Le tigre bleu de l'Euphrate

du 16 janvier au 4 février 2007

Le tigre bleu de l'Euphrate

Alexandre le Grand va mourir. Après avoir battu le grand Darius, conquis Babylone et Samarkand, après avoir construit des villes et fondé un empire, il est terrassé par la fièvre. Il ne lui reste que quelques heures à vivre. Il ne tremble pas. Il contemple la mort et l’invite à s’approcher pour lui raconter lui-même ce que fut sa vie.

« Alexandre le Grand va mourir. Après avoir battu le grand Darius, conquis Babylone et Samarkand, après avoir construit des villes et fondé un empire, il est terrassé par la fièvre. Il ne lui reste que quelques heures à vivre. Il ne tremble pas. Il contemple la mort et l’invite à s’approcher pour lui raconter lui-même ce que fut sa vie. Alexandre parle et la mort l’écoute. Le laissant revivre l’ivresse de son épopée et ressentir, une dernière fois, le désir. Celui de ne jamais interrompre sa course. De s’enfoncer toujours plus loin, dans des terres inconnues. Le désir de rester toujours fidèle à cette soif intérieure que rien ne peut étancher. »

Actes Sud Papiers

« C’est alors qu’il tourna la tête et me vit. Nous nous contemplâmes ainsi, dans les brumes rampantes de l’Euphrate, silencieux et figés comme des statues perses. Et lentement, précautionneusement, il reprit sa marche. Je le suivis au pas. » Laurent Gaudé

  • Extrait Le Tigre bleu de l'Euphrate

Je le suivis. Nous n’étions plus qu’à une dizaine de pas l’un de l’autre.
Il ne semblait nullement effrayé.
Il se tournait parfois, comme pour vérifier que j’étais bien derrière lui.
Nous avancions ainsi et je ne pouvais détacher mes yeux de ce guide magnifique,
Bleu comme les colliers des femmes thraces,
Bleu comme les eaux profondes de la mer Egée,
Bleu comme les étoffes dans lesquelles les femmes de Cappadoce enroulent comme mon désir et l’éternité.
Je le suivis. Il me fit traverser sur l’autre rive,
Lorsque Bucéphale eut posé son dernier sabot sur la terre ferme,
Il rugit comme un titan.

Laurent Gaudé, Actes Sud, Arles, 2002

  • Extrait de presse

L’Orient, la mort et le mot

À quelques heures de sa fin, le conquérant insatiable que fut Alexandre ne peut s’engager dans le dernier voyage en silence, comme le reste de l’humanité : le premier, il entend dire à la camarde qui est l’homme qui vient à elle, quelle vie de voyages immenses et de victoires grandioses il aura menée, quelle soif d’espaces lointains aura été la sienne jusqu’à cette heure tardive où il avance encore le front haut, avec le langage pour armée et le mot pour cheval d’assaut.

Alexandre le Grand mourant, héros tout puissant devenu héraut sous la pression absurde et hautaine de la mort, tel est le narrateur extraordinaire de ce monologue épique, gorgé de sauvagerie, de noblesse, et de vitalité, que l’on doit à la plume possédée de Laurent Gaudé, et que Yannick Laurent élève à des sommets d’intense hypotypose, sur une scène nue, géographie insondable baignée dans le turquoise mystique et dans les percussions troublantes de la musicienne taïwanaise Yi-Ping Yang.

Alexandre meurt seul, comme il aura vécu seul, seul avec son ambition, n’ayant de frères en ce monde que son ennemi perse Darius, que la Mort, que cet énigmatique Tigre bleu de l’Euphrate, vision irrésistible qui mène Alexandre jusqu’aux confins de l’Orient (Tyr, Babylone, Kandahar, Samarcande...).

Guerrier et bâtisseur, esthète civilisé fasciné par le monde barbare, Alexandre touche au divin par sa soif de périls vierges et de paysages nouveaux, avant de sombrer à son tour dans une humanité vulnérable dont les errances doivent un jour s’arrêter.

Mais si Alexandre n’est luimême que dans la conquête, il ne se présente pas à la mort sous un masque : il présente ses conquêtes, il dit les mondes traversés, les obstacles surmontés, les adversaires terrassés, et par cette voix fortement évocatrice, jaillie d’un aède dont les poses saisissantes révèlent que l’être vivant se mue, dans l’agonie, en statue de feu, par cette confession de soi toute en images bestiales et en désir inexpugnable, par cette audace qui tutoie la mort pour revivre sous ses yeux la fièvre du dépassement de soi dans l’ailleurs, Le Tigre bleu de l’Euphrate donne tout son sens au mot théâtre.

Nicolas Cavaillès

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Spectacle terminé depuis le dimanche 4 février 2007

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