Résumé
L’odyssée d’une famille
Une aventure qui a pris son temps
Une anecdote
La parole est malade
La vitalité de la langue
C’est le retour du « grand » Kalonec. Parti malade, revenu tout
neuf de Paris. Retour du grand chasseur dans sa concession, ancien commerce de
peaux, bois, animaux. La mort est partout, dans ce coin d’Afrique où plus
rien ne semble possible. Tuée par son maître un peu plus tôt, mais pas
rancunière, la chienne revenante de Kalonec apparaît et songe au sort de
l’agneau sacrifié d’Abraham. Dans ce temps qui piétine, les personnages ne
trouvent plus la sortie. Alors Kalonec les emmène tous, dans son pick-up,
direction Roissy.
Animal, écrit entre 2000 et 2001, paraîtra aux Éditions
Théâtrales en janvier 2005.
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Dans Animal, les personnages sont à la fin de leur parcours,
dans le dernier voyage qui va les mener de la vieille concession coloniale, située
au cœur de la forêt, à l’aéroport Charles de Gaulle, où ils mourront
doucement, essayant de téléphoner et de jouir d’une dernière extase
improbable.
Que le fils meure avec le père et la femme avec la jeune fille ! Le désir
de vivre brûle, le désir se manifeste, se fait entendre jusqu’au dernier
souffle !
Le père, le « responsable », l’increvable, que le fils
n’arrivera pas à tuer.
Le fils raté, qui vit dans l’ombre du père, revanchard et puceau.
Fricaine, la femme, l’amante, la mère qui n’a pas pu se déprendre de cet
homme, qui a tout renié pour lui. Il ne lui reste plus qu’à aller au bout de
la logique coloniale : tout détruire, tuer tous les animaux, pour rien, et
construire un mur.
Iche, la jeune femme, elle aussi amante du père, l’idiote, la perdue.
Will, l’élu invisible, le fils que le père se choisit, le nègre albinos, le
chant, celui que le père rêve de ramener en France pour en faire une star des
plateaux télé et décrocher le gros lot.
L’élan est donné, ils s’embarquent, et en route vers « l’élu »
qui habite au milieu des eaux, une terre d’après le déluge, une renaissance
possible ? Ratage ! C’est pas pour cette fois ! D’où va-t-on
repartir alors ? Arrivés au pays de cocagne où, d’emblée, on perd le
peu qui reste, il n’y a plus qu’à… dormir, mourir peut-être ?
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Il y a plus de deux ans maintenant, Roland Fichet m’a lu une pièce : Ça
va. Il y eut trois autres lectures qui ont vu la pièce changer de
titre, de lieu, gagner un personnage (Chienne) et, surtout, affirmer son caractère
épique, amplifié par l’apparition d’un récit qui devient la toile où les
dialogues se prennent.
L’apparition de l’Afrique - non seulement d’un territoire, mais aussi
de l’Autre - n’a fait que renforcer mon désir de mettre en scène le texte.
Il n’y a que l’Autre, l’étranger à soi, qui puisse faire avancer. L’Autre,
pas pour le piller, ni pour s’en servir, mais pour apprendre.
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Nous étions, avec Roland Fichet et des acteurs africains, dans une
camionnette entre Saint-Brieuc et Binic. Les acteurs se sont mis à chanter les
chansons qu’ils avaient apprises, petits, à l’école. Pendant vingt
minutes, ils ont enchaîné les chansonnettes ou les poèmes, qu’ils
concluaient toujours en mentionnant le nom et l’adresse parisienne de l’éditeur
du manuel scolaire, éclatant de rire entre chaque texte.
Pourtant originaires de quatre pays différents, ils connaissaient tous ces
chants qu’un instituteur français leur avait appris. Ils riaient, derrière,
et moi j’essayais tant bien que mal de dissimuler mes larmes. Mieux que par
n’importe quel discours politique ou historique, j’étais en prise avec l’Histoire,
celle de mon pays et de son empire.
Ils riaient, je pleurais, et il me semblait qu’ils savaient quelque chose
de la vie que j’ignorais. Une vitalité, malgré tout, une vitalité tant
qu’on n’est pas mort, même si la vie est précaire, dangereuse.
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À une époque, on s’accordait à penser que la parole était malade.
Aujourd’hui, cette évidence semble oubliée et l’entretien de la parole est
abandonné par ceux-là mêmes qui en ont la charge : elle gît dans le langage
mort des communicants.
Les personnages de Animal savent qu’ils sont malades ; ils
parlent comme des malades mais leur parole est captive d’une autre, civilisée,
policée, lessivée. Après la colonisation, la mort de la nature, ces hommes
qui ne pensent plus que par eux-mêmes, pour eux-mêmes, en dehors et au mépris
du vivant.
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Pourtant, la pièce de Roland Fichet ne renonce pas à essayer de penser un
monde possible au risque de l’incompréhension. Ce n’est pas une parole
communicante, mais une parole d’homme qui ne se simplifie ni ne se résume.
Une vitalité - je ne dis pas : un espoir - gît dans la langue.
Oralité : non pas le retour à un langage brûlé du quotidien, mais la
volonté d’exalter le plaisir de dire. Seul le rapport sensible et incertain
aux mots peut nous aider à fonder notre existence.
Frédéric Fisbach
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