Tableau d'une exécution

Choisy-le-Roi (94)
du 24 février au 21 mars 2006
1h50

Tableau d'une exécution

En s’inspirant d’Artemisia Gentileschi, femme peintre de la Renaissance italienne, Barker tisse la trame de Tableau d'une exécution et invente le personnage de Galactia. La pièce est une oeuvre hors-norme, qui use des ressorts du théâtre classique pour mieux se jouer du public et l'entraîner sans cesse sur des fausses pistes.Un texte surprenant, viscéral et dérangeant.

L'exécution d'un tableau
Tragédie moderne
Repères
Extraits

  • L'exécution d'un tableau

En s’inspirant d’Artemisia Gentileschi, femme peintre de la Renaissance italienne, Barker tisse la trame de Tableau d'une exécution et invente le personnage de Galactia.

Nous sommes à Venise quelque temps après la Bataille de Lépante, où l’Occident triomphe de l’Empire Ottoman. Le doge commande une toile pour célébrer cette victoire. L’artiste à qui il confie la réalisation du tableau est une femme, Galactia. Peintre réaliste, Galactia s’engage avec passion dans l’exécution du tableau et s’exalte à la perspective de réaliser une toile qui dénoncerait la barbarie de la bataille. Les obsessions intimes de Galactia agissent sur la composition du tableau, notamment la fascination et la répulsion qu’exercent sur elle la chair et le sang. Elle veut peindre la vérité et dénoncer l’arrogance de la victoire, l'horreur de la guerre. Elle subit les pressions de son entourage qui souhaite la convaincre de renoncer à son projet. Le tableau achevé, le Doge refuse la toile et jette Galactia en prison. Le tableau sera cependant reconnu comme un chef d’œuvre.

Tableau d'une exécution représentée pour la première fois en 1986, est une oeuvre hors-norme, qui use des ressorts du théâtre classique pour mieux se jouer du public et l'entraîner sans cesse sur des fausses pistes. La pièce de Barker, violente, tant dans la nature des situations que par l'écriture, nous plonge dans un univers baroque et pourtant contemporain. Les personnages sont des êtres complexes, imprévisibles qui se débattent avec leurs propres contradictions. Les situations sont multiples, souvent inattendues propices à des affrontements. La langue abrupte passe d’un style parfois lyrique et poétique à une parole des plus banale. Il est souvent question de sexe et la violence des mots crus crée un contraste fort avec le classicisme de l’époque et du lieu. Le texte est surprenant, viscéral et dérangeant.

Par la Compagnie La Rumeur. Traduction de Jean-Michel Déprats.

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  • Tragédie moderne

"Je veux dire qu'il y a aujourd'hui une possibilité de tragédie moderne, qui rompt avec la tragédie shakespearienne. Mes pièces sont sans moralité, elles divisent le public, où chaque individu est à même de former son idée. C'est un théâtre violent, oui, un peu cruel, intentionnellement excessif, dont la poésie mélange l'argot de Londres et le langage littéraire. J'essaie de rendre compte du monde total où je vis, en étant tout le temps dans les extrêmes. On peut dire cela aussi de Racine ! En écrivant, je fais sans cesse des excursions dans l'enfer où nous vivons. Mais c'est aussi la quête de la beauté dans la langue, la sexualité, la passion." Entretien de Gilles Costaz avec Howard Barker

"La dramaturgie de Barker, nourrie à celle de Brecht et de Shakespeare, s'attache à fonder une conception moderne de la tragédie où s'expriment la complexité des êtres, leur façon de se débattre avec les mouvements de l'histoire et avec les valeurs morales dominantes. Les situations, dans les pièces de Barker, se situent toujours au lendemain des catastrophes, dans les périodes post-révolutionnaires, les immédiates après-guerres, tantôt fables, épopées, tantôt dramaturgies plus "séquentielles" à partir d'une thématique (la guerre, le visage), Barker fouille l'âme humaine dans ce qu'elle a de terrifiant et de magnifique, ballottée entre rationnel et irrationnel, raison et pulsions." Théâtre-contemporain

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  • Repères

Artemisia Gentileschi
Née en 1593, à Rome, elle apprend la peinture auprès de son père Orazio Gentileschi, lui-même peintre et disciple du Caravage. À 19 ans, alors que l'accès à l'enseignement des Beaux-Arts exclusivement masculin lui est interdit, son père lui donne un précepteur privé, Agosto Tassi. Un scandale marque alors sa vie. Artemisia Gentileschi est violée par le peintre Tassi. Elle part alors pour Florence où elle devient un peintre de cour à succès. Elle s'installera ensuite à Rome puis à Naples où elle passera le reste de sa vie. Elle meurt vers 1652.

On attribue à son viol et au procès humiliant qui s'ensuivit certains traits de son oeuvre, l’obscurité et la violence graphique qui s’y expriment, en particulier dans le tableau célèbre Judith décapitant Holopherne. On assiste "en direct" à l’égorgement d’Holopherne, qui se produit au tout premier plan. Dans Judith et sa servante, le meurtre est déjà commis et Judith et sa servante prêtent l’oreille à ce qui se passe hors de la tente : le temps est suspendu, l’atmosphère est feutrée et la personne qui regarde a l’impression de participer à la scène. Les tableaux paraissent horrifiants aujourd’hui, peut-être à cause du contraste entre l’élégance de Judith et son geste violent. Les jets de sang et la plaie sont mis en évidence par la composition.

Pourtant l’attention portée aux détails ornementaux, particulièrement aux robes de soie, est une des caractéristiques du travail pictural d’Artemisia. Cela la distingue du Caravage qui avait préféré concentrer ses compositions sur la dramatisation. Chez Artemisia Gentileschi, l’alliance des deux, ornementation et drame est une position morale plus qu’esthétique, comme si la cruauté était entérinée par cette façon de peindre.

7 octobre 1571, bataile de Lépante
La bataille de Lépante fut la dernière grande bataille où furent opposées les galères traditionnelles dans la mer Méditerranée. La coalition chrétienne (flotte papale, vénitienne et espagnole essentiellement) affrontait la flotte du Grand Turc. La bataille fut une défaite complète pour les Ottomans qui perdirent 260 navires sur les 300 de leur flotte. La démesure de l'affrontement en fit un événement inouï : on dénombra 7 500 morts chez les chrétiens, 30 000 morts et 8 000 prisonniers chez les Turcs.

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  • Extraits

(Scène 1)
Galactia
: Les morts flottent le cul à l'air. Par haine des vivants, ils leur montrent leurs fesses. Je sais cela de source sûre. Pendant ce temps leur visage scrute le fond de la mer où reposent leurs os. Après la bataille, les vagues étaient grumelées de culs d'hommes, de culs réprobateurs dansant sur les lames déferlantes, bancs de fesses coagulées, douleur muette dans les petites criques de l'aube. Ce sur quoi on s'assied a une personnalité. Ton cul à toi me dit "gentillesse mais manque d'intégrité". Je crois que tu ne quitteras jamais ta femme.
Carpeta : Si, je quitterai ma femme. J'ai toutes les intentions du monde de quitter ma...
Galactia : Non, tu ne la quitteras jamais. J'y ai cru jusqu'à ce que je commence ce dessin, mais je le vois maintenant, ton cul est éloquent à ce sujet, c'est un cul qui ne veut pas bouger...
Carpeta : Je t'en veux, Galactia...
Galactia : Tu m'en veux...
Carpeta : Oui, je t'en veux et je...
Galactia : La rancœur est une émotion si pitoyable ! D'ailleurs ce n'est même pas une émotion, ce n'est qu'un petit pincement d'amour propre. Pourquoi en vouloir aux gens quand on peut les haïr ? Ne bouge pas !
Carpeta : Tu es la femme la plus impitoyable, la plus égoïste que j'ai eu le malheur de fréquenter. Tu es arrogante, vaniteuse, et tu n'es même pas jolie, c'est l'inverse d'ailleurs et pourtant...
Galactia : Tu bouges...
Carpeta : Je bouge et alors ? J'ai ma...
Galactia : Tu gâches le dessin...
Carpeta : J'ai ma fierté comme toi, et je n'ai pas l'intention de rester allongé comme ça à subir tes attaques, tu me voles toute mon énergie, tu m'épuises et mon travail va à...
Galactia : Quel travail ?
Carpeta : Je n'ai pas avancé dans mon travail !

(Scène 2)
Galactia
: Je peins la bataille de Lépante et je la peins de telle façon que tous ceux qui la regarderont auront l'impression d'y être, et tressailliront de douleur à l'idée qu'une flèche pourrait jaillir de la toile et leur crever l'œil... de telle façon que les enfants trembleront et se réfugieront auprès de leurs parents au bruit des navires qui se heurtent... Ce sera un tableau si bruyant que les gens le contempleront effarés en se bouchant les oreilles, et quand ils seront sortis de la salle, ils vérifieront que du sang ou des éclats de cervelles n'ont pas giclé sur leurs vêtements...

(Scène 5)
Galactia
:… L’acte de peindre est un acte d’arrogance. C’est arrogant de décrire le monde puis de jeter le résultat à la face du monde. C’est arrogant de rivaliser avec la nature… Peindre c’est se vanter, et si tu n’aimes pas la vantardise, ne peins pas.

(Scène 6)
Galactia
: Chez moi, c’est le ventre qui parle. C’est oui ou c’est non. Et quand je montre de la viande coupée en tranches, c’est de la viande coupée en tranches, ce n’est pas un prétexte pour faire du style. De la viande coupée en tranches. Comment coupe-t-on la viande en tranches ?
Suffici : Pour une artiste, je vous trouve plutôt brutale.
Galactia : Brutale pour une artiste ? Mais c’est le travail de l’artiste d’être brutal. Préserver la brutalité, voilà ce qui est difficile.

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Spectacle terminé depuis le mardi 21 mars 2006

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