- La réalité d’être de jeunes Françaises des quartiers populaires
Deuxième volet d’une trilogie intitulée Face à leur destin, F(l)ammes, réalisé avec des jeunes femmes issues des quartiers populaires, fait suite à Illumination(s) qui en constituait le versant masculin. Qui sont-elles ? Nées de parents immigrés, elles sont expertes de leur réalité, de leur féminité. Explorer leur moi intime, comprendre leurs doutes, leurs peurs et leurs espoirs : telle est l’ambition de ce projet.
« Une énergie solaire se dégage de F(l)ammes, de ces femmes dans la fleur de l’âge, rageuses, exaltées ou douces. À en rire parfois, en pleurer d’émotion aussi, devant cette danse de la vie et du doute. » Libération
« Bribes de vie, instantanés d’émotions, petits drames ou grandes aspirations… En tchatchant, chantant, dansant, elles racontent tout de cette France où elles ont pris racine et où s’écrit leur futur. » Emmanuelle Bouchez, Télérama
« F(l)ammes est sans aucun doute le spectacle qu’on n’en finissait plus d’attendre ! Ce n’est pas souvent que le public accueille un spectacle avec une telle chaleur humaine ! » Joëlle Gayot, France Culture
« Dans F(l)ammes, chacune dit, chante, danse ses colères et ses envies, dénonce les injustices de tous les jours, les petites brimades et les claques brûlantes, réclame la tolérance… » Gérald Rossi, L’Humanité
« Un spectacle fort en gueule et riche en émotions, qui culbute les identités. On pleure parfois, on rit beaucoup. » Pierre Pinelli, Télérama
« Chacune d'entre elle vient face au public, devant le micro, et réussit le tour de force, par ses mots, et ce qui irradie d'elle, intelligence, sensibilité, force vitale, de nous captiver d'emblée (...) il y a du chant, des danses, de la castagne, de la comédie (...) chacun de ces récits nous touche et nous ouvre. » Jean-Luc Porquet, Le canard enchainé, 1er novembre 2017
Ma mère, après s’être longtemps tue, résume en quelques mots le parcours qui l’a menée de sa terre natale l’Algérie à la France : « Mon mari s’est vendu pour s’acheter une femme et l’emmener se perdre avec lui ». Ce sentiment de s’être perdue reste tenace chez elle, même si elle répète à qui veut bien l’entendre qu’elle a abandonné l’idée de retourner vivre là-bas. Faire résonner son silence dans la bouche de jeunes femmes dont les parents ont vécu l’exil était le meilleur moyen de le mettre en perspective avec le monde d’aujourd’hui. En effet, l’histoire de l’immigration est scandée par de grands moments dont la question des femmes semble être le point aveugle. Pendant longtemps cette partie de la population fut considérée comme un enjeu mineur. Etant la partie la moins visible « des minorités visibles », les milieux médiatiques, politiques, et même scientifiques ont généralement une attitude compatissante, voire paternaliste à l’égard de ces femmes qui ont accompagné leur époux, de même qu’à l’égard de leurs filles ou petites-filles nées dans ce pays. Comment décoder ces modes de pensées et sortir de ces représentations omniprésentes dans les esprits, tel a été l’un des enjeux de mon projet artistique.
Si les jeunes hommes d’Illumination(s) incarnaient des agents de sécurité qui énonçaient aux spectateurs, non sans dérision : « Nous sommes là pour vous protéger de nous-mêmes », les jeunes femmes des quartiers populaires ne peuvent pas se prévaloir d’être des agents dangereux pour l’ordre public. Leur réalité est plus complexe que ne la présentent les discours sociologiques, journalistiques, politiques. Explorer leur moi intime, comprendre leurs doutes, leurs peurs, les difficultés auxquelles elles font face, faire état des promesses dont elles sont porteuses, sont les moteurs de cette aventure humaine et artistique.
Pendant deux années, j’ai mené dans plusieurs villes des rencontres sous forme de stages avec des jeunes femmes nées en France de parents immigrés. Ces rencontres ont été passionnantes, elles ont été le lieu où chacune a pu parler d’elle en toute liberté et aborder les sujets les plus intimes. Les histoires et les mots se sont échangés entre nous dans la dynamique généreuse du don et du contredon. Et c’est par ce chemin de la parole et des émotions partagées que ma première réussite aura été de rassembler une troupe de dix jeunes femmes qui ont pour nom Anissa Aouragh, Ludivine Fatoumata Binta Bah, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Haby N’Diaye, Inès Zahoré. Elles sont intelligentes, sensibles, passionnées, viriles, courageuses et si pleines de vie. La puissance volcanique qui jaillit d’elles est tellurique, c’est une flamme qui m’a brûlé, une lame de fond qui m’a soulevé de terre et fait danser tel un fétu de paille au-dessus de leur tête. Alors que j’avais la conviction intime que ce spectacle événement était d’une nécessité absolue, je me suis très vite retrouvé face à une interrogation essentielle : comment cette belle idée que j’avais en tête pouvait se concrétiser ? Comment allais-je parvenir à exprimer sans misérabilisme, sans sentimentalisme, sans simplification, ce qu’elles portent en elles de grâce, de beauté, d’intelligence, d’énergie et de détermination ? Ma seule réponse aura été celle-ci : apprendre à les aimer du fond du coeur pour les écrire sans les trahir.
Aussi ce spectacle n’est pas un documentaire, ni une pièce cherchant à représenter la vie réelle, c’est un poème-lettre d’amour fait de chair et de mots où la singularité de chacune est transcendée et s’ouvre sur l’universelle condition humaine. Ces identités multiples oeuvrant à l’intérieur de chacune d’elles – finalement de chacun de nous – jaillissent sur le plateau et s’affirment comme des forces dynamiques d’un monde en train de muter. Elles-mêmes sont mutantes puisqu’elles tiennent par un bout les cultures et traditions de leurs origines familiales, par un autre celles de ce pays, et par un troisième celles, toutes nouvelles instables et kaléidoscopiques qui se créent jour après jour sous nos yeux du fait de l’extraordinaire bouleversement sociétal qui est à l’oeuvre. C’est leur courage et leur espérance qui explosent sur la scène et font voler en éclats cette rhétorique de la fatalité morbide qui, jour après jour, cultive l’impuissance d’agir. Notre société se partitionne entre exclusion et inclusion, musulmans et chrétiens, blancs et noirs, orient et occident, travailleurs et chômeurs, riches et pauvres. Mais sur notre scène ces catégories simplistes et normatives disparaissent pour laisser apparaître une humanité fragile et puissante, dérisoire et essentielle.
Remettre au centre de l’acte théâtral une parole qui par sa simplicité creuse dans l’intime pour révéler les contradictions d’une société où la place de chacun est sans cesse interrogée, voilà le défi que je me suis promis de relever. F(l)ammes est d’abord une expérience esthétique et politique ! Entre narration et incarnation, séquences chorales et monologues, parties dansées et chantées, comédies et récits épiques d’un quotidien transfiguré, notre ambition est de placer celles et ceux qui sont dans la salle face à eux-mêmes et de leur offrir notre scène comme une forêt à la végétation folle et sauvage que ni la pluie, ni le vent, ni les orages les plus tonitruants ne peuvent arracher à la terre. Oui, car la joie qui illumine notre plateau n’est pas seulement récréative, elle est à prendre comme une augmentation de la force d’exister, une volonté d’agir et une conquête d’un autre rapport au monde et à soi-même. Notre joie est motrice, elle invite chacune et chacun à voir le monde avec les yeux d’une autre pour changer son regard.
Ahmed Madani
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