William Forsythe - Three Atmospheric Studies

du 4 au 7 octobre 2006

William Forsythe - Three Atmospheric Studies

William Forsythe et sa compagnie de danseurs virtuoses présentent un spectacle en écho à notre actualité marquée par la guerre, sans doute l’une des œuvres les plus politiques de cet artiste engagé.

William Forsythe engagé
Entretien avec William Forsythe

  • William Forsythe engagé

Depuis son installation en Europe, dans les années 70, William Forsythe n’a eu de cesse d’aborder la danse, néoclassique d’abord, contemporaine par la suite, d’une manière toute personnelle, préférant les ruptures chorégraphiques à d’autres voies trop tracées.

De Stuttgart à Francfort, cet Américain sans frontières envoie des messages percutants : Paris s’est très vite imposé comme un repère dans le parcours de William Forsythe avec le Théâtre National de Chaillot comme nouveau port d’attache, que ce soit avec le passé, le Ballett Frankfurt, ou le présent, The Forsythe Company.

Three Atmospheric Studies marque un nouvel élan dans les aventures chorégraphiques – très attendues – de Willam Forsythe et de sa compagnie, aujourd’hui recentrée sur dix-huit danseurs virtuoses.

Dans cette pièce, William Forsythe, homme aussi sensible à l’architecture qui nous entoure qu’à la philosophie qui nous guide, se fait l’écho de notre actualité.

Avec Three Atmospheric Studies, le chorégraphe choisit son camp, la danse bien sûr, mais diversifie ses armes, du mouvement à la parole.

Inspiré par le tableau de Cranach (Crucifixion) et une photo de presse montrant une situation de guerre en Irak, Forsythe crée des images et en démontre la corporéité brutale de la guerre. Il se donne les moyens d’engager la réflexion et nous entraîne avec lui.

Ces "études atmosphériques" prouvent une nouvelle fois la capacité de William Forsythe à se renouveler – et à renouveler la danse actuelle. Beau fixe, donc.

Philippe Noisette

Three Atmospheric Studies est un triptyque dansé qui va puiser aux sources iconographiques traditionnelles en même temps que l’œuvre la plus explicite et la plus politique de William Forsythe - immense performance rageuse et réflexive sur l’un des conflits décisifs de notre époque.

Si Forsythe parvient à produire des images de guerre aussi inquiétantes simplement avec des corps, c’est parce que, en dépit de leur extrême lisibilité, il ne les investit d’aucun message politique, et choisit au contraire de construire sa chorégraphie et sa mise en scène à partir des énergies mortifères générées par ce conflit.

Peter Michalzik

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  • Entretien avec William Forsythe

Les sombres nuages de la guerre.
A propos de morale politique et des catastrophes contemporaines.

William Forsythe, nous venons d’apprendre que Berlin va être doté d’un Centre d’Etudes Supérieures de la Danse. Vous allez faire partie du comité consultatif. Que doit-on selon vous enseigner aujourd’hui aux jeunes chorégraphes ?

Le plus important est qu’ils soient soumis au maximum d’influences possibles. On doit ouvrir les yeux des étudiants et non pas rétrécir leur vision. Je pense d’ailleurs qu’on n’attend plus des danseurs qu’ils soient des spécialistes. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est leur vision du monde.

Vous n’avez cessé de confronter la danse à d’autres formes de connaissance, à d’autres discours. La danse a-t-elle une importance sociale ?

Je considère la chorégraphie comme un acte politique. C’est très simple : nous faisons partie du monde du travail. J’ai longuement réfléchi à la question : qu’est ce qui constitue une situation de travail honnête ? Etant entendu que le mot "honnête" a diverses facettes. Ce qui ne veut pas dire qu’il puisse arriver qu’il y ait aussi des situations malhonnêtes.

Mais l’honnêteté est une idée directrice. Nous ne cessons d’être confrontés à des questions d’éthique. Cette conversation elle-même que nous sommes en train d’avoir a un aspect moral. Ou bien, pensez à George W. Bush qui prétend vouloir protéger la démocratie et qui la sape avec ses lois sécuritaires. Notre façon d’interpréter le langage est crucial pour notre conduite.

Beaucoup d’artistes réfléchissent aujourd’hui à leur responsabilité sociale. Est-ce plus facile pour vous qui n’êtes pas directement soumis à la pression économique ?

Je suis convaincu que chaque dirigeant devrait, au sein de son entreprise, essayer de respecter certains principes moraux. Mais ça n’est souvent pas le cas, au contraire, dans beaucoup d’entreprises, la morale est pratiquement inexistante.

Quel est le rôle joué par vos danseurs dans le processus de création ?

Nous sommes des exécutants. Mais ce qu’il en advient est une question d’interprétation. Je m’intéresse particulièrement au point de vue des interprètes. Je n’ai pas envie qu’ils reproduisent mes convictions ou qu’ils réalisent mes seules idées. Lorsque je leur propose un thème, je veux savoir comment ils le comprennent et entendre leurs critiques. A partir de nos différentes interprétations subjectives résultera peut-être une représentation plus objective.

Vous encouragez vos danseurs à se faire leur propre opinion ?

Je n’ai pas du tout besoin de les y encourager. C’est la base de notre travail. Les gens qui m’entourent sont capables de se faire eux-mêmes leur propre opinion. Ils me font confiance comme je leur fais confiance. C’est eux qui sont sur la scène – c’est donc eux qui ont le dernier mot. Pas moi.

Lors du Festival Spielzeiteuropa de Berlin les 13 et 14 mai 2006, vous avez montrer pour la première fois la version définitive de Three Atmospheric Studies. Ce ballet est-il un commentaire de la situation politique mondiale actuelle ?

Les nuages dont il est ici question sont les nuages de la guerre. Le déclencheur a été une œuvre de Cranach : Crucifixion. On y aperçoit, derrière la croix de Jésus, un nuage terriblement inquiétant. Aujourd’hui, où nous vivons dans un monde laïque, j’ai perçu autrement cette peinture : j’y vois une mère du Proche-Orient en train de pleurer la mort de son fils qui vient d’être exécuté par les autorités locales instituées par les forces d’occupation. C’est mon interprétation politique de la crucifixion biblique.

Vous confrontez la peinture de Cranach à une photo de la guerre d’Irak prise par l’Agence Reuter.

Elles sont toutes deux composées de façon identique. Dans le coin droit supérieur de la photo, on aperçoit des nuages malveillants qui s’amoncellent, issus cette fois d’une voiture piégée. Quatre hommes évacuent un corps sans vie, à l’arrière-plan on aperçoit une croix, une ruine sculptée au hasard des bombardements.

Les événements de la guerre actuelle se superposent-ils à la scène biblique ?

Sur la scène, je mêle ces deux propositions. Les personnages du ballet deviennent les figures du tableau en même temps que les victimes de la guerre, de telle sorte qu’on ne sait plus dans quel contexte se trouvent les interprètes. On ne sait plus où on en est. En fait, nous nous trouvons là où nous ne voulons pas être – tout comme il y a plus de deux mille ans. A beaucoup d’égards, nous ne sommes pas arrivés beaucoup plus loin.

Votre ballet semble par moments une satire politique mordante. Lorsque Dana Caspersen entre en scène, on croit apercevoir Condoleezza Rice en blonde.

C’est une scène très ironique. Cette femme parle le langage bien connu de la Maison Blanche, incroyablement arrogant et condescendant.

Les Studies sont-elles un règlement de compte avec la politique de Bush ?

Pour moi qui suis américain, il était très important de faire ce ballet. Isolé on a peu d’influence, les individus sont véritablement démunis face à cette politique. La seule chose que je puisse faire, c’est ce geste. Je tiens absolument à montrer ce ballet en Amérique.

Dans la danse sont de plus en plus souvent évoqués des scénarios catastrophes. Peut-on parler d’une nouvelle esthétique de la souffrance ? De la peur et de la compassion ?

Nous essayons de ne jamais représenter directement la souffrance. C’est trop pathétique. Nous traitons ce thème de façon plus objective, sans y mettre de sentiment. Nous intervenons dans un espace physique.

You made me a monster traite de la mort de votre femme disparue d’un cancer. Vous avez vous-même qualifié cette œuvre de travail de deuil.

Monster est également un travail très objectif et procède d’une méthode que nous pratiquons depuis longtemps. Nous transposons des images bidimensionnelles en événement corporel tridimensionnel, comme dans les plans d’architectes. Ici, des squelettes en carton de forme humaine sont arbitrairement bricolés par les spectateurs. Leurs ombres sont transposées en esquisses graphiques que les danseurs traduisent en mouvement. Il s’agit donc de processus complexes de traduction.

J’essaye d’éviter toute représentation de la souffrance mais cela donne malgré tout naissance à un spectacle puissant dans lequel les spectateurs se trouvent intimement impliqués. Ils ont aidé à construire ce monstre. Le moment où ils s’aperçoivent qu’ils sont co-responsables est un véritable choc.

Le fait de se retrouver soi-même dans une situation ne favorise-t-il pas l’empathie ?

Oui, bien sûr. Mais aux Etats-Unis, on a constaté pour la première fois un phénomène intéressant. On appelle ça compassion fatigue, épuisement de la compassion. Il s’agit d’un phénomène très répandu dans notre société. Lorsque les gens sont en permanence confrontés à de nouvelles catastrophes, leur sentiment d’empathie s’émousse. Deux mille victimes au Pakistan – au fait, qu’est-ce qu’on mange pour le dîner ?

L’art doit-il aujourd’hui de plus en plus se mêler de la guerre et des traumatismes ?

Je me sens moi-même blessé et menacé. Mon art est la réponse à mes propres traumatismes.

Propos recueillis par Sandra Luzina, 2 février 2006, Tagesspiegel
Traduction Nicole Roethel

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Spectacle terminé depuis le samedi 7 octobre 2006

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