Le Balcon

Saint-Denis (93)
du 15 avril au 12 mai 2002
3H30

Le Balcon

"Alors que la révolte gronde à l’extérieur, que les insurgés progressent vers le Palais Royal, dans les salons du Balcon, maison d’illusions et bordel de luxe, des clients viennent se livrer à d’étranges cérémonies. Avec la complicité des filles de Madame Irma, la tenancière du lieu, l’un joue à être Evêque, l’autre Juge, un autre encore Général, et le dernier Clochard. Pour ces clients, le rituel n’a pas pour but de réaliser un fantasme sexuel ou de pouvoir : tous cherchent à abandonner leur corps de chair pour s’abstraire en une Image, une Figure sacrée." Olivier Chapuis

Présentation
La fable du Balcon
L’anticipation du Balcon : la société du spectacle
Une interrogation sur les pouvoirs du théâtre
Un mot du metteur en scène

Dramaturgie : Olivier Chapuis
Assistant à la mise en scène : Renaud Maurin

Alors que la révolte gronde à l’extérieur, que les insurgés progressent vers le Palais Royal, dans les salons du Balcon, maison d’illusions et bordel de luxe, des clients viennent se livrer à d’étranges cérémonies. Avec la complicité des filles de Madame Irma, la tenancière du lieu, l’un joue à être Evêque, l’autre Juge, un autre encore Général, et le dernier Clochard. Pour ces clients, le rituel n’a pas pour but de réaliser un fantasme sexuel ou de pouvoir : tous cherchent à abandonner leur corps de chair pour s’abstraire en une Image, une Figure sacrée. 
(Tableaux 1 à 4)

Pendant ces représentations quasi religieuses, Madame Irma et sa favorite Carmen, font les comptes. Carmen mélancolique, menace de quitter le bordel pour rejoindre le seul idéal qui lui reste : sa fille. Irma tente de la retenir et s’inquiète du retard de Georges, le Chef de la Police, dernier rempart contre l’insurrection.
Alors qu’Irma envoie Arthur, le Mac, à sa rencontre dans les rues incendiées au péril de sa vie, le Chef de la Police pénètre dans la chambre de la patronne avec qui il est lié par une ancienne tendresse. Pour lui, la Révolte est un théâtre où chacun tient son rôle, mais surtout une occasion d’accéder en Héros à la gloire. Sa seule véritable préoccupation est d’ailleurs d’être représenté comme Symbole dans les salons du Balcon. Arthur revient, annonçant l’arrivée de l’Envoyé de la Reine et reçoit accidentellement une balle en plein front, témoignant involontairement de la progression et de la réalité de l’insurrection. 
(Tableau 5)

Devant le bordel, Chantal, ancienne putain ayant trahi et quitté Madame Irma, et Roger, un révolté, se déclarent lyriquement leur amour. Les Insurgés souhaitent emmener Chantal et en faire un Symbole de leur lutte. Roger comprend alors que la Révolte n’est plus qu’une lutte abstraite, sans raison : un combat d’Allégories. 
(Tableau 6)

Dans le salon funéraire du Bordel, l’Envoyé fait le point sur la situation quasi désespérée : les pouvoirs religieux, judiciaires et militaires connaissent la déroute, et la Reine elle-même est sans doute ensevelie sous les décombres du Palais. Seul le couronnement immédiat de Madame Irma permettrait de mater l’insurrection et de lutter contre l’Image de Chantal dont le pouvoir s’accroît. Irma accepte. L’Envoyé promet au chef de la Police sa place dans le Mausolée, bâti à l’extérieur de la ville, et sa consécration en Héros pour vaincre ses réticences face au couronnement d’Irma. 
(Tableau 7)

L’Evêque, le Juge, le Général, la Reine, le Héros, vêtus de costumes déchirés et poussiéreux apparaissent aux fenêtres du Balcon et sont acclamés par Le Mendiant : dans un retournement très théâtral, les clients fantoches deviennent les vraies figures du Pouvoir et la Révolte est définitivement matée. Arrive alors Chantal qui vient se présenter à la nouvelle Reine et qui est abattue par un coup de feu. 
(Tableau 8)

Dans la chambre d’Irma, le Juge, le Général et l’Evêque se font photographier par de jeunes journalistes, cyniques et délurés, qui fabriquent les nouvelles images du Pouvoir. Les trois personnages s’inquiètent d’être dépossédés de leurs nouvelles fonctions par la consécration désormais possible du Chef de la Police. Ce dernier pourrait en effet incarner le désir de « naufrage définitif » de tout un peuple, privé d’espoirs et d’illusions. Georges les remet à leur place : ils ne sont ce qu’ils sont que par lui, grâce à lui. Carmen survient alors et annonce à Irma qu’un client veut enfin jouer le rôle du Chef de la Police : ce dernier entre ainsi dans les « liturgies du boxon ». 
Georges, Irma, l’Envoyé et les clients déguisés assistent en voyeurs à la représentation qui a lieu dans le salon du Mausolée : Roger, désespéré par la mort de Chantal et par l’échec de la Révolte, vient s’anéantir dans l’Image du Héros. Puis, dans un dernier sursaut de révolte, il se châtre devant Carmen effarée. Par cet acte symbolique, il cherche à priver la figure du Héros de son pouvoir. Georges sourit de ce geste vain et naïf. Il décide de descendre au Mausolée pour se confondre avec son Image pour l’éternité. Tous rentrent chez eux : la Représentation est terminée. Irma quitte son costume de Reine et éteint les lumières. Elle se prépare à recommencer la Représentation le lendemain.
(Tableau 9)

Olivier Chapuis

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Une synthèse géniale de l’Histoire du XXème siècle. La pièce de Genet d’emblée nous parle de notre Histoire. Non en illustrant tel ou tel événement de notre siècle, mais par les moyens d’une fable qui brouille les repères géographiques et historiques. De ce fait, Le Balcon réussit la synthèse géniale de tous les traumatismes, de tous les espoirs, de toutes les croyances et de toutes les illusions déçues, avec lesquels nous entrons dans le siècle nouveau. 

Mettant en scène la montée de la Révolution ébranlant le pouvoir en place, puis son échec et sa récupération par un Pouvoir de Mort terrifiant, cristallisant toutes les déceptions populaires, Genet ne nous parle pas seulement de l’échec de la révolution espagnole qui consacre le franquisme. Il fait aussi résonner en nous les souvenirs pénibles de la montée et du triomphe du nazisme, ceux de la révolution russe trahie, montrant comment un des chefs de la révolte vient, à la fin du drame, s’identifier au chef de la police. 

Bref, Genet nous tend un miroir qui nous place devant un univers où tous les rêves d’action, individuels ou collectifs, tous les grands récits d’émancipation (christianisme, marxisme, libéralisme, etc…) se confondent avec une farce funèbre, une parodie d’épopée qui ne révèle, en fin de compte, que le désir innommable d’anéantissement de toute une civilisation… La nôtre.

Olivier Chapuis

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Mais l’essentiel du Balcon se situe par-delà sa force d’allégorie historique. 

Ce qui nous touche aujourd’hui de plein fouet, ce qui a réveillé en nous la nécessité de monter une telle pièce, est surtout sa qualité anticipative ou prophétique. Genet, depuis les années 50, s’interrogeant sur les rapports du Pouvoir et de l’Image, décrit avec précision ce que nous nommons aujourd’hui la société du spectacle : c’est-à-dire un monde où l’Image est devenue la seule réalité, où le « réel » s’est absenté au profit d’une Image autonome et inquiétante.

Tout, dans Le Balcon, consacre ce nouveau pouvoir, celui que nous vivons quotidiennement, le Pouvoir de l’Image, totalitaire et délétère. Genet, avec un pessimisme lucide, nous invite à réfléchir sur ce nouveau pouvoir qui loin de souffrir de ses transgressions ne vit que par elles, grâce à elles. 

Si le Bordel de Madame Irma est une « maison d’illusions » où les clients viennent chercher l’excitation en transgressant les symboles du pouvoir (ils jouent les « évêques », les « généraux », les « juges »), cette maison est sous la protection du Chef de la Police. Bref, le lieu de transgression du pouvoir, l’envers négatif du « Palais Royal », est protégé par le pouvoir lui-même. Mieux, le fantasme de Pouvoir absolu, celui du chef de la Police, est de se trouver représenté comme Symbole dans ce lieu de transgression. 

Genet comprend, Genet note : le Pouvoir de l’Image n’existe que par sa transgression. À tel point que la Révolution n’apparaît, en fin de compte, que comme un trompe-l’œil, un scénario nécessaire à l’entrée du chef de la Police dans la « nomenclature du bordel ». 

Notre société consacre le spectacle, elle brouille la différence entre le vrai et le faux, le réel et son image. Elle vit de ce vertige et de cette équivoque. À tel point que les clients fantoches du Bordel peuvent devenir par un retournement théâtral les véritables images du pouvoir… À tel point que les photographes, ces fabricants d’images, deviennent les agents précieux du pouvoir, les nouveaux poètes ayant charge d’écrire, en les truquant, les pages de notre Histoire… 

Avec la consécration de ce Pouvoir de l’Image, Genet nous parle de notre histoire et de notre société, mieux, il nous en montre, dans une farce énorme et destructrice, l’invisible fabrique… 

Olivier Chapuis

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Mais Genet force également à repenser le théâtre, ses pouvoirs, sa fonction, ici, maintenant. Que peut le théâtre aujourd’hui dans cette société du spectacle qui est la nôtre… Comment peut-il être une force de dénonciation ou de transgression dans une société où le pouvoir se nourrit de sa dénonciation et de sa transgression ?

La force de Genet est sans doute d’avoir compris que le Pouvoir ne saurait se passer de théâtralité, qu’il ne peut être que dans et par la Représentation… dans et par les Images qui le symbolisent. Or, que peut-on opposer au Pouvoir sinon le lieu de la Représentation par excellence ? Sinon le théâtre ?

Aussi, le théâtre, cette grande fabrique d’Images, de Mythes et de Légendes, sera un lieu de résistance, un lieu où piéger ce nouveau pouvoir pour en exhiber les ficelles, la farce funèbre, les boursouflures… 

Le théâtre de Genet ?
Pour nous, un lieu unique et puissant de résistance à la société du spectacle… 

Olivier Chapuis

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Genet rêve son théâtre « avec la nonchalance active des enfants ». Afin de dégager son essence, il tente de le distinguer des autres arts, rapprochant l’effet qu’eut l’invention de l’image animée sur le théâtre de celui qu’eut la photographie sur la peinture. Il laisse ainsi à la télévision et au cinéma le soin du didactisme et évoque un théâtre mû par ses propres lois. Le sujet n’est pas une critique sociale ou politique, mais le théâtre lui-même qui ne veut rien représenter et qui est le lieu d’une « déflagration poétique », le lieu du Miracle de l’Incarnation.

Un balcon est un élément en porte-à-faux, à la fois dedans et dehors, rivé au mur et flottant dans l’air. Par nature, un balcon est un entre-deux, un espace équivoque. Et parfois, comme dans le rêve d’Irma, le balcon se détache et « tout s’envole ».

C’est cette même « équivoque » que Genet place en tête de son Balcon, et qui parcourt toute la pièce... Equivoque des genres : tragédie, vaudeville, mystère, drame ou bien farce... Equivoque du style où s’affrontent la belle langue française aux accents mallarméens et l’argot des bordels... Equivoque entre la grande Histoire et la fable, entre l’évocation de l’Espagne franquiste et la pure invention poétique... Equivoque dans le jeu des acteurs qui doit avoir la rigueur et le hiératisme marionnetique des acteurs orientaux et l’invention naïve du jeu enfantin, en même temps qu’il doit conserver les accents naturalistes de la vie... Equivoque entre le personnage et l’acteur, entre le faux bordel et le vrai théâtre...

A l’intérieur de ces équivoques, la pièce trouve un chemin particulier. Elle s’invente en se détruisant. L’histoire avance lentement, se répète, s’use. Genet exploite ses motifs en d’infinies variations. Dans sa phrase, le verbe et le sujet (l’action et le personnage) sont éclipsés au profit du complément (l’ornement). L’essence n’est pas dans l’épique mais dans la rêverie, dans le « caprice », dans la digression « d’inattendus escaliers ». Le Balcon a des allures baroques.

La pièce est un jeu : de rôle, de corps, de langue et d’esprit, régi par des règles aussi sévères que celles d’un couvent dont Madame Irma serait la mère supérieure. Les clients et les employés de cette maison close en sont les joueurs. Drôle de bordel cependant puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler de jeu sexuel, mais plutôt d’une fantaisie érotique et métaphysique. Chacun cherche à satisfaire son désir d’incarnation, quittant son corps de chair pour le couvrir d’une figure absolue, mythologique, et s’y dissoudre, désirant, par là sa propre mort. 

C’est ce rêve de théâtre poétique qui m’a séduit dans Le Balcon. Aggravant les contrastes, nous avons tenté de rendre le mouvement chaotique qui malmène la pièce : ainsi, nous avons construit une machine à jouer mobile, magique, mélange de tréteaux et de machinerie où les acteurs et les éléments décoratifs, sonores et lumineux se chassent d’un tableau à l’autre. Nous nous sommes inspirés de l’Espagne franquiste et baroque qui sont à l’origine de la pièce. La vie du bordel de Madame Irma se mélange avec celle de notre Compagnie. Ainsi nous avons tenté de rendre la confusion vertigineuse qui fait se mélanger les personnages et les acteurs en montrant le roman théâtral de l’Incarnation qui double la fable du pouvoir.

Car tout revient toujours au théâtre qui, comme un balcon, est en espace intermédiaire entre la réalité et la fiction. J’ai voulu dégager ce théâtre théâtral qui n’a de fin qu’en lui-même, et donc se prolonge en échos infinis, jeu qui contamine jusqu’aux spectateurs quand Irma à la fin de la pièce nous renvoie chez nous « où tout sera encore plus faux qu’ici », révélant finalement que la seule vérité possible dans un monde fait d’illusions est ce jeu théâtralisé des désirs auquel nous participons.

Jean Boillot

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Spectacle terminé depuis le dimanche 12 mai 2002

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