
Le spectacle
Notes des traducteurs
Platonov, le premier Ivanov et L'Homme des Bois sont toutes trois des oeuvres de l'inachèvement. Brouillons géniaux des grandes pièces d'Anton Tchekhov, elles sont appel à invention, mouvement, vitalité, contradictions. Un homme se suicide au milieu de L'Homme des Bois, et la pièce suit son cours, la vie suit son cours, avec son cortège de bonnes intentions, dans la plus parfaite indifférence à cette mort. Prise à la lettre, l'oeuvre est un appel à plus d'humanité, mais sa construction même vient rappeler que pendant qu'une petite communauté refait le monde, l'un d'eux s'écroule entre deux portes.
" Nous avons eu l’impression que la grande qualité de " L’Homme des Bois " - qui l’apparente à "
Platonov " et au premier " Ivanov " - est précisément une malléabilité qui tient à une certaine qualité d’inachèvement, inscrit dans les personnages, dans l’étrange quatrième acte, après ce suicide qui n’empêche pas la comédie de finir bien, dans ces actions qui ne mènent à rien, cette inconséquence, cette façon de voir l’avenir ouvert, à la façon des enfants, et dans cette référence constante au domaine immense de la légende, de la Russie légendaire, une présence très vaste, indifférenciée, qui porterait les gestes et les paroles jusqu’au moment de retrouver la forêt, le pique-nique en forêt, un dernier enfantillage, une réconciliation, provisoire, angoissante et rassurante à la fois. "
" Cette incertitude, que l’on retrouve aussi dans " Platonov " et dans "
Ivanov ", et qui est une indétermination de possibilités latentes, de richesses à l’état natif, est plus touchante dans "
L’Homme des Bois " que dans les autres pièces de Tchekhov parce qu’elle s’accorde en profondeur avec le thème de l’enfance, du conte, de la Russie comme pays d’enfance. "
" On peut comprendre (…) que " L’Homme des Bois " ait reçu un accueil inquiet et que les premières représentations, victimes de diverses circonstances malencontreuses, aient été catastrophiques. Cette incertitude constitutive, cette construction dissymétrique avec cet extraordinaire quatrième acte, et la présence de l’enfance, sensible jusque dans le traitement de la langue russe, en faisaient une pièce particulièrement fragile, et plus que toute autre destinée à être rejetée : rien d’étonnant donc à ce que Tchekhov l’ait très vite reniée, et qu’il en ait fait autre chose, passant soudainement une sorte de ligne invisible, en écrivant, avec "
Oncle Vania ", la première de ses quatre " grandes pièces ". Les raisons de ce rejet, nous pouvons tout à la fois les comprendre et partager l’avis d’A. I. Ouroussov qui pensait que Tchekhov avait gâché "
L’Homme des Bois " en écrivant " Oncle Vania ". Passant d’ "
Oncle Vania " à " L’Homme des Bois ", sans souci de juger, nous pouvons simplement dire que ce que nous avons traduit, c’est une pièce nouvelle, avec sa fraîcheur, sa vigueur intactes, et ses défauts qui sont, en fin de compte, ce que nous avons le plus aimé. "
Françoise Morvan & André Markowicz
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville