Hannibal

du 13 septembre au 4 octobre 2013
2h40

Hannibal

CLASSIQUE Terminé

Dans la pièce de Christian Dietrich Grabbe, le général carthaginois prévoit dès le début l’issue fatale de ses retentissants faits d’armes. Et pourtant cette conscience de l’échec ne l’empêche pas de faire tout ce qu’il est humainement possible pour triompher. Du théâtre qui réfléchit sur l'histoire et l'action des hommes, mis en scène par Bernard Sobel, avec Jacques Bonnaffé et Pierre Alain Chapuis.
  • La démesure d'un héros

Dans la pièce de Christian Dietrich Grabbe, Hannibal, le fameux général carthaginois en guerre contre Rome, prévoit dès le début l’issue fatale de ses retentissants faits d’armes : après sa victoire à Cannes, viendra la défaite, il lui faudra fuir et préparer sa sortie de scène, c’est-à-dire son suicide. Pourtant, il poursuit ses efforts, même s’il les sait voués à l’échec, et refuse autant le découragement qu’un espoir bercé d’illusions.

Grabbe, auteur encore méconnu, né dans une petite ville d’Allemagne où son père était gardien de prison, eut une vie courte et malheureuse. Une seule de ses pièces fut jouée de son vivant. Dans Hannibal, dont l’action se déroule en Italie, en Espagne, en Asie mineure et à Carthage, il met en scène des événements tels que la chute de Numance, l’incendie de Carthage, les sacrifices humains à Moloch… une succession d’épisodes à la mesure, ou à la démesure de son héros.

Après Napoléon ou les Cent-Jours, autre pièce de Grabbe montée en 1996, Bernard Sobel, créateur et directeur du Théâtre de Gennevilliers pendant près de quarante ans, revient en invité y monter cette oeuvre avec la complicité de Michèle Raoul-Davis.

« Si l’avenir est digne de vous, alors, bravo ! S’il ne l’est pas, consolez-vous en vous disant que votre sacrifice en méritait un meilleur… » Christian Dietrich Grabbe, Napoléon ou les Cent-jours, Actes V, scène 7

« Il y aura encore une histoire après la nôtre — même si la nôtre, c'est-à-dire celle qui a commencé il y a deux ou trois cents ans en Europe, nous apparaît aujourd’hui, comme « fermée ». Mais cette histoire à venir est imprévisible. C’est déjà un progrès d’avoir renoncé à la prévoir pour nous consacrer à l’expliquer. » François Furet, Les chemins de la mélancolie

  • La presse

« A l’aide de cartes de géographie, de la louve romaine, ou d’une voile matérialisant un bateau, Bernard Sobel passe avec fluidité d’un foyer à l’autre de ce conflit mondialisé. (...) Mention spéciale au toujours parfait Pierre Alain Chapuis, qui joue notamment Prusias le traître. (...) En tacticien solide et lucide, ancré dans le présent, Jacques Bonaffé est aussi impeccable qu’inattendu. Acteur habitué aux débordements du corps et de la langue, il joue un Hannibal sobre et juste (...). La pièce de Grabbe est complexe. Bernard Sobel et sa dramaturge Michèle Raoul-Davis parviennent à la rendre cohérente et lisible, à faire entendre la fureur des batailles, la douleur intime, l’âpreté des tractations politiques, sans négliger les aspects grotesques, parfois comiques de l’œuvre. » Sophie Joubert, Mediapart, 16 septembre 2013

« Il y a chez Grabbe un optimisme du désespoir (...) C'est tout cela que l'on entend dans le spectacle avec un plaisir croissant à mesure que l'on prend conscience de l'exceptionnelle liberté de ce théâtre qui ouvre toutes les options. Un plaisir accru par la qualité de la troupe. » René Solis, Libération, 17 septembre 2013

« Dans le rôle d’Hannibal, Jacques Bonnaffé excelle. » Rue89

« En cette rentrée un peu tiède, car sans grand enjeu, ne ratez pas ce spectacle hanté et vif. Les désillusions de l’Histoire et des hommes y ont le sourire et le tranchant du théâtre. Pas besoin de réviser l’histoire des guerres puniques pour l’entendre résonner aux rives de la Méditerranée et autres révolutions perdues par des hommes debout. » Odile Quirot, Le Nouvel Observateur, 18 septembre 2013

« On est passionne parce que l'interprétation se déploie dans la lumiere d'une intelligence profonde du sens Dans le rôle-titre, Jacques Bonnaffé impose la calme autorité du personnage, ses doutes, son goût de l'action, son génie dc stratège, son courage. II affronte. Une quinzaine de comédiens entoure Hannibal. On ne peut citer chacun, mais Pierre-Alain Chapuis, Claude Guyonnet, Jean-Claude Jay sont remarquables. » Armelle Héliot, Le Figaro

  • Nous, dans l'Histoire

J'aime chez Grabbe que l'Histoire, lointaine ou proche, soit sa matière poétique, non comme un refuge contre le présent, mais pour mieux le comprendre. J'aime qu'il prenne la matière historique à bras le corps, à l'échelle de l'Europe ou à celle de son équivalent pour le monde antique, le bassin méditerranéen. Mais c'est une pensée qui vient d'en bas et du fond d'une prison, celle dont son père était gardien et où il a grandi, dans une petite ville de province dont il n'a pu s'échapper ; et l'histoire des hommes est autant pour lui celles des petits que des grands, celle du marchand de poisson et celle du stratège génial, à égalité. Son oeuvre abonde de personnages aussi inoubliables que les fossoyeurs d'Hamlet.

J'aime, dans nos époques faites de tsunamis successifs, politiques, économiques, philosophiques, écologiques, quand la survie même de l’espèce et celle de la planète sont en question, son refus de l'espérance comme celui du désespoir, puisque de toute façon, au présent, l'avenir est indécidable.

Le théâtre, toujours, en commençant par les Grecs, frappe à cette porte mystérieuse du sens et du nonsens. Grabbe a inventé un outil qui sans mise en oeuvre de moyens extraordinaires nous permet de « voir » de grands événements de l'histoire des hommes qui ont moins besoin d'être montrés que donnés à réfléchir et à comprendre. Grabbe prend l'Histoire, et même la très grande Histoire, pour matière, il n'écrit pas de pièces historiques, à la différence d'un Hugo ou même d'un Schiller.

Et je n'hésiterai pas à dire de Grabbe qu'il est mon contemporain, « absolument moderne » comme Rimbaud, ayant forgé un théâtre qui dans son texte et sa méthode nous permet d'affronter l'aléatoire de notre univers et de notre condition.

Face à la mondialisation, au retour du religieux, la recherche de refuges « hors du monde », Grabbe est aussi nécessaire qu’Eschyle, toujours aussi « moderne » que lui. En 1929, Freud, réfléchissant sur ce qu'il qualifie de Malaise dans la civilisation, cite « ... ce poète original qui, en guise de consolation, en face d'une mort librement choisie, fait dire à son héros : Nous ne pouvons choir de ce monde. » C'est une citation de l'Hannibal de Grabbe (« Nous ne tomberons pas hors du monde, puisque nous sommes dedans. ») et ce n'est certes pas un hasard. Ces paroles pour moi font écho à cette phrase de Marx dans La Critique de la philosophie du droit de Hegel : « L'exigence de se débarrasser des illusions sur le sort qui nous est dévolu n'est rien d'autre que l'exigence de se débarrasser d'un état des choses qui fait qu'on a besoin d'illusion. »

Oui, dit Grabbe, nous sommes dans ce monde et il n'y en a pas d'autre. Il est impitoyable, sans nostalgie comme sans illusions. Son théâtre rompt avec la métaphysique, la morale et la psychologie. Il le fait brutalement et va dans ce sens bien plus loin que Büchner. Cela explique sans doute son moindre succès. Grabbe a vécu une vie douloureuse et brève, dans une époque de gueule de bois historique. Il aurait eu les meilleures raisons du monde d'être désespéré. Il y a de la fureur, de l'extravagance, du grotesque, dans sa vie et dans son théâtre, mais jamais de tragédie, ou alors c'est du « théâtre », le mauvais théâtre qu'il désigne comme tel du lâche Prusias couvrant de son manteau rouge le cadavre d'Hannibal, l'hôte qu'il a trahi.

Hannibal nous raconte la défaite d'un homme, la fin, la destruction par le fer et le feu d'un monde, tout comme Napoléon nous racontait l'apparente retombée des peuples d'Europe dans les vieux esclavages à l'issue de Waterloo. Familier de Shakespeare, auteur de la Shakespearomania, l'histoire des hommes est pour lui aussi « une histoire pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien », et il affirme furieusement contre toute la philosophie de l'Histoire de Hegel – qu'il exècre – qu'elle n'a ni sens ni signification. Ce qui ne signifie pourtant jamais qu'il faille renoncer à agir, baisser les bras devant l'absurde. Il n'y a pas d'absurde chez Grabbe, il y a des intérêts, de la lâcheté, de la bêtise, de l'énergie, de la fatigue, de l'ambition, du grotesque, des erreurs, de mauvais choix, mais ni absurde ni tragique.

Grabbe nous raconte des histoires dont nous connaissons l'issue. Il n'y a aucun suspense. Comme les Tragiques grecs, il s'attache à montrer comment les choses adviennent, le plus souvent en raison de mauvais choix, d'erreur de jugement. Mais sans fatalité : si les dirigeants de Carthage avaient compris plus tôt la nécessité de soutenir Hannibal, s'ils avaient envoyé plus tôt des renforts, si Hasdrubal n'avait pas commis l'erreur de suivre le même chemin qu'Hannibal à travers les Alpes, le cours de l'histoire eût été réellement différent... Même le suicide d'Hannibal n'a rien de tragique en soi.

C'est Prusias qui fait d'Hannibal mort un personnage de tragédie classique. Hannibal, lui, envisage son suicide, dès le début de la pièce, comme une issue ultime et raisonnable. Et je pense à cette réflexion de Jean-Pierre Vernant, dont je ne sais plus d'où elle vient mais qui m'avait frappé et que j'avais notée : « Voici donc une solution à la condition humaine : trouver par la mort le moyen de dépasser cette condition humaine, vaincre la mort par la mort elle-même, en lui donnant un sens qu'elle n'a pas, dont elle est absolument dénuée. »

En quelques mots un peu trop long, voilà pourquoi vouloir aujourd'hui monter Grabbe, auteur allemand toujours quasi inconnu du début du XIXè siècle, contemporain sans succès de Büchner, un raté, un furieux alcoolique mort à 35 ans, auteur de sept pièces dont quatre inachevées et toutes réputées injouables. Et monter qui plus est Hannibal, une pièce dont l'action se déplace d'Italie en Espagne, de Carthage jusqu'en Asie mineure entre le second et le premier siècle avant J.-C., qui met en scène, outre les sacrifices humains à Moloch, la chute de Numance et l'incendie de Carthage.

Et puis « merdre » comme disait notre bon Jarry qui lui au moins a pris la peine de traduire Plaisanterie, satire, ironie et signification plus profonde de notre original.

Bernard Sobel, mars 2012

  • À propos d’Hannibal

« Hannibal n’est pas une pièce historique ; même si la matière de l’oeuvre est celle du conflit qui opposa – à l’échelle du monde de l’époque – Rome et Carthage entre le IIè et le Ier siècle avant Jésus-Christ ; même si Grabbe suit le parcours du principal protagoniste de ce conflit, Hannibal, le général carthaginois qui fit trembler Rome, de sa victoire à Cannes sur les romains à sa fuite et son suicide en Bithynie.

Les libertés que prend Grabbe avec la réalité historique, la synthèse qu’il opère sur les événements, les personnages, la chronologie, alors même qu’il en a parfaitement connaissance, traduisent clairement son projet : comme avec Napoléon ou les Cent-Jours, revenir sur les événements qui, de l’Espagne à la Russie, ont secoué l’Europe de son enfance et de son adolescence. Après un passé tout proche, ce détour par l’antiquité, loin d’être un refuge contre un présent décevant, est la prise de distance qui lui permet de mieux le réfléchir et le comprendre.

Grabbe a une pensée de l’histoire. Mais il n’écrit pas de traités d’économie politique ni de grandes synthèses théoriques. Matières mortes et vaines, il n’a pour elles que mépris. Il utilise le moyen du théâtre, du poème dramatique, pour, de façon vivante, réfléchir, méditer, en philosophe et en stratège autant qu’en poète, sur cette matière dont il a été et continue d’être témoin, l’impérialisme, la conscience ou l’absence de conscience nationale, le sens de l’État, le jeu des intérêts et, plus généralement, sur l’homme dans l’histoire, le rôle des peuples, celui des grandes individualités.

L’époque est sombre. Après Waterloo, la réaction triomphe apparemment partout en Europe. Le monde ressemble beaucoup à la prédiction de Napoléon : une morne retombée dans les vieux esclavages. Le réveil des peuples, les espérances de libération et d’unité nationale, tout semble bien loin désormais. Les intérêts privés priment, semble-t-il, partout.

Et Grabbe lui-même, malgré la reconnaissance et le soutien de quelques-uns, a échoué à faire reconnaître son génie. Il est presque arrivé au terme de sa courte vie. Mais la grandeur de cet homme et de son oeuvre, c’est que l’échec apparent, l’absence totale d’illusions ne le conduisent pas, non plus que son personnage, au renoncement. Il éructe, grince des dents, ironise ; il ne désespère pas et va au bout du possible.

Dès le début de la pièce, alors même qu’il vient de remporter une victoire peut-être décisive sur les romains, Hannibal, chez Grabbe, sait que la défaite et la mort sont au bout de son chemin et dès ce moment il prépare sa sortie de scène, son suicide. Et pourtant cette conscience de l’échec quasi certain ne l’empêche pas de faire tout ce qu’il est humainement possible pour triompher.

Comme son personnage, Grabbe refuse et le désespoir et l’espérance, l’un et l’autre clairement désignés comme des illusions. Il continue de faire ce qu’il a à faire, écrire, et sans repli sur lui-même, sans souci d’un avenir indécidable – il ne croit ni en des lendemains qui chantent ni en aucun au-delà –, il persévère sans renoncer à aucune de ses ambitions. L’échec, pour Grabbe, ne rend pas l’effort dérisoire. Cette attitude est aujourd’hui plus que jamais exemplaire. »

Michèle Raoul-Davis

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