Bad boy Nietzsche

... chaque jour moins de pensées, moins d'amour
Richard Foreman par Peter Sellars
Richard Foreman par Richard Foreman

... chaque jour moins de pensées, moins d'amour

Les eaux de la religion s’écoulent et laissent derrière elles des marécages ou des étangs ; les nations se séparent de nouveau, se combattent les unes les autres et demandent à s’entre-déchirer. Les sciences, pratiquées sans aucune mesure et dans le plus aveugle laisser-faire, s’éparpillent et dissolvent toute conviction solide ; les classes et les sociétés cultivées sont entraînées dans une grandiose et méprisante exploitation financière. Jamais le monde n’a été davantage le monde, jamais il n’a été plus pauvre en amour et en dons précieux. Les professions savantes ne sont plus que des phares et des asiles, au milieu de toute cette inquiétude frivole ; leurs représentants deviennent eux-mêmes chaque jour plus inquiets, ayant chaque jour moins de pensées, moins d’amour. Tout se met au service de la barbarie qui vient, l’art actuel et la science actuelle ne font pas exception. Nous ne nous laissons pas induire en erreur par le fait que les individus se comportent comme s’ils ne savaient rien de toutes ces préoccupations. Leur inquiétude montre combien ils en sont informés ; ils pensent à eux-mêmes avec une hâte et un exclusivisme qui ne se sont jamais rencontrés jusqu’à présent ; ils construisent et ils plantent pour eux seuls et pour un seul jour ; la chasse au bonheur n’est jamais si grande que quand elle doit être faite aujourd’hui et demain ; car après-demain déjà la chasse sera peut-être fermée. Nous vivons à l’époque des atomes et du chaos atomique.

F. Nietzsche, Considérations inactuelles, Schopenhauer éducateur.

Richard Foreman par Peter Sellars

Richard Foreman est d’abord et par dessus tout amoureux du théâtre : coups de théâtre, événements extravagants et exceptionnels, comportements irrationnels et obsessionnels, personnages hauts en couleur, éclat des projecteurs, le maquillage, l’illusion, la réalité. L’homme qui est à l’extrême pointe de l’activité intellectuelle dans le théâtre américain a un faible irrépressible pour les sucreries, un besoin monstrueux de trucs forains, de gros effets : exhibitions de monstres, disparitions, transformations et spectacles délirants.

Il a aussi un penchant épouvantable : la passion du grand guignol, des effets bon marché et de la musique ringarde.

Mais il est, par formation et par goût, un être profondément porté à l’introspection. Et son univers esthétique s’est constitué dans un contact prolongé et approfondi avec le monde de l’art. La culture des musées et des galeries est à l’origine de ses choix, des éléments fondamentaux de son vocabulaire, de son goût de l’abstraction et des espaces froids et ordonnés.

Les spectacles de Richard Foreman créent, comme le théâtre d’antan, un monde en soi.

Peter Sellars.
Préface à Unbalancing acts de Richard Foreman.
New York,1992. Trad. M. Raoul-Davis.

Richard Foreman par Richard Foreman

Pour moi être un intellectuel signifie, entre autres choses, une bataille entre mon incohérence latente, native, et mon désir de structurer ce qui sort de moi. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est d’être amené à donner la parole à mon incohérence pour être ensuite en mesure de mettre à jour une structure intérieure incontournable qui recèle et révèle cette folie, ces éléments excrémentiels, cette agressivité à partir desquels justement l’homme élabore ces merveilleuses structures. Ce qui me motive, dans toutes mes pièces, c’est de montrer les pieds dans la boue d’où sortent aussi les prémisses de structures aussi rigoureuses, aussi délicatement et extraordinairement inventives que celle que l’on nomme civilisation. En tant que metteur en scène, je dois produire du déchet pour montrer comment il se dresse vers le ciel.

R. Foreman, Generating a text.