Catherine Diverrès - alla prima

du 18 au 20 mai 2006

Catherine Diverrès - alla prima

Catherine Diverrès interroge le corps, celui dans son état quotidien et l’autre, celui qui se dilue dans une masse, des manifestations de rue aux raves, ou se régénère à l’écriture chorégraphique comme source d’énergie. De cet essai poétique qui prend la liberté et la captivité, l’individualité et la collectivité comme points de repère évidents, on attend beaucoup.

L'évidence Catherine Diverrès
Un fil qui n'en finit pas de se dérouler
Note d'intention
Rencontre, Patricia Allio et Catherine Diverrès

  • L’évidence Catherine Diverrès

Révélée au mi-temps des années quatre-vingt, Catherine Diverrès, alors en duo avec Bernardo Montet, a tout de suite marqué son territoire : alors que les influences américaines modernes et post-modernes traversaient le travail d’autres jeunes chorégraphes, Catherine Diverrès offrait au regard une danse fiévreuse nourrie de lectures, de rencontres et de voyages, des instants passés avec Kazuo Ohno, un des grands du butô japonais, comme plus tard un passage en Sicile (d'où naîtra Cantieri, présenté au Théâtre National de Chaillot en octobre 2002).

alla prima, la nouvelle création de la directrice du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, pour dix danseurs et un musicien, entend se confronter à d’autres problématiques : Catherine Diverrès y interroge le corps, celui dans son état quotidien et l’autre, celui qui se dilue dans une masse, des manifestations de rue aux raves, ou se régénère à l’écriture chorégraphique comme source d’énergie. "Une chorégraphie n’est pas un film, ni un récit mais pourrait bien avoir à voir avec quelque chose de leur architecture ou élaboration primitive", dit encore Catherine Diverrès sensible à la notion de "trame de sens", pas si éloignée de l’art de la fresque.

De cet essai poétique qui prend la liberté et la captivité, l’individualité et la collectivité comme points de repère évidents, on attend beaucoup. La présence du scénographe Laurent Peduzzi, qui accompagne Catherine Diverrès depuis 1999, promet de donner un relief singulier - on parle d’un décor sur roulement - à cette pièce au titre envoûtant, alla prima. La preuve aussi que la danse reste pour Catherine Diverrès un acte de résistance qui compose avec la beauté des corps.

Philippe Noisette

  • Un fil qui n'en finit pas de se dérouler

Ce puissant spectacle aux trois parties fort perses traite de l’identité et du lien social. alla prima est une expression de technique picturale qui signifie "réalisé d'un trait". "C'est ainsi que j'ai conçu ma pièce, explique Catherine Diverrès, que je l'ai construite. C'est un fil qui se déroule et n'en finit pas de se dérouler… " Elle l'a pensé alors que se construisait le mur de Gaza. Les textes utilisés sont tirés de Si je t'oublie Jérusalem, deux nouvelles de William Faulkner "sur les limites de la liberté et de la captivité". La chorégraphe y lit un questionnement qui peut rebondir sur l'amour, "qui enferme et libère", sur nos démocraties aussi, "où l'on se croit libres".

Catherine Diverrès a construit son spectacle en trois parties. Dans un premier temps, elle traite de notre vie sociale, où règnent l'individualisme et le narcissisme, qui nous fragilisent plus qu'on ne croit. S'ensuit un épisode "organique", sorte d'anarchie des atomes, de perte d'identité, de folle dépense d'énergie. "On retrouve cela dans une manifestation de rue, où l'individu cède la place à la foule." Il faut ce "chaos" pour reconstruire l'individu, retrouver l'unité et le respect de l'autre. "Nous passons à une danse plus conventionnelle, plus fluide, plus géométrique, nous retrouvons une communauté d'artistes." Car à travers cette création, Catherine Diverrès pose la question de "vivre ensemble".

Pour cela, encore faut-il accepter sa fragilité, ses maladresses, et savoir ce qu'elles impliquent, "comme le montre Peter Sloterdjik dans L'Écume, lorsqu'en vieillissant une bulle éclate, les autres aussi…" Le monde est "un assemblage de fragilités" et n'a bien sûr rien à gagner à être une somme d'individus éloignés les uns des autres, comme au début de la pièce, alla prima est une incitation à créer une nouvelle identité. La pièce s'achève là-dessus.

Gérard Pernon, Ouest France, 14 mars 2006

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  • Note d’intention

"Pour on, I will endure"
"Qu'il pleuve encore ! j’endurerai"
Shakespeare, Le roi Lear

"Que cela est petit avec quoi nous luttons
Ce qui lutte en nous comme cela est grand ;
Si, plus semblables aux choses, nous nous laissions terrasser par une aussi grande tempête,
Comme nous serions vastes et anonymes."
Rilke, Le Contemplateur

"Ainsi si les danseurs dans alla prima "enduraient" ? tel le forçat dans les Palmiers sauvages, ou comme tous les personnages de W. Faulkner, qui disent comment les hommes, soumis à des épreuves qui passent leur capacité de résistance et d’acceptation, rejoignent le fond indifférencié de la vie en mourant à eux même et à leur chétif "je suis moi". Ils puisent dans cette expérience une liberté plus vaste, plus ancienne que toute volonté, une vie insoupçonnée qui leur donne la force de "faire face" de supporter… et d’aller de l’avant".

Claude Romano

Cette "endurance" au coeur de la pièce se déploie dans un flux d’énergie débridée, continue, qui force les limites physiques de chacun. Mais si cette endurance de fait, a toujours été présente dans mes pièces, ici elle prend un tout autre dessein et dessin, comme l’indique le titre "alla prima"- dessin d’un seul trait.Si nous parlons ici de l’individu isolé, caricature d’une société narcissique et morbide vers la nécessaire vitalité qu’impose l’expérience, l’épreuve de la perte d’identité dans un chaos élémentaire et organique, la vie naturelle et nue, / avant la conscience, avant la volonté / pour plus tard retrouver quelques minutes l’équilibre instable d’une danse qui dans l’espace s’apaise par des formes maîtrisées et abstraites, le flux n’en est pas moins présent, l’organicité par l’écriture atteint cette notion à la fois d’anonymat mais aussi de co-fragilité.

Concept forgé par Peter Sloterdijk

Ce qui trace donc avec alla prima un dessein, autre, sont bien les aspects à la fois formel et temporel du dessin de l’écriture.

Le temps ici est abordé sans résistance, nous le percevons sans distance mentale ou poétique, il s’écoule comme dans la vie quotidienne, avec les événements qui l’accélèrent soudainement lorsque quelque chose nous arrive, involontairement, d’ordre émotionnel ou imposé par la nature, il n’est plus considéré de façon abstraite ou encore "métaphysique". Le temps, dans alla prima, devient un acteur secondaire dans l’écriture.

Tout comme les formes, la maladresse, le volontairement "impolissé" des gestes et des mouvements, le non-investissement psychologique ou mental des danseurs (très relatif) rompt avec la retenue la distance, posées dans mes précédentes pièces.

S’agit-il d’une rupture ? non certes pas, mais d’une autre approche chorégraphique. Les notions de résistance, d’épreuve, sont toujours présentes mais ici confrontées peut être à un aspect plus phénoménologique (ce à quoi nous conduit Faulkner même si ses mots et le récit ne sont que fugitifs dans la pièce).

Je ne pourrais pas poser ici des mots qui augureraient d’un quelconque "tournant", ou extrapoler sur l’écriture à venir. Je dis simplement ce qui est maintenant alla prima et ce dont ça parle.

Catherine Diverrès

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  • Rencontre, Patricia Allio et Catherine Diverrès

Patricia Allio est une jeune auteur, dramaturge, philosophe et metteur en scène. Le texte qui suit est extrait d’un entretien fouillant la relation entre individualisme et communauté, thématique centrale d’alla prima, création de Catherine Diverrès.

Pour alla prima, Catherine Diverrès a décidé de partir d’un texte de Faulkner, Si je t’oublie Jérusalem, pour penser l’affaiblissement néfaste du lien social, l’enfermement narcissique de l’homme moderne, producteur d’aliénation, mais aussi le rôle cathartique du désordre. Le héros de "Vieux Père", une des deux nouvelles du récit, est un forçat qui, en raison de la crue du Mississipi, se retrouve libre et passe pour mort : au lieu de jouir de sa nouvelle condition de liberté, il préfère se rendre, s’enchaîner de nouveau.

On oublie trop souvent que la liberté est un fardeau dont l’humain veut se délivrer. C’est à ce nihilisme de la volonté de l’homme moderne - que l’on ne cesse pourtant de qualifier d’homme libre - que la modernité et les idéaux progressistes achoppent aujourd’hui. Comment échapper à cet enfermement narcissique ? Comment vaincre cette illusion de liberté qui cache une aliénation plus profonde? Comment sortir de soi sinon en explorant des modes paroxystiques de rupture ?

Ainsi, de la question de la privation du lien social, on en arrive à l’importance du chaos, ce que l’on trouve formulé par Faulkner : "C’est alors qu’il lui vint à l’esprit que la condition présente de cette terre n’était pas un phénomène d’une fois par décennie, que les années intermédiaires étaient le phénomène et que l’état normal c’était l’état actuel et que le fleuve faisait à présent ce qu’il aimait à faire après avoir patiemment attendu dix années", extrait de "Vieux Père".

Déjà, avec L’Ombre du ciel, Catherine Diverrès, en lien avec la guerre de Yougoslavie, a mis en scène le déchaînement des forces telluriques, la correspondance physique des bouleversements politiques. Cette fois, la création pose en premier la question du lien social. Comment vaincre les sédimentations narcissiques, l’exaltation romantique de la singularité, pour autoriser nouvellement la rencontre avec autrui ?

C’est, entre autre, en prenant à rebours le mouvement volontariste de maîtrise du désordre, présent dans le texte de Faulkner, et en expérimentant, au contraire, l’abandon de la volonté de maîtrise. Non surpasser le chaos, mais se tenir près à l’accueillir, à l’expérimenter. Géométriser l’espace en l’évidant, en partant de la dissolution du rapport inessentiel à l’espace.

Je pense en écho à La lumière, récit de Torgny Lindgren racontant comment un homme prisonnier d’une mythologie amoureuse (toute narcissique elle aussi ) partit de son village pour chercher, sans la connaître, la femme qu’il aimait. Il ne la trouva point alors il revint avec une lapine, qui apporta la peste et fut cause du ravage du village. C’est de ce désastre absolu qu’adviendra pourtant une nouvelle communauté. C’est aussi ce qu’exprime La Communauté inavouable de Blanchot. Cet inavouable qui travaille le corps social et la multiplicité des corps qui le composent, c’est la mort, la disparition, le néant.

C’est de cette expérience du vide, de la prise de conscience que la communauté est autant constituée de la multitude d’absents que de corps présents, que le lien social authentique peut renaître.

Ce n’est qu’à condition de poser comme principe du lien social cette négativité que l’on pourra se libérer d’une des causes du marasme présent : l’idéal humaniste de l’homme "maître et possesseur de la nature". C’est en reconnaissant cette finitude que l’on peut abandonner la version prométhéenne de l’humain pour lui substituer une conception moins grandiose.C’est à cela aussi que s’attache Catherine Diverrès dans ce prochain travail : donner à entendre la co-fragilité, base d’une nouvelle manière de se rencontrer, de se tenir ensemble, dans la reconnaissance de cette mutuelle fragilité.

Les rites soufis, chamaniques mettent en oeuvre cette expérience salvatrice du désordre et du chaos. La sortie ritualisée de soi, la rupture avec la discontinuité qui caractérise la vie profane permet de réintroduire ponctuellement le sentiment de continuité perdu qui assure en retour la pérennité et la vitalité du lien social.

Le problème des sociétés démocratiques modernes désacralisées, est, entre autre, de ne plus chercher le mieux-être que dans l’épanouissement de soi, sans ancrage objectif. La valeur hédonique est inséparable d’une exaltation narcissique. Si l’épanouissement de soi, comme l’a souligné Charles Taylor dans Le Malaise de la modernité, peut sembler être tout de même une recherche positive pour dépasser le règne mortifère de la raison instrumentale, il reste cependant trop prisonnier du moi.

Le corps social souffre aujourd’hui de plusieurs symptômes qui s’interpénètrent efficacement : perte du lien social, repliement sur soi, indifférence à autrui et à sa souffrance, allant de pair avec l’égoïsme, l’égocentrisme, le narcissisme. Enfin, on constate l’appauvrissement de l’idéal de vie, du fait non seulement de la focalisation sur la vie privée fondée sur des valeurs matérialistes mais aussi de l’instauration du pertissement comme but suprême; vision relayée ou orchestré par les médias.

On ne cesse de clamer que notre présent relève de l’ère du désenchantement, tout en continuant de soutenir que c’est un temps de liberté inégalé dans l’histoire. Pourtant, l’homme n’est pas plus libre qu’avant, les dérives totalitaires des sociétés démocratiques du XXème siècle nous ont donné l’occasion de vérifier cette tendance à obéir qui définit l’humain.

La maladie de la société moderne démocratique est diagnostiquée depuis longtemps. Avant même qu’elle se déclare, dès le XIXe siècle, des penseurs comme Tocqueville, John Stuart Mill ou encore Nietzsche l’ont pressenti, décrite avec minutie de façon visionnaire. Dans ce processus de marchandisation généralisée des liens humains, même l’art est devenu produit de consommation : Kantor l’écrivait déjà dans son texte Manifeste 1970 lorsqu’il parlait d’un cannibalisme privé et public de l’art.

S’il est difficile de croire que l’idéal subjectiviste d’épanouissement de soi puisse apporter le salut, en revanche, l’art de la mise en scène, en donnant à la communauté des spectateurs l’occasion de partager l’expérience d’une co-fragilité m’apparaît être une promesse, non de consolation, mais d’ouverture.

Patricia Allio, février 2005

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Spectacle terminé depuis le samedi 20 mai 2006

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