- Un tourbillon de quiproquos
« Mais je n’ai nulle envie d’aller chez les fous » fit remarquer Alice.
« Oh ! Vous ne saurez faire autrement, dit le Chat : Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle. »
« Comment savez-vous que je suis folle ? » demanda Alice.
« Il faut croire, répondit le Chat, que vous l’êtes ; sinon, vous ne seriez pas venue ici. »
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles
Pour imposer au répertoire lyrique parisien l’oeuvre fantaisiste de sa fille unique et assurer à son nom une belle postérité, un bourgeois de la capitale décide de s’offrir, transfuge de l’opéra de Bordeaux, le ténor le plus convoité du moment. L’entrée en scène du premier girondin venu va déclencher des fantasmes de toutes sortes dans ce petit monde confit dans son égocentrisme, sa frustration et ses rêves de gloire…
Chat en poche est la deuxième longue pièce d’un Feydeau de 26 ans et l’on y sent toute sa jubilation à tirer les ficelles d’un vaudeville atypique, sans mari trompé, sans jupon retroussé, à jouer en virtuose avec le langage, l’esprit des répliques, les malentendus en chaîne, entraînant ses personnages dans un tourbillon de quiproquos presque surréaliste.
Il y brosse le tableau corrosif et désopilant d’une société joliment aliénée, piquée de prétentions sociales, de pulsions délictueuses et d’aspirations artistiques.
Mais au-delà du comique ahurissant du propos, c’est à nouveau l’écriture qui intéresse Anne-Marie Lazarini. Feydeau joue avec allégresse autour de la langue et ses dialogues côtoient de si près l’absurdité que son petit monde déraisonne… A travers cette vraie comédie populaire les Athévains poursuivent leur exploration des multiples modes de distance au texte.
« Après l'enthousiasmant Ravel, Anne-Marie Lazarini s'attaque au vaudeville. » Fousdetheatre.com
« Anne-Marie Lazarini mène ce ballet foldingue, comme une mère chatte organise ses petits. » Marianne.net
« On goûte ici avec délice la première illustration du génie de Feydeau. » Le Figaro Magazine
« Un Feydeau au délire annonciateur du surréalisme, précurseur de Ionesco. » La Croix
« C'est merveille et parfaite jubilation d'entendre ces hallucinantes répliques qu'Anne-Marie Lazarini a orchestrées comme un opéra bouffe. Une drôlerie qui va jusqu'au vertige. Jusqu'à une insondable poésie. » Télérama
« Mise en scène espiègle, acidulée, pétillante, ce Chat met tout le monde dans sa poche. » Froggy's delight
« Un décor de F. Cabanat où les personnages pénètrent l'espace comme des passe-murailles. » Webthea
« François Cabanat a conçu un magnifique décor de guingois, avec des chaises de couleur vive. » Pariscope
« Enfilez donc vos chaussettes jaunes et votre cravate orange et foncez écouter Les Athévains feydeauiser. » Mademoiselleaubalcon
« Les interprètes régalent d'un florilège de répliques incongrues, c'est le secret de Feydeau... On ne s'en lasse pas. » Le JDD.fr
- La folie chez Feydeau est une machine de guerre
« Je ne m’occupe que de moi là-dedans. » Bois d’Enghien dans Un fil à la patte
Voilà bien le problème. Dans le théâtre de Feydeau on ne s’occupe que de sa propre personne, on est sourd et aveugle à tous les autres, indifférent à tout ce qui n’est pas soi. Chacun suit son idée sans rien voir ni entendre autour de lui.
Et dans Chat en poche cet aveuglement atteint des sommets : c’est le triomphe du dialogue de sourds. Toute la beauté de cette pièce réside dans la perfection de l’absurde, du « nonsense ». Comme la Alice de Lewis Carroll descend dans le grenier, Dufausset passe la porte d’une maison de fous où tout paraît normal.
Normal qu’on le prenne pour le ténor célèbre qu’il n’est pas.
Normal qu’on lui offre de toucher 3 500 francs* par mois.
Normal qu’Amandine voit en lui l’homme qu’elle a un jour croisé dans la colonne Vendôme.
Dès qu’on franchit le seuil d’une telle maison on est perdu.
Feydeau va faire durer avec obstination le quiproquo initial qui entraînera tous les autres en cascade, un premier mensonge en générant un autre. Comme la boule de neige de Bergson, la situation initiale, loin de se délier, prend inexorablement de l’épaisseur et rapidement, prisonniers de cet engrenage, les personnages perdent le contrôle de la situation, donnant l’étrange impression de creuser eux-mêmes leur tombe.
Feydeau joue avec frénésie de tous les procédés du vaudeville : quiproquos, coïncidences, rencontres imprévues, erreurs sur la personne, coups de théâtre et retournements de situations, etc., participent à un comique de destruction.
Dans Chat en poche, l’art de l’absurde est tel qu’il atteint une dimension poétique. Il n’y a pas de place pour la réflexion. On se borne à agir. Tout est vitesse et précision. Les personnages se retrouvent engagés dans une fuite en avant dont ils ne peuvent s’extraire et qui les conduit à leur propre perte.
Mais il y a surtout dans cette pièce une virtuosité du langage : les « créatures » de Feydeau se constituent avant tout à travers ce qu’elles disent verbalement. Et là encore, on frôle la déraison : l’enchaînement des mots, des répliques, la langue, l’absence totale d’écoute mutuelle, tout laisse à croire que cette engeance est frappée de démence.
L’univers de Chat en poche est insensé mais piqueté d’un profond déséquilibre à la fois banal et normal dont on n’a pas à s’étonner : absurde et parfaitement logique. C’est cette distance, cet espace entre l’ordre et le désordre que la mise en scène peut explorer.
La folie chez Feydeau est une machine de guerre contre la logique traditionnelle. Celle d’un vaudeville de la fatalité contre laquelle le temps ne peut rien.
Anne-Marie Lazarini
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