Poètes, vos papiers

• Un « détour de chant »

De Baudelaire à Genet, de Rimbaud à Chedid, de Hikmet à Verlaine, du piano et de l’accordéon de Benoît à la voix et, quelquefois, à la guitare de Véronique, les mots et les mélodies déclinent toutes les nuances, tendres ou violentes, de ce qui fait trembler d’amour, mais aussi de colère, de désir, d’espoir, de chagrin, de deuil parfois, car la poésie possède l’art de convoquer les fantômes.

Ce « détour de chant » propose une balade, ou plutôt une randonnée en territoire poétique, avec deux artistes qui consacrent leur temps à y vagabonder passionnément, à y dénicher les chemins creux, et à y entreprendre des grimpées vertigineuses, qui offrent aux marcheurs endurants des panoramas à couper le souffle.

• Note d'intention

Quand Éric Ruf m’a proposé de créer un Singulis chanté – c’est une première –, il a été absolument clair pour moi qu’il allait être consacré aux poètes, que rien n’allait être chanté qui n’ait d’abord été de la poésie. C’est une évidence liée à mes rencontres, à mon enfance qui m’a fait aimer d’abord les mots des poètes, avant ceux des dramaturges. Une évidence liée également à une dimension plus politique ; je pense que face au mur de l’idéologie actuelle – mur énorme et sans failles –, la pensée, la réflexion, les idées, tous ces processus riches, complexes et morcelés constituent, avec leur côté éperdu, les seules réponses valables. Ils sont un véritable espace de résistance et permettent de faire des pas de côté. Et s’il est un espace de résistance privilégié permettant le pas de côté, un espace irréductible à l’idéologie, à la domination, à la violence, au capitalisme triomphant, c’est bien la poésie.

C’est pour moi un véritable maquis qui me protège de tout ce qui me met en colère. Elle n’est pas « attrapable », elle est, comme le dit le poète René Guy Cadou, « inutile comme la pluie ». Jamais un poème ne se laissera résumer en un tweet de cinquante signes, et aucune intelligence artificielle n’écrira jamais de poésie digne de ce nom, ne serait-ce – comme l’a merveilleusement expliqué Amélie Nothomb au cours d’un entretien – que parce qu’un être humain dépense en écrivant beaucoup moins d’électricité que l’IA. Pour écrire de la poésie, il faut être « tordu », névrotique, tendre et malade. Ou amoureux. Seul un cerveau humain est capable de cela. Et ce faisant, il peut même avoir le privilège d’être en communication avec les fantômes, avec ce qui nous précède, et ce qui nous suivra. Lire et chanter les poètes m’a permis, sur un mode serein et joyeux, de me rendre compte que les mondes sont infiniment plus poreux que ce qu’on veut bien nous faire croire. Les vivants et les morts dialoguent en permanence, et c’est une bonne chose.

Une deuxième évidence était que je voulais faire ce Singulis avec Benoît, d’abord pour des raisons artistiques, mais aussi à cause de l’amitié que je lui porte. J’aime ce qu’il raconte ; je suis donc allée le trouver avec des poèmes déjà mis en musique, mais aussi avec des poèmes que je désire chanter depuis longtemps et qui ne l’étaient pas. L’idée me plaisait que nous essuyions ensemble les plâtres sur ces textes, lui à la composition, moi au chant ; que nous soyons les premiers.

De son côté, et avec la délicatesse qui le caractérise, Benoît m’a parlé d’un certain nombre de poèmes – que je ne connaissais pas forcément – sur lesquels il avait parfois déjà composé. Par nos échanges et du fait d’affinités communes, nous avons, assez rapidement et presque naturellement, établi le programme de ce tour de chant. Et comme je souhaitais un lien direct entre le texte et le chant – qui ne passe par aucune traduction, puisque que chanter un poème est en soi déjà une sorte de trahison – nous avons choisi exclusivement des poètes de langue française. Il ne faut y voir aucun chauvinisme !

Notre liste était évidemment bien plus longue au départ, nous avons gardé ce qui nous semblait pouvoir traverser les espaces de réflexion que nous avons en commun sur les humains, la vie, le monde, l’amour, la mort, et que nous avions envie de partager avec le public.

Véronique Vella