La nature des sentiments humains
Note d'intention
Extrait
Rapport aux bêtes questionne la nature des sentiments humains. Comme on allait au bal à la campagne il n’y a pas si longtemps, on ira cette fois dans un parquet de bal pour assister à un spectacle difficile à cataloguer : entre théâtre classique et théâtre de rue, un théâtre à la fois savant et populaire. Le public est ici le témoin d’un monologue d’une force rare, monologue d’un paysan frustre qui raconte somme toute la banalité de la vie humaine…
Ce texte, d’une jeune auteure suisse Noëlle Revaz, bouscule la langue et sa construction pour dire la solitude et le désir… le tout ponctué par les chansons populaires des bals du samedi soir de l’orchestre des Blue Paillettes.
Par Le Festin - Anne-Laure Liégeois.
Noëlle Revaz a écrit un roman. Rapport aux bêtes. Premier roman. Au milieu des terres, qu’elles soient suisses ou autres (Noëlle est de Lausanne), un homme, Paul, élève des animaux. Des vaches sans doute. Et aussi ses enfants. En fait, ils s’élèvent tout seuls. D’ailleurs on ne les voit pas, on ne sait pas les compter. Comme quand en imagination on tente de compter les moutons d’un champ ou les colonnes du Panthéon. Il a aussi une femme qui compte pour du beurre. Vulve, elle s’appelle. D’ailleurs elle va bientôt partir. A l’hôpital, pour cause de crabe. Et puis il y a Jorge, le commis portugais qui arrive et repart avec la saison. Pendant quelques semaines, il va placer Paul devant lui-même, ses émotions, ses désirs, ses peurs.
C’est difficile de raconter Rapport aux bêtes. Ça a la banalité triste et gaie, grossière et fine d’une réalité humaine. Indistincte. Ce qui ne se raconte pas surtout c’est la langue de Noëlle Revaz. Comment raconter la musique ? Langue de l’intérieur d’une tête qui sonne du vide des sentiments. Les cherche ailleurs. Il fallait l’élégance et la fragilité de Sébastien Bravard pour dire tant de brutalité. Il fallait un orchestre de bal et ses musiques sur lesquelles on s’est rencontré et quitté, pour dire la solitude. La voix folle de Claire Vaillant pour dire la violence du désir. Il fallait.
Anne-Laure Liégeois
"Devant quand je sors le matin, j’avale déjà une bonne rasade, et les choses se prennent aux autres, comme de la paille. Avant j’ai la trogne mauvaise et l’ail en bouche et je supporte pas qu’on veuille se faire câliner comme les chiots qui ont la morve. Passé la tête au robinet je sors déjà les machines. Vulve se traîne, elle se frotte dans le coin et s’essuie dans la cuisine. Il faut nourrir. Les bêtes se lèvent bien avant nous, ce sont pas des paresseuses, elles attendent patiemment qu’on ait terminé nos purges pour pouvoir prendre leurs forces et se remettre à la peine. Il faut nourrir et aussi traire. Vulve serait d’une bonne aide si au moins elle savait l’être, mais les boilles sont déjà pleines qu’elle se racle encore dedans, et je trouve froid le café et le pain grillé qui sèche. Des fois je mange que ce qu’elle cuit pas et j’avale pas ce qu’elle brasse, et je lui crache ses assiettes. Vulve est solide, elle bronche pas. C’est comme les bêtes : à force de voir ce que ça fait le bâton, elles y pensent avant de mal faire et c’est comme ça qu’on les tient, par le souvenir et par le respect du maître."
Editions Gallimard - 2002
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris