Bérénice

du 15 mars au 14 avril 2001

Bérénice

CLASSIQUE Terminé

L’idée de départ est simple : les personnages qui peuplent Bérénice sont avant tout des corps entraînés pour la guerre, qui se sont rencontrés sur les champs de bataille. Ils se sont battus côte à côte, ils ont joui... La pièce de Racine commence quand le langage des corps n’est plus possible. Ils ne se to

Les seigneurs de la guerre
Intention de mise en scène
Le texte

Les seigneurs de la guerre

Une provocation : Bérénice ne serait pas une pièce d'amour mais une pièce de guerre. Les protagonistes ne sont pas des dandys de salon ni des précieux, ni des petits marquis de cour désœuvrés mais des guerriers. Ils rentrent de guerre et ils repartent à la guerre : Guerres sanglantes de conquêtes, massacres coloniaux : Bérénice elle-même est un chef d'armée.

On dit qu'il ne se passe rien dans Bérénice, ce serait donc une pièce sur l'immobilité, une Dramaturgie du rien -il n'y a pas de sang, pas de mort- une dramaturgie du verbe pur. Epure, géométrie, mouvements du nô japonais… Toute la gamme a été exploré.

Bérénice est une pièce du mouvement violent, celui des êtres qui s'arrachent et qui se séparent, tout le chemin qu'il faut accomplir pour se séparer de l'autre.
Si l'on reprend la démarche de la facticité (Sartre) les faits sont nombreux : historiques, épiques, psychologiques…

Pour le maître de guerre Titus, l'amour n'est pas le repos du guerrier, mais une entrave à la liberté d'agir, de faire la guerre, d'exercer le pouvoir. L'amour empêche le seigneur de guerre d'être productif. Il faut liquider ces liens pour passer aux choses sérieuses. Faire l'amour empêche de faire la guerre.

Nous avons l'image des chorégraphies baroques de Versailles dansées par des emplumés et costumés, marionnettes efféminées de la galerie des glaces. En fait les maîtres de danse entraînaient les guerriers et montaient au champ de bataille avec eux.

Bernardo Montet reproduit ce geste lorsqu'il entraîne les légionnaires dans le désert éthiopien et chorégraphie la préparation aux combats pour le film de Claire Denis Beau Travail. Il poursuit cette approche des corps en guerre avec Dissection d'un homme armé.

Si l'approche du théâtre de Frédéric Fisbach est chorégraphique, l'approche de la danse par Bernardo Montet est celle d'un théâtre des opérations, et non d'une théâtralisation de la danse. De même, Frédéric Fisbach ne danse pas le théâtre, les corps y sont en mouvement plutôt à la manière des autistes à la recherche de parcours, de traces jusqu'à leur point d'immobilité (cf. Tokyo Notes)

Il y a quelque chose de l'impossible utopie en ce lieu racinien où le plus beau guerrier, le plus grand des vainqueurs craint d'être amolli par l'amour.

Ce n'est ni une pièce de Tchekhov, ni un drame bourgeois. Nous avons relu cette œuvre à travers le prisme du XIXe siècle comme si Bérénice était l'œuvre fondatrice du théâtre bourgeois à trois personnages : le mari, la femme, l'amant.

Bien autre chose se joue dans la rhétorique destructrice de ces alexandrins : une utopie barbare, celle de ces hommes qui se prennent pour des Dieux sur terre, des êtres exceptionnels qui abreuvent l'histoire de massacres sanglants, et qui jouent à être les plus grands des amoureux.

Jacques Blanc

Intention de mise en scène

L’idée de départ est simple : les personnages qui peuplent Bérénice sont avant tout des corps entraînés pour la guerre, qui se sont rencontrés sur les champs de bataille. Ils se sont battus côte à côte, ils ont joui... La pièce de Racine commence quand le langage des corps n’est plus possible. Ils ne se touchent plus, ne se frôlent plus. Ils doivent en passer par les mots. Pour la première fois peut-être, ils articulent les mots de l’amour et du manque. L’espace qui s’est installé entre eux provoque les mots. Et si le langage des corps leur était plus familier, des corps qui portent sur eux les traces des combats et des étreintes passées, s’ils n’étaient pas faits pour articuler les mots, s’ils se retrouvaient comme des enfants devant l’effort de formuler... ?

Nous ne parlons ni de chorégraphie ni de mise en scène, ce n’est pas le temps, nous savons que nous allons faire entendre et donner à voir Bérénice de Jean Racine.

Frédéric Fisbach et Bernardo Montet

« Je ne sais s’il est possible de jouer Racine aujourd’hui. Peut-être, sur scène, ce théâtre est-il au trois quarts mort. Mais si l’on essaye, il faut le faire sérieusement, il faut aller jusqu’au bout. La première ascèse ne peut être que de balayer le mythe Racine, son cortège allégorique (Simplicité, Poésie, Musique, Passion, etc.) ; la seconde, c’est de renoncer à nous chercher nous-mêmes dans ce théâtre : ce qui s’y trouve de nous n’est la meilleure partie, ni de Racine, ni de nous. Comme pour le théâtre antique, ce théâtre nous concerne bien plus et bien mieux par son étrangeté que par sa familiarité : son rapport à nous, c’est sa distance. Si nous voulons garder Racine, éloignons-le. » Roland Barthes, Sur Racine.

J'ai commencé au théâtre par Racine. Longtemps, et bien plus que Molière, il a représenté pour moi "l'auteur de théâtre". Il reste lié à mes lectures adolescentes, à mes premiers rêves de théâtre, à mes premiers émois de spectateur. Son écriture m'apparaissait toujours comme allant de soi, évidente. Les alexandrins me semblaient être la seule forme que pouvait prendre le théâtre.

Il m'est resté ce goût pour les "écritures" au théâtre, pour leur « musique », pour les poèmes scéniques. De son influence vient une certaine attention à la façon dont on parle au théâtre et aussi l'idée que le comédien est un musicien du texte, un interprète de son propre souffle, de sa propre voix. J'ai toujours le sentiment, en lisant ou en écoutant son théâtre, que Racine écrit pour des musiciens. Rien n'est à "jouer" au sens d’une mise en avant des situations, des personnages et de leurs psychologies par l'acteur, puisque tout est déjà dans le texte. Tout est à interpréter pourtant. L'appropriation de cette langue se fait par le souffle, par les sons, bien plus que par le sens (toujours limpide au demeurant. Racine analyse la psychologie humaine avec une implacable intelligence, mais il lui préfère l'émotion.

Si j'insiste sur l'aspect musical, sur son importance au théâtre, sur la notion d'acteur-interprète, c'est, en fait, pour mettre en avant l'émotion au théâtre. Je veux faire un théâtre émouvant, sans que cette émotion vienne du spectaculaire (le théâtre n'est pas le lieu du spectaculaire, du spectacle, au sens cinématographique du terme). Elle doit naître du poème, des corps, des imaginaires des interprètes qui l'incarnent, de l’espace dans lequel ils évoluent, de la place qu'on laisse au silence, au vide.

En ce sens, Bérénice est exemplaire, on pourrait dire en effet qu’il ne se passe rien dans cette pièce. Titus, qui aime Bérénice, quitte Bérénice qui aime Titus. Antiochus aime Bérénice qui ne l'aime pas. La pièce débouche sur une séparation qui ne mène qu’à un « Hélas ». Une pièce sur le renoncement : je me résous à renoncer à l’objet de mon amour ou, au moins, j’arrive à le dire. Il n’y a pas de pièce moins spectaculaire que Bérénice et pourtant il n’existe pas de pièce plus émouvante.

Je sens qu’il est temps d’aborder cette pièce dont je rêve, cet auteur que j’aime. Ne serait-ce que pour pouvoir le recroiser plus tard, remonter cette pièce ou une autre dans dix ans… J’avais abordé Claudel dans le même état d’esprit. J’y reviendrai bientôt, c’est sûr, et cette pensée est une joie.

Frédéric Fisbach

Le texte

Edition la Pléïade

La version de Bérénice qui sert de base au travail est celle établie par Georges Forestier pour la Pléïade. Cette version respecte la ponctuation originale établie par Racine. La ponctuation « devient un guide pour la lecture à haute voix et la déclamation : elle nous invite à lire un texte de théâtre de cette époque selon la manière même dont il a été conçu ».

« Outre que moderniser la ponctuation, comme on le fait depuis deux siècles, aboutit souvent à imposer l’interprétation de l’éditeur (…) il s’agit d’une véritable trahison des intentions explicites d’un auteur pour qui la ponctuation – à la différence de l’orthographe – relevait de règles stables, quoique différentes des nôtres, et jouait un rôle essentiel dans la lecture de ses vers ».

« Au XVIIème siècle, la ponctuation avait pour fonction de marquer les pauses dans le discours, en guidant la voix et le souffle : on ne se préoccupait du sens que lorsqu’il s’agissait du point (…) du point d’interrogation et du point d’exclamation ».

« Il arrive fréquemment chez Racine (…) qu’un point virgule apparaisse à l’intérieur d’une même phrase, introduisant une légère suspension vocale entre une série de propositions subordonnées et la principale ».

« la ponctuation actuelle (…) ne tient aucun compte de leur rythme [des vers] ».

« l’alexandrin obéissait à une structure rythmique rigoureuse (…) offrant la possibilité de marquer une pause très légère au milieu du vers et impliquant une pause légère à la fin du vers, à moins que, justement, une ponctuation n’indique explicitement la nécessité d’une pause supplémentaire ».

Citations extraites de la Pléïade

Traduction en hébreu pour la scène établie par Aminadav Dyckman

Certains passages du rôle de Bérénice seront dits en hébreu. Nous avons demandé à Aminadav Dyckman de nous fournir une traduction pour la scène de l’intégralité du rôle de Bérénice, tenant compte des principes de ponctuation présentés ci-dessus.

Aminadav Dyckman vient de traduire et de publier une traduction en hébreu de « Britannicus ».

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Spectacle terminé depuis le samedi 14 avril 2001

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