Leçon de Nuit

Point de lendemain mais toute une nuit dans l’univers libertin de cette fin du XVIIIème siècle où une fortuite rencontre prend une dimension de rêverie et de conte. Madame de T* entretient une amitié sensuelle avec la jeune Célie dont elle a entrepris l’éducation amoureuse. A force de confidences et de confessions, elle achèvera son œuvre en racontant à la précoce Célie cette nuit toute de noir et de lumière vêtue où elle initia le jeune Damon aux voluptés d’un amour éphémère. Dans un lieu improbable où tout peut-être caché ou dévoilé, dans l’obscurité d’un sérail féminin, Célie jouera tour à tour le mari et l’amant trompé, elle aussi séduite par le jeune homme à l’avenir prometteur.

Christophe LIDON
Metteur en scène

UN TISSU DE ROMANS

Denon est un tissu de romans. Roman, d’abord, que son nom plus qu’étrange. Roman, sa venue à Paris, son entrée foudroyante et énigmatique, à vingt deux ans, à la cour de Louis XV, en intimité avec le Roi . Roman (et déjà policier), sa mission à Saint-Pétersbourg, son séjour chez Voltaire, la publication anonyme (et controversée pendant un siècle) de Point de Lendemain . Roman encore, sa vie d’ambassade à Naples chez Marie-Antoinette, ses curiosités archéologiques, son récit de voyage en Sicile ( là encore une affaire d’anonymat à briser ), et plus encore ces cinq ans, apparemment sans rien faire (ah oui ?), à Venise. Roman, son retour précipité en France au plus dangereux moment, en pleine Terreur, sa protection par David, son entrevue avec Robespierre, cette bizarre impunité, donc qui le suit partout. Roman fabuleux celui de l’expédition d’Egypte où, à plus de cinquante ans, il se soumet aux pires épreuves physiques. Roman d’aventures, militaire et financier, sa vie " d’huissiers priseur ", de l’Europe quand, sur les traces de l’Empereur, il rafle, dans les pays conquis, les tableaux, les sculptures, les objets, pour créer ce Louvre où se presseront, de plus en plus, les visiteurs de la vision d’art. Roman, enfin, ses dernières années allusives, au bord de la Seine.

Philippe SOLLERS
Le cavalier du Louvre
Editions Plon, 1995

UNE INITIATION

Un soir à l’Opéra Mme de T*, prise d’un caprice, enlève le jeune Damon, passe avec lui une nuit enchanteresse dans un château des environs de Paris et le renvoie le lendemain, s’étant donné la triple satisfaction de tromper son mari, le marquis son amant et la comtesse son amie, maîtresse de Damon.

Les premières lignes d’une étonnante concision, imposent un rythme rapide qui ne ralentira plus : " J’aimais éperdument la comtesse de M. ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans ; elle me pardonna : et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. "

Raymond Trousson

Dominique-Vivant DENON, tiré du PETIT JOURNAL DES GRANDES EXPOSITIONS (N° 314 du 20 octobre 1999 au 17 janvier 2000)

" Né avec un goût décidé pour les arts, dès mon enfance je leur ai voué plutôt un culte qu’une admiration. "

Qui était Denon ?
Il est aujourd’hui connu pour avoir écrit à trente ans un délicieux conte libertin, Point de Lendemain, et pour avoir suivi Bonaparte en Egypte . Mais cet écrivain voyageur était aussi dessinateur et graveur. Curieux de tout, passionné par la découverte d’œuvres pouvant enrichir son musée, il arpenta l’Europe de Saint-Pétersbourg à Madrid en passant par Rome, Florence, Munich, Berlin, Vienne et Dantzig. Denon fut également un grand collectionneur, aussi éclairé qu'éclectique, et constitua une collection où se côtoyaient des peintures de Fra Angelico et des statuettes péruviennes .

Histoire d’un conte libertin : Point de Lendemain
C’est tout d’abord en tant qu’écrivain que ce Bourguignon, familier des ateliers d’artiste comme de la cour de Versailles - il a été nommé gentilhomme ordinaire du Roi en 1768 -, cherche à se faire un nom. Il fait jouer à la Comédie Française une pièce en trois actes et en prose, Julie ou le Bon père. L’échec est total. Il est vrai que l’argument est d’une rare mièvrerie : jeune et riche, Damis aime Julie, fille d’un gentilhomme pauvre. Ce dernier ne donnera son consentement au mariage que lorsqu’il apprendra la ruine de Damis .

En 1777, Denon récidive avec plus de succès mais aussi plus de discrétion. Le petit conte libertin, Point de lendemain, qu’il fait paraître dans les Mélanges littéraires est signé des seules initiales M . D . G . O . D . R, que l’on peut interpréter ainsi : Monsieur Denon Gentilhomme Ordinaire du Roi . Damon, âgé de vingt cinq ans, raconte comment une amie de sa maîtresse, Mme de T*, partant pour sa résidence de campagne afin de se réconcilier avec son mari, réussit à le convaincre de l’accompagner. Après des retrouvailles et un dîner contraints, le mari se retire. Mme de T* propose alors à Damon une promenade dans le parc. La conversation roule sur l’amour, les idées puis les sens s’échauffent. Mme de T* conduit le jeune homme à un cabinet, merveille de raffinement et de luxe où elle s’offre à lui. Le lendemain matin arrive. Tout avait été arrangé par les amants pour tromper la clairvoyance du mari. " Adieu, monsieur, dit Mme de T* en prenant congé de Damon, je vous ai payé d’un beau rêve. "

De nombreuses rééditions et réécritures, dont une nettement plus érotique parue en 1800, traduisent le succès de l’ouvrage devenu un chef-d’œuvre du genre. Denon est-il responsable de chacune d’entre elles, notamment de celle publiée, toujours anonymement en 1812, alors qu’il occupait des fonctions officielles importantes ? En 1829, Balzac donne une nouvelle version de Point de Lendemain dans la méditation XXIV de la Physiologie du mariage.