Spectacle conseillé à partir de 14 ans.
- Un formidable appel à la vigilance
Dans un petit pays comme bien d’autres, un jeune homme sans histoires meurt au nom d’une identité qui n’est pas la sienne. Comment cela a t‐il pu se produire ? Débute alors une enquête / reconstitution autour de cette mise à mort, à la découverte de ce pays et de ses habitants. Ce jeune homme, c’est Andri. Un garçon que le maître d’école aurait, selon la version officielle, courageusement enlevé des griffes du violent pays voisin. Quel acte magnifique, se gargarise la population !
Enfin, jusqu’au moment où une menace d’invasion se précise… Là, cette même population se dit qu’il vaudrait peut-être mieux rendre cet encombrant réfugié. A coup de petits mensonges, d’arrangements, de compromissions, de fantasmes et de lâchetés, Andorra va sournoisement fabriquer son bouc émissaire…
A la fois cruelle, drôle et bouleversante, Andorra est une mise en lumière des mécanismes sournois de la haine et de l’exclusion. Un portrait acide et sans concession de ces « petites gens » qui les attisent et les propagent mais aussi de ceux qui en deviennent les victimes expiatoires. Ecrite en 1965, la pièce est un formidable appel à la vigilance, à la résistance, au refus de l’obéissance aveugle et résonne encore aujourd’hui de toute sa vérité.
- Mécanismes de l’exclusion et de la haine
D’origine franco‐allemande, je me suis souvent interrogé sur les monstruosités commises par l’Allemagne nazie. Les pires horreurs ne sont pas uniquement l’oeuvre des puissants, mais aussi des « petites gens » dans leurs lâchetés et compromissions du quotidien. Des écarts, que l’on peut facilement mettre sur le compte d’un contexte extérieur indépendant, mais qui au final constituent un terreau fertile à une haine primaire et violente qui prendra toute son ampleur en cas de crise économique ou politique. La responsabilité de chacun est réelle dans certaines des pires horreurs commises collectivement.
La littérature germanophone d’après guerre a décortiqué les mécanismes de la haine qui ont mené ‐ entre autre ‐ au génocide juif, en identifiant leurs naissances dans ces actes du quotidien. Cette littérature est à la fois une tentative de compréhension (si cela est possible…), mais surtout un appel à la vigilance pour les générations futures. L’Europe et la France d’aujourd’hui reproduisent certains de ces mêmes mécanismes : la recherche d’un bouc émissaire pour nos maux, la justification d’un racisme assumé, la considération de l’étranger ou de celui qui est différent comme menace et responsable de notre incapacité à réinventer le monde dans lequel nous vivons.
Croire qu’une minorité a le pouvoir de faire échouer une société, c’est surtout nier notre propre responsabilité face à cet échec. Aujourd’hui, le Juif d’Andorra pourrait avoir bien d’autres identités… Mais, la mécanique est restée la même. Andorra, malheureusement, surprend toujours aujourd’hui par sa justesse et sa pertinence. Il est donc important de réentendre un texte comme celui‐là, pour ce refus de la haine.
Plutôt que de chercher les origines de cette haine dans un contexte culturel, social ou économique, Max Frisch va scruter l’intime de chaque individu, pour y déceler les échecs, frustrations et souffrances, qui projetés sur celui qui est différent ou en situation de faiblesse, deviendront exclusion, rejet puis haine.
Attribuer à l’autre ses propres défauts, le rendre responsable de ses propres échecs, permet non seulement de se dédouaner de toute responsabilité, mais aussi de s’exorciser de ces souffrances. Andri deviendra malgré lui ce révélateur du dégoût de soi.
C’est démultipliés à l’infini que ces mécanismes deviennent une monstruosité, mais ils sont, à leur naissance, très humains, trop humains. Ce texte nous met face à nous même, et nous interroge sur ce que nous portons en nous, et sur notre vision des autres.
C’est cet axe de travail que j’ai choisi pour monter Andorra.
Sans modifier fondamentalement la structure de la pièce et sans procéder à une modernisation excessive du contexte d’Andorra, je souhaite que le spectacle prenne tous son sens dans ses résonances avec aujourd'hui. Sorte de documentaire théâtral, le temps de la représentation sera la reconstitution d'un fait divers qui a eu pour conséquence la mort d'un jeune homme.
Débute alors une enquête qui remonte le fil des événements jusqu'à cette mort.
- Une histoire vivante, burlesque et émouvante
Sur le plateau, trois pans de murs mobiles, qui dès le début de la représentation seront peints en blanc. Ils deviendront une rue, une place, l’intérieur d’une maison, une ligne de fuite, un écran…
Un travail de troupe choral, précis et exigeant, pour porter cette histoire, à la fois vivante, rythmée, burlesque, souvent drôle, émouvante et violente. Cette reconstitution est entrecoupée (comme dans le texte original de Frisch) par les témoignages de certains des protagonistes, qui déclinent à l'infini leur absence de responsabilité dans ces faits.
Si le contexte, historique n'est pas marqué sur le plateau, les témoins (présents sous forme de documentaire vidéo) eux sont bien ancrés dans la France de 2015. Débute alors un, dialogue entre un texte de 1965 et la France d'aujourd'hui, entre, des comédiens qui jouent les personnages d'une fable, et les vrais protagonistes, entre la réalité d'un meurtre collectif et sa justification a posteriori.
Bien sûr, ce que dénonce Andorra est d'une très grande gravité. Mais sa forme, avec notamment le portrait des habitants ‐ grandioses de mauvaise foi et affligeants e lâcheté‐ estl'occasion de scènes d'une très grande drôlerie.
Fabian Chappuis
« On ne peut d’admirer la mise en scène de Fabien Chappuis, qui a le sens du dépouillement, des ombres (le spectacle est très nocturne) et de la nervosité des conflits. (...) On sera plus sensible à la passion de cette jeune équipe qu’à la forme dépassée de ce drame qui porte les rides de son âge. » Gilles Costaz, Webtheatre
« Peu jouée en France, la pièce étincelle d'échos très actuels avec des interprètes subtils. (...) Cette humanité ordinaire fait les tragédies extraordinaires. Sans projeter le moindre calque, Fabian Chappuis nous parle évidemment aussi d'aujourd'hui. Il excelle à diriger les interprètes, très bien distribués. » Armelle Héliot, Le Figaro
« Un très beau spectacle aux influences » Brechtiennes ». Les comédiens, tous dotés d’une forte présence scénique, nourrissent avec force le propos de cette pièce. Max Frisch, en écrivant cette oeuvre 20 ans après la fin de la 2e guerre mondiale, lance un appel vibrant à la vigilance. » Laurent Schteiner, Théâtres.com
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