Comment une figue de paroles et pourquoi

Saint-Denis (93)
du 10 au 30 mars 2003

Comment une figue de paroles et pourquoi

CLASSIQUE Terminé

Il ne s’agit pas pour nous d’incarner le poète à sa table en train d’écrire, mais de donner corps et voix à cette « rage de l’expression», de trouver le son juste pour tel mot, le geste juste pour tel autre, en artisans à l’œuvre ici et maintenant…

Présentation
Extraits
Intentions de mise en scène
L’art de la figue
L'or de la figue

Comment une figue de paroles et pourquoi a paru dans la collection Garnier Flammarion (1977). La Bibliothèque de la Pléiade a publié l’œuvre poétique complète de Francis Ponge à l’automne 2002.

En 1960, Francis Ponge publie, dans le premier numéro de la revue « Tel Quel », un poème intitulé La figue (sèche), repris dans son recueil Pièces en 1961. Plus de quinze ans plus tard, en 1977, il décide de publier l’intégralité des brouillons qui ont présidé à l’écriture de ce poème : deux cents pages de travail, de variations, de tâtonnements et de fulgurances, datées de 1951 à 1959. Le texte dans tous ses états, la partie ordinairement cachée de l’iceberg : la fabrique de l’écriture.

" La poésie se trouve dans les brouillons acharnés de ceux qui espèrent… qui militent pour une nouvelle étreinte de la réalité. " Francis Ponge, Entretien avec Jean Ristat.

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Je m’aperçois d’une chose : au fond ce que j’aime, ce qui me touche, c’est la beauté non reconnue, c’est la faiblesse d’arguments, c’est la modestie.
Ceux qui n’ont pas la parole, c’est à ceux-là que je veux la donner.
Voilà où ma position politique et ma position esthétique se rejoignent.
Rabaisser les puissants m’intéresse moins que glorifier les humbles.
Les humbles : le galet, l’ouvrier, la crevette, le tronc d’arbre, et tout le monde inanimé, tout ce qui ne parle pas.
On ne fait pas plus chrétien (et moins catholique).
Le Christ glorifiait les humbles.
L’église glorifie l’humilité. Attention ! Ce n’est pas la même chose. C’est tout le contraire.
Le Christ rabaissait les puissants. 
L’église encense les puissants.
« Debout ! les damnés de la terre. »
Je suis un suscitateur.

Francis Ponge
1er mars 1942. 2 h du matin.

L’art poétique (de la figue sèche)

La figue sèche, la pauvre gourde, comme une église de campagne, à la fois (rustique) modeste et baroque, où le portail ouvert, la remplissant toute, luit un autel scintillant.

Nous l’aimons comme notre tétine, dont la véritable particularité serait celle-ci : d’être elle est juste à point desséchée, (de façon) qu’on puisse (peut), en accentuant seulement un peu incisivement la pression des dents, y mordre, franchir son élasticité et s’en nourrir (s’en sucrer, s’y délecter).

C’est aussi ce que j’ai pu faire des paroles. Ici même. Ce que je viens de réussir ici même.

I1 suffit d’accentuer un peu incisivement la pression de nos dents.

Francis Ponge, Paris, le 7 juin 1958.

Je ne sais trop ce qu’est la poésie, mais par contre assez bien ce que c’est qu’une figue.

Francis Ponge, vendredi 29 août 1958

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Tout au long de sa vie d’écrivain, Francis Ponge, en qui s’est reconnue toute une génération littéraire, n’a eu de cesse d’œuvrer à la reconnaissance d’un art poétique résolument matérialiste. Pour cet orfèvre de la langue française, le langage, avant de traduire des impressions ou des idées, est avant tout matière d’une inépuisable richesse dont l’exploration ouvre chaque jour sur de nouvelles découvertes, de nouvelles « trouvailles », de nouvelles conquêtes. En ce sens le recueil de brouillons que constitue Comment une figue de paroles et pourquoi fait figure de manifeste poétique. 

Il ne s’agit pas pour nous d’incarner le poète à sa table en train d’écrire, mais de donner corps et voix à cette « rage de l’expression », de trouver le son juste pour tel mot, le geste juste pour tel autre, en artisans à l’œuvre ici et maintenant. 

Sur un petit plateau de bois, de toutes parts cerné par un vide dangereusement muet, Violaine Schwartz travaille à restituer au présent cette recherche d’une forme poétique nouvelle. Elle tente de rendre sensible la charge explosive, libératrice qui sommeille à l’intérieur de chaque grain d’or de cette figue de paroles.

Le mystère vient de la justesse, de l’agencement de mots justes, de l’accumulation de mots justes, le mystère on y aboutit.

Pierre Baux et Célie Pauthe

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Jean Ristat - (…) On pourrait s'interroger sur le titre Comment une figue de paroles et pourquoi : on peut comprendre le comment ; le pourquoi est peut-être plus difficile à analyser.

Francis Ponge - Le comment, c'est évidemment la manière de faire pour aboutir à un texte satisfaisant mon bon plaisir : c'est-à-dire y mettre tout ce que j'avais envie d'y mettre. C'est évidemment un peu fou, en quelque façon, de faire venir à propos d'une figue Symmaque, ou une église de campagne ; il se trouve que c'est comme ça. Le comment signifie donc : Comment faire pour rendre efficace, lisible, un texte qui vient de tous les côtés, avec un imaginaire extraordinaire.
Il y a, d'autre part, le pourquoi. Il y a des pages entières, des brouillons de La Figue dans lesquelles j'indique que la réalité des choses pour moi est tout à fait indicible ; vous comprenez : j'arrive à ce que (enfin dans une certaine mesure) par je n'ose pas dire une certaine maîtrise de l'expression, les métaphores, les images, paraissent relativement justes. 
Les lecteurs se disent : oui, après tout, c'est bien comme ça, voilà bien une espèce de … figue, de figue sèche, oui, en effet, il faut appuyer un peu incisivement sur l'enveloppe pour arriver à la pulpe et jouir de ce qui est à l'intérieur.
Donc j'essaye d'arriver au plus près de la description de la figue, parce que, je suis persuadé que, finalement, qu'est-ce qui reste ? c'est du texte. Ce n'est pas une figue ! La figue de la réalité, la figue "phénoménale", si vous voulez, est en effet tout à fait "phénoménale", au sens quasi argotique du terme et résiste absolument à toute description. Pour qu'il n'y ait plus ce scandale qui consiste à faire croire qu'on peut passer du monde verbal au monde de la réalité. Pour qu'on en finisse avec cette imposture, comment dirais-je, cette prétention de la plupart des artistes de croire qu'il y a communication possible entre le monde extérieur et le monde verbal. Tout cela naturellement, je le dis aussi, pour prouver que l'homme ne peut s'exprimer qu'à l'intérieur de l'homme : "on ne peut pas sortir de l'arbre par des moyens d'arbre". Par conséquent, j'arrive, me semble-t-il, à la fois à mettre - comme je le fais dans tous mes textes - l'accent sur l'importance de la littérature, enfin de la parole, si l'on veut, qu'elle soit orale ou écrite. C'est à la fois, un éloge, des lettres, de la littérature, de ce qui est littéral, et sans illusion sur la possibilité de la représentation. On présente un objet qui ne peut être que littéraire. Et on rejette le référent, enfin la figue, dans le monde, dans son monde qui est le monde de l'existence. Il faut en finir avec cet espèce de lieu commun. Le monde de langage - que ce soit le langage littéraire, le langage des mots pour lequel le langage de la peinture ou de la musique, passe, enfin rend compte, représente le monde extérieur. C'est contre la représentation.
Le comment est l'éloge du travail et de la production à l'intérieur du monde dans lequel nous sommes enfermés ; c'est-à-dire le monde de la parole.

J.R. - Le comment, c'est comment ça se passe…, écrire est un travail, la production du texte n'est pas donnée immédiatement, etc. Mais la question du pourquoi a une espèce de connotation métaphysique.

F.P.- Non ! Non ! c'est de la pure physique. C'est le contraire de la métaphysique. Puisqu'il s'agit de la matérialité de la langue et de la matérialité du monde extérieur ; je suis quelqu'un pour qui le monde extérieur existe, comme disait Théophile Gautier ; mais il provoque des émotions ! Par exemple j'aime les figues, mais j'ai perdu toute illusion de parler vraiment de la figue du modèle intérieur. C'est le paradis perdu, ça, vous comprenez ?

J.R. - Par conséquent ce pourquoi nous renvoie au comment.

F.P.- C'est ça…

Extrait de l’entretien de Francis Ponge avec Jean Ristat,
publié dans le n°14 de la revue « Digraphe » (avril 1978) sous le titre « l’art de la Figue ».
In Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi (Flammarion 1997. pages 275 et 276)

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En 1955, dans Pour un Malherbe, Francis Ponge évoque ce qu'il appelle sa "Beauté première" : "Pour ceux qui sont nés non loin de la Méditerranée, pas de doute : la Beauté existe. Et quelle folie d'habiter loin d'elle ! Quelle folie, quelle absurdité de s'en exiler ! C'est celle de la Fontaine de Nîmes, celle du moindre figuier. Celle du moindre cabanon à outils dans une vigne, non loin parfois d'un pin, d'un pin parfois parasol. C'est la mer scintillant comme un tesson de mosaïque entre les oliviers." 

La figue, la figue sèche et la figue fraîche, et le figuier, et l'olive et le lézard, mais aussi le mimosa et la chèvre, le tronc de l'olivier et l'olive, appartiennent en effet au premier paysage pongien, à son plus primitif, ils sont inscrits dans sa mémoire sensible comme ce qui le définit d'abord et le constitue. Et le poème qu'à partir d'un jour de février 1951 Francis Ponge décide de consacrer à la figue prendra, chemin faisant, bien d'autres valeurs, plus théoriques, plus philosophiques, jusqu'à se transformer en une manière d'art poétique ou de manifeste indirect, mais il témoigne avant tout d'une relation d'appartenance, il la constate et la confirme : ce fruit entre les doigts du poète, au creux de sa main, ce fruit de tous les jours et de toujours, c'est un peu de son propre corps.

L'histoire du poème 1951 - 1977

« La figue » ou plutôt une figue provisoirement « définitive » et à chaque fois quelque peu remodelée, aura été « quittée » quatre fois par son auteur, ou plutôt trois fois plus une. 

Une première fois, en huit paragraphes suivis de la signature latine, le texte est destiné au jury du Prix international de poésie de Capri. A quelques lecteurs, donc, dans une perspective on ne peut plus pratique, l'enjeu n'étant que, si l'on ose dire, l'assurance formelle d'une reconnaissance par l'institution, et, d'autre part, la traduction de cette reconnaissance en termes économiques. Aux yeux d'un poète qui a toujours connu le « trente-sixième dessous » (matériellement), il se confirme qu'il ne saurait y avoir - en aucun sens - de poésie gratuite. Il était juste que la "pauvre" figue reçût un prix.

Une seconde fois pour être publiée dans le premier numéro de la revue Tel Quel, au printemps 1960. Une figue de printemps donc, grosse d'une littérature à venir (sinon même, utopiquement, de l'avenir de la littérature). […] Le lecteur qui prend connaissance de « la figue (sèche) » aux premières pages de Tel Quel a sous les yeux un texte de quatre pages articulé en quinze paragraphes. Certains de ces paragraphes, comme le second ou le troisième, présentent l'aspect d'un bloc de prose continue, mais l'essentiel impose l'idée qu'il s'agit de versets, plus ou moins longs. Toute la séquence finale est en vers beaucoup plus courts. Au total, l'impression d'un « poème ». La signature en latin est toujours présente. 

Une troisième fois pour être insérée dans le recueil "Pièces" du Grand Recueil (en 1961). A la fin c'est l'avant dernier poème du livre, juste avant « la chèvre »[...] Cette fois, le manuscrit fourni à l'éditeur (Gallimard) pour la composition est la version Tel Quel (les pages sont arrachées à un volume de la revue) corrigée dans le sens d'un resserrement : le texte devient plus compact, il s'agit pratiquement d'une prose, ou d'un texte tendant très visiblement vers une prose. La signature a disparu.

Enfin, pour la quatrième fois, le texte est « livré » (par l'auteur) « dans tous ses états »: c'est la publication, en 1977, du livre Comment une figue de paroles et pourquoi, aux éditions Flammarion dans la collection « Digraphe », sous la responsabilité de Jean Ristat.[…] « La figue » devient donc avec ce livre un des manifestes de Ponge pour une poétique de l’ostentation, de la « fabrique », de l’écriture en actes. Et peut-être, par là même, pour un dépassement de la poésie par l’écriture interminable du poème, ou encore, tout aussi bien, d’un dépassement du poème par la quête interminable de l’expression de l’objet.

Extrait de la présentation de Jean-Marie Gleize
In Ponge,
Comment une figue de paroles et pourquoi (Flammarion 1997. pages 9 à 12)

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