
Voilà une importante comédie de Labiche totalement méconnue. Depuis son triomphe en 1866 au Palais-Royal, elle n’a pour ainsi dire jamais été montée. De ses grandes pièces en trois actes, sont toujours privilégiées Le Chapeau de paille d’Italie, La Cagnotte, Le Prix Martin, jamais Un Pied dans le crime. Lorsqu’en 1995, je montai à la Comédie-Française Moi, je livrai au public une pièce qu’il n’avait jamais vue représentée et dont il découvrait le comique cruel et un tantinet cynique. Il en fut de même avec La Clé montée par Jacques Lassalle.
Choisir Un Pied dans le crime, c’est donc avant tout aller à la découverte d’une oeuvre de la maturité injustement oubliée parmi des succès comiques qui firent les délices des spectateurs entre le Coup d’État de Napoléon III et la République. On sait depuis longtemps que Labiche ne fut pas un simple amuseur : « Je me suis adonné presque exclusivement à l’étude du bourgeois, du " philistin " . Cet animal offre des ressources sans nombre à qui sait le voir. Il est inépuisable. C’est une perle de bêtise qu’on peut monter de toutes les façons. » Un Pied dans le crime illustre à merveille ces confidences qu’il fit en fin de carrière.
Cette comédie-vaudeville que nous nous proposons de monter est irrésistible. Comme toutes les grandes comédies, elle exploite une situation tragique : le cas de conscience d’un juge appelé à juger un crime dont il est lui-même l’auteur. De surcroît, le criminel s’avère être l’homme qui lui a sauvé la vie il y a quelques années.
Quiproquos, situations d’une drôlerie insolite, férocité des rapports entre les personnages, « vacheries » incessantes, mufleries impitoyables, et sensualité qui vient démentir l’opinion trop répandue selon laquelle Labiche en mêlerait trop peu à ses intrigues. Nos bourgeois d’Un Pied dans le crime ont des tentations bien polissonnes et font preuve d’un goût très prononcé pour la gaudriole : « Elle est ravissante… Ça me goûte. »
Un Pied dans le crime est une comédie-vaudeville, c’est-à-dire ayant des parties chantées. Je les respecterai, bien sûr. Les décors participeront de ce que j’aimerais appeler la « légèreté » de la représentation. Nous ne chercherons pas à reproduire le réalisme bourgeois du Second Empire, mais nous nous amuserons à l’évoquer, à le « reconstruire » dans les costumes et les décors, les maquillages et les coiffures, trognes crevantes à la Daumier. Tout contribuera à ce que nous nous divertissions avec ce « cauchemar gai ».
Jean-Louis Benoit, mars 2010
Que pourrait-il en faire, d’ailleurs ? L’acteur qui joue Labiche sait que son personnage est dans tel ou tel « état » et qu’il doit répondre à des événements qui, en général, sont des catastrophes. Tout est catastrophique dans Labiche, et la catastrophe rend fou. Pas un personnage de Labiche qui ne soit fou ! Et comment ne pas le devenir lorsqu’on est plongé en plein quiproquo, situation extrême de folie où les choses sont prises pour ce qu’elles ne sont pas ? Voilà bien le ressort de ces comédies : l’erreur. Et celui qui ne cesse de se tromper, de croire en ce qui n’est pas, est un fou. Ils se trompent tous, et cela nous fait rire.
Cela nous fait rire parce que nous, spectateurs, on ne se trompe pas. On n’est pas dans l’erreur. Du moins le croit-on puisque Labiche s’ingénie à nous présenter des personnages qui ne sont pas nous et dont on peut se moquer. On ne rit que des autres, c’est bien connu. Ainsi, comme le signale Sartre, le vaudeville tout autant que la tragédie est cathartique : il nous permet de nous désolidariser des vices et des ridicules que nous découvrons chez les autres.
Le théâtre du rire est là pour nous tirer d’affaire. S’amuser c’est fuir, et fuir c’est oublier : tout le théâtre de vaudeville du XIXe siècle a appris à ses spectateurs à ne pas croire à ce qu’ils voyaient sur la scène. On appelle cela le divertissement. Il eut avec Labiche ses lettres de noblesse car l’imagination du maître et de ses collaborateurs était d’une fécondité, d’une richesse – d’un génie ! – dont aucun auteur aujourd’hui ne peut se prévaloir. La production de rires de ces gens-là fut monumentale ! Labiche la considérait par ailleurs avec un brin de dédain : il disait travailler un genre « inférieur », le genre « Palais-Royal ». Il avait tort. La farce qui nous fait mourir de rire n’est pas plus « inférieure » que la tragédie qui nous fait mourir tout court.
Et à y voir de plus près, il y a dans les deux genres l’exploitation de « l’erreur » dont on parlait plus haut : que ce soit devant une affaire juteuse ou devant les dieux, Dutrécy et Agamemnon – ces deux fous ! – commettent des erreurs. Il se trouve que celles du premier nous font rire et que celles du second nous accablent. C’est peut-être que les dieux ne sont jamais drôles.
Jean-Louis Benoit
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