Britannicus

le 10 février 2009
2h05

Britannicus

Les plus beaux vers de Racine se trouvent peut-être dans Britannicus. Cette fable politique a la clarté d’une fable de La Fontaine : le pouvoir corrompt… Très belle mise en scène de Jean-Louis Martin-Barbaz.

Une tragédie du pouvoir
Une pièce d'acteurs

  • Une tragédie du pouvoir

Le pouvoir ! Depuis la formation des premiers empires jusqu’à nos républiques démocratiques, ce mot reste le Sésame qui ouvre les portes et conditionne les ressorts de l’activité humaine. Pour le pouvoir, on tue son frère, on assassine sa mère, on brûle des villes, on torture des innocents. La grande tragédie nous offre l’expression la plus haute de cette aventure humaine qui part de Troie, passe par Rome et va jusqu’à Bagdad. Avec Britannicus, Racine s’attaque pour la 1ère fois à l’histoire romaine, fief réservé du vieux maître Corneille. On y cultive une conscience comme on cultive une plante, avec les bons et les mauvais engrais.

Chacun s’active pour faire grandir le jeune empereur Néron. Ce nom retentit dans nos mémoires, chargé de tout le poids tragique de l’histoire et de la légende. Tous le harcèlent : sa mère, ses précepteurs, le peuple de Rome et même l’amour, sous les traits de l’ennemie délicieuse, l’inquiétante Junie, l’inspiratrice d’une passion naissante. A ses côtés, l’adversaire et le frère, Britannicus, héritier légitime d’un trône usurpé. Ils sont tous là, tapis dans l’ombre à tirer les ficelles. Que deviendra-t-il ce jeune empereur, tout juste sorti de l’adolescence et construit pour le pouvoir, comme le roi Louis XIV ? Ses ancêtres vivent encore dans ses chromosomes : ils s’appellent Jules César, Antoine, Auguste, Tibère, Caligula. Tous ne furent pas de petits saints mais des machines politiques impitoyables au service de leur justice et de leurs intérêts, parfois dépendants de la grandeur de Rome.

Racine nous a laissé une magnifique réflexion sur la passion du pouvoir et sur les ambitions cachées ou révélées de la bête politique. L’amour reste, bien sûr, romanesque oblige, le carburant radioactif et le moteur principal de tous les catapultages politiques. Britannicus est une pièce d’acteurs où le charisme de chacun, comme à la veille d’une élection, peut faire pencher la balance. Car il est plein de promesses électorales ce jeune Néron, il représente l’espoir en un monde meilleur. Il a les suffrages du peuple mais il est sous influence.

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  • Une pièce d'acteurs

C’est peut-être la pièce la plus forte, et la mieux écrite de l’œuvre de Racine. La langue y est fluide, brillante, sonore comme une partition d’orchestre. Autrefois on écoutait la grande tragédie comme on écoutait l’opéra. Les tragédiennes étaient de grandes cantatrices. Il y a aussi cela dans le monde de Racine.

Après Rodogune de Corneille et Bajazet de Racine, mises en scène par Hervé Van der Meulen, Britannicus de Racine est la troisième tragédie, montée par notre compagnie au Studio-Théâtre d’Asnières.

C’est un grand texte, le chef-d’œuvre du genre. Il n’y a pas d’autres raisons de monter une tragédie classique, que le plaisir : plaisir de dire, plaisir d’entendre le poème. De toute l’œuvre de Racine, Britannicus reste peut-être la plus parfaite et la plus belle. Mais on le dit aussi de Phèdre, d’ Andromaque et de Bajazet.

C’est une pièce d’acteurs, une pièce de compagnie. Autrefois, totalement ancrée dans une tradition de jeu, la tragédie, aujourd’hui, n’en finit pas de se dépoussiérer, même si Antoine Vitez nous avait appris à redécouvrir le plaisir de l’archaïsme de l’écriture théâtrale. Faut-il respecter les vers, les pieds, la césure, les liaisons et les enjambements ? Autant d’interrogations auxquelles nous allons donner notre réponse. A nous de trouver la cohérence et le naturel.

On n’a plus besoin de mesurer 1m90, d’avoir un corps de rugbyman et une musculature à couper le souffle pour jouer la tragédie. Mais comme à l’opéra, il faut des interprètes à la forte personnalité. Le jeu dramatique a ses excès, ses démesures. Les jupettes à la grecque, les toges romaines ont été jetées aux oubliettes. Tout cela fait mauvaise opérette. Les colonnades, les trônes ne sont plus qu’un souvenir. Le retour aux sources de l’hôtel de Bourgogne avec ses costumes baroques des années 80 sent même la naphtaline. La tragédie se modernise, elle est devenue ludique, elle appartient à l’intemporel, à l’éternel et perd ses références à l’histoire. Quelle histoire d’ailleurs : celle de l’Antiquité, celle de l’écriture, la nôtre ? Le veston croisé, la cravate, la robe de soirée - nous sommes dans le grand monde - remplissent le plus souvent la nouvelle fonction décorative. Le décor se fait minimaliste, fonctionnel et banalement quotidien.

Dans cet oubli de la tradition, la tragédie se porte bien. Elle fascine encore les générations des jeunes acteurs et des jeunes spectateurs. Je pense que notre spectacle sera mental et traduira notre fascination pour le monde des politiques. Un décor de grilles et de miroirs, démultipliera et brisera le narcissisme des personnages. Peut-être un hommage à la galerie des glaces qui démultipliait l’image de la cour, c’est-à-dire la grandeur du pouvoir. Fascination aussi pour la lumière qui attrape un coin obscur de la personnalité pour la projeter vers une multiplication du mystère.

Un lit, avec sa fonction symbolique du sommeil, du chaud et de la nuit, se fera trône, chambre d’amour ou même tombeau. Il restera le piège rêvé et le refuge quelquefois douloureux d’un jeune homme hésitant, impressionnable et pervers qui s’appelle Néron. Encore sous influence, il se cherche pour mieux se détruire dans un amour naissant. Ce même amour sera révélateur et le fera basculer vers le crime. Son premier crime. Nous assistons à une sorte d’initiation qui va le couronner empereur.

Dans ses deux préfaces, Racine, nous révèle que la pièce pourrait s’appeler « La chute d’Agrippine », « La première mort d’Agrippine » ou encore « Un monstre naissant ».

Monstre, Néron ne le fut pas beaucoup plus que ses prédécesseurs, Claude, Caligula, Tibère, et même Auguste. Mais il fut le premier d’entre eux, à s’attaquer aux chrétiens et les siècles à venir oublieront le réformateur, l’artiste, pour ne se souvenir que du bourreau. C’est un des rares personnages historiques de l’ère chrétienne à avoir atteint une dimension mythologique. Reconnu comme un demi-dieu de son vivant, il a tué son frère et fait assassiner sa mère. Il est l’égal d’Oreste et d’Œdipe. Quant aux meurtres politiques sont-ils d’un autre temps ? La Russie, le Liban, l’Irak, d’autres pays encore, nous apportent des réponses. Et la France… ?

Jean-Louis Martin-Barbaz

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Spectacle terminé depuis le mardi 10 février 2009

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