière-cour, à l’intérieur d’un café berlinois ou encore dans le hall d’entrée d’un cinéma viennois où ne sont projetés que des vieux films.

Des espaces où s’affairent mollement ces hommes et ces femmes apparemment pleins de convictions mais au fond parfaitement inconséquents dans leur flegme fataliste, toujours prêts à s’accommoder de n’importe quelle situation. Ils sont faibles, bas, cyniques ; on dirait que rien n’a de prise sur eux. Ils sont en même temps tellement humains qu’ils prêtent à rire. Mais c’est un rire troublé devant leur bêtise abyssale qui rappelle ce qu’Horváth écrivait de son théâtre : « Toutes mes pièces sont des tragédies – elles ne deviennent comiques que parce qu’elles sont inquiétantes. Vive l’inquiétude ! ».

Hugues Le Tanneur

  • Valeurs culturelles

Rien ne nous donne autant la mesure de l’infini que la bêtise humaine.

"On rit face à ce triste inventaire zoologique", écrivait un critique après la création mondiale de la pièce à Berlin en 1931. Face à ces histoires de classe moyenne en plein déclin, à ces gens en plein no man’s land social ardents défenseurs des valeurs familiales. Ödön von Horváth nous relate leurs tentatives de survie tragi-comiques à la fin des années 20, époque de grave crise économique, de paupérisation, dans laquelle bon nombre, devenus superflus et inopérants, ont constitué un creuset électoral idéal pour les nazis. Ces phénomènes de société d’alors nous apparaissent aujourd’hui d’une actualité surprenante.

Horváth a écrit cette pièce entre Berlin et Vienne. Si l’on reconnaît dans ses personnages des Viennois types, c’est parce que, outre le fait qu’ils parlent le dialecte, ils ont avant tout le temps – ou se l’octroient – ils sont fatalistes, flegmatiques et préfèrent par-dessus tout s’abstenir plutôt qu’agir. On doit absolument laisser cette pièce populaire (écrite d’ailleurs pour se moquer du théâtre populaire viennois en tant que genre) en suspens entre les lieux et les époques.

Anna Viebrock a créé un espace en parfaite harmonie avec la mise en scène de Marthaler à la Volksbühne. Une arrière-cour à Marzahn. L’intérieur d’un bistrot berlinois. Le hall d’entrée du cinéma Belaria à Vienne. Des gens âgés se regroupent là où on ne projette que des vieux films dans lesquels les capitaines de cavalerie ont des comportements qui n’avaient même plus cours dans le Vienne de la fin des années 20. Dans le Berlin d’aujourd’hui, on repense également volontiers au passé en le transfigurant et, peu importe si pour les uns, il s’agit d’une RDA rêvée et pour d’autres, d’une Prusse jamais vécue. On fuit parce qu’on ne se sent pas à l’aise dans le temps présent, parce qu’on a peur et parce qu’on n’arrive pas vraiment à prendre part à la vie.

Dans cette autre grande pièce populaire qu’est Casimir et Caroline, les gens rêvent de futur, de zeppelins, de grands 8, d’industries du divertissement qui les emmènent vers des pays lointains imaginaires. Alors que dans Légendes de la forêt viennoise, ils rêvent d’un passé tout aussi imaginaire, centré principalement sur la nostalgie patriotique, les valeurs culturelles et la religion. Aujourd’hui, dans les déclarations du NPD, on pourrait pratiquement remplacer à chaque fois le mot « Vienne » par le mot « patrie » ou « nostalgie patriotique ». En fait tous ces gens aspirent à mourir, sans le savoir, en buvant beaucoup, en baisant ou en en parlant, en mettant en œuvre toute une panoplie de refoulements substitutifs, en se perdant dans les vapeurs d’alcool, en moralisant et en assassinant un petit enfant. Ce sont des individus bornés qui, pour cette raison, s’adaptent à toutes les circonstances, s’en accommodent et se croient intelligents.

"Rien ne nous donne autant la mesure de l’infini que la bêtise humaine", a écrit Horváth à propos de sa pièce. Cette bêtise qui nous empêche encore et toujours d’estimer notre condition à sa juste valeur. Être dans l’illusion permet de tout supporter – du moins pendant un moment. On peut même se vanter d’un vague sens civique, tout en se devant d’évincer l’autre comme un concurrent potentiel. "Les phrases embrouillées de ses personnages me donnent froid dans le dos ; ces prototypes de méchanceté, d’incapacité, de désarroi dans une certaine société…" écrivait Peter Handke en 1968 à propos d’Horváth, qu’il préférait d’ailleurs à Brecht, "… leur entente sur la base d’un dédain malveillant, leur tendre et étroit attachement scellé par un mépris réciproque."

On devra sans doute aller se balader dans différents lieux et époques si l’on explore les Légendes de la forêt viennoise à la lumière du Berlin d’aujourd’hui où, pour des raisons multiples, on a aussi la nostalgie d’un « avant », d’un « statut perdu », comme c’était le cas à Vienne après la première guerre mondiale. Il faut superposer les deux films, notre expérience d’aujourd’hui et l’autre, dans une même conjoncture sociale, mais dans un tout autre climat.

Anna Viebrock a composé un espace mêlant des lieux viennois et berlinois à diverses époques. Dans une banlieue de Berlin existe un îlot préservé où l’on se sent comme à la campagne, un bistrot au fond d’une cour qui s’appelle À la ferme joyeuse. On voit aujourd’hui partout des boutiques désolantes entassées les unes contre les autres. Les boutiques qui ont du charme sont, elles, relativement peu nombreuses. Il existe encore beaucoup de bureaux de tabac, principalement à Vienne.

Dans le Berlin d’aujourd’hui, la laideur architecturale de l’espace public est notoire : plaques de béton, crépis gris des façades, désespérantes fenêtres aux rideaux tirés, enseignes publicitaires vantant la bière Schultheiss. À l’inverse, le cinéma Belaria de Vienne, avec ses lampes, ses papiers peints, ses photos, représente l’espace privé : des gens âgés viennent y voir et revoir les films qui les ont enthousiasmés dans leur jeunesse et les ont aidé à surmonter l’âpre quotidien de la crise d’alors.

Les Légendes de la forêt viennoise deviennent alors elles aussi un film (elles ont d’ailleurs été plusieurs fois adaptées au cinéma, entre autres avec Helmut Qualtinger et Hans Moser). Ce film ne nous transporte pas dans un monde imaginaire mais simplement dans un autre tout semblable, sauf qu’il s’y trouve un roi magicien, qui s’appelle justement comme ça, et une jeune fille qui n’a pas eu le droit d’apprendre un métier, qui a envie de s’enfuir, croit à l’amour pendant quelque temps puis est forcée en fin de compte de revenir à la réalité.

Stefanie Carp Dramaturge

  • Note de l'auteur

"Vous me questionnez sur mon pays natal, je réponds : je suis né à Fiume, j’ai grandi à Belgrade, Budapest, Presbourg, Vienne et Munich et j’ai un passeport hongrois – mais « une patrie » ? Je ne connais pas. Je suis un mélange typique de l’ancienne Autriche-Hongrie : magyar, croate, allemand et tchèque – mon nom est magyar, ma langue maternelle est l’allemand. C’est de loin l’allemand que je parle le mieux, je n’écris qu’en allemand, j’appartiens donc au cercle culturel allemand, au peuple allemand.

Par contre le concept de patrie, falsifié par le nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple. Donc, comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas de pays natal et je n’en souffre évidemment pas, je me réjouis au contraire de ma situation d’apatride, car cela me délivre d’une sentimentalité inutile. Mais je connais évidemment des paysages, des villes et des chambres, où je me sens chez moi, j’ai aussi des souvenirs d’enfance et je les aime comme tout un chacun. Les bons et les mauvais…

Ma génération ne connaît la vieille Autriche-Hongrie que par ouï-dire, cette double monarchie d’avant-guerre avec ses deux douzaines de nations, où le patriotisme de clocher le plus borné côtoyait l’auto-ironie résignée, avec sa culture ancestrale, ses analphabètes, son féodalisme absolutiste, son romantisme petit-bourgeois, son étiquette espagnole et sa dépravation douillette.

Ma génération, c’est bien connu, est très méfiante et s’imagine être sans illusions. Dans tous les cas, elle en a considérablement moins que celle qui nous a conduits vers des temps meilleurs. Nous sommes dans l’heureuse position qui nous permet de croire qu’on peut vivre sans illusions. Et cela pourrait être notre unique illusion. Ce qui est vermoulu doit s’effondrer et si moi-même j’étais vermoulu, je m’effondrerais et je crois que je ne verserais aucune larme".

Ödön von Horváth, 10 novembre 1927

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Spectacle terminé depuis le samedi 6 octobre 2007

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