Voilà plus de trente ans, alors que j’étais étudiant en médecine, une amie au nom prédestiné - Magali Vegh - m’a offert Le Monde d’Hier en expliquant : « Toi qui rêves de devenir écrivain, tu dois lire ce livre ». Ce livre, depuis, ne m’a plus quitté.
Le Monde d’hier est un livre-testament, le dernier livre qu’ait écrit Stefan Zweig, le plus personnel aussi, le seul où il ait jamais dit « Je ». Personne n’a sans doute si justement raconté et incarné le tragique du destin européen. Zweig est le héros et le narrateur, le témoin et l’acteur de cette histoire qui décrit, de l’intérieur, les fastes et l’anéantissement de la MittelEuropa et où passent comme autant de personnages de roman, de Mahler à Freud, de Schnitzler à Rilke, tout ce que l’Europe a connu de plus brillants esprits.
A la fois chant du cygne et message d’espoir, ce texte s’y avère d’une poésie et d’une puissance rarement égalées dans l’ensemble de l’oeuvre du Viennois.
Livre de chevet des inconditionnels de Zweig, Le Monde d’hier n’a pourtant pas connu l’écho de Lettre d’une inconnue, du Joueur d’échecs ou de Marie Antoinette. Et il est l’un des seuls textes de Zweig à n’avoir jamais été monté au théâtre. Il faut dire que l’adaptation de cet ouvrage embrassant un demi-siècle et tout un continent, racontant l’histoire politique et culturelle européenne peut apparaître comme une gageure. J’ai tenté d’en faire une histoire simple, celle d’un homme témoignant de la perte de ce qu’il a de plus cher.
Sans doute comme dans aucun de ses autres textes, la voix de Zweig ne résonne aussi fortement qu’ici. Et aujourd’hui plus que jamais, cette voix, éteinte un soir de février 1942, nous manque. L’ambition de ce spectacle est de la faire entendre à travers l’épopée sublime et tragique de la MittelEuropa et de l’humaniste disparu.
Adapté du texte original Le Monde d’Hier, édition Les Belles Lettres, traduction Jean-Paul Zimmermann.
Musique de Michel Winogradoff.
« Mais une heure pleine, dense, d’une intensité de plus en plus bouleversante (...) À la fois direct et distant, ironique et fraternel, d’une lucidité terrible et glaçante, il hypnotise, distillant une indicible émotion. En lui sourd toute la désespérance des illusions perdues. » Didier Méreuze, La Croix, 27 mai 2016
« Le Monde d’hier , dans sa sobre représentation, n’est pas seulement une leçon d’histoire. Les morceaux choisis par Laurent Seksik, le jeu très actuel, simple et juste, de Jérôme Kircher (qui co-signe la mise en scène) confèrent au spectacle une actualité sinistre. » Philippe Chevilley, Les Echos, 7 avril 2016
« Dans Le Monde d’hier, Zweig retrace, avec une ampleur et une lucidité sans pareilles, l’évolution de l’Europe de 1895 à 1941. (...) l’adaptation signée Laurent Seksik, recentrée sur le parcours personnel de Zweig, en restitue la quintessence. Elle offre un parcours fluide et sensible dans la complexité de ce Monde d’hier. » Fabienne Darge, Le Monde, 7 avril 2016
« Ce spectacle d’idée, sobrement soutenu par une ambiance musicale légère et nostalgique, souligne l’enfer du nationalisme et l’importance d’être citoyen du monde. Ce « Monde d’hier » qu’il décrit n’est certes pas le monde d’aujourd’hui, mais comme toutes périodes sombres de l’humanité, l’histoire semble se répéter. » Hadrien Volle, Sceneweb
« Dans une interprétation sobre, tendue et fine, Jérôme Kircher dit l’émotion de Zweig, laisse entendre dans les légers tremblements de sa voix le désenchantement, l’inquiétude, la peur des noirs lendemains. Dans une résonance sensible avec le monde d’aujourd’hui » Annie Chénieux, JDD, 5 avril 2016
« Grâce à un jeu d’une netteté et d’une subtilité remarquables, d’une sobriété et d’une intériorité retenue qui font entendre chaque mot, Jérôme Kircher accorde à ce témoignage toute sa puissance dramatique, et toute sa poignante lucidité. Co-mise en scène avec son ami Patrick Pineau, la pièce évite tout superflu et se concentre sur l’essentiel. En cela, la mise en scène fait écho à l’écriture si extraordinairement limpide de Stefan Zweig. Dans cet espace étroit, réduit, quasi nu, émerge cette voix d’une Mitteleuropa disparue. C’est une présence d’acteur et c’est un fantôme d’écrivain qui nous alertent. A méditer… » Agnès Santi, La Terrasse, 23 oct 2018
« Je suis né en 1881 dans un grand et puissant empire, celui des Habsbourg ; mais qu’on ne le cherche sur la carte ; il en a été effacé sans laisser de traces. J’ai été élevé à Vienne, la métropole deux fois millénaire qu’il m’a fallu quitter comme un criminel avant qu’elle fut humiliée jusqu’à n’être plus qu’une ville de province allemande.
Mon oeuvre littéraire a été réduite en cendres dans le pays même où mes livres s’étaient faits des amis de millions de lecteurs. C’est ainsi que je n’ai plus de lien nulle part, étranger partout, hôte tout au plus là où le sort m’est le moins hostile ; même la vraie patrie que mon coeur a élue, l’Europe, est perdue pour moi depuis que, pour la seconde fois, prise de la fièvre du suicide, elle se déchire dans une guerre fratricide. Contre ma volonté j’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité ; jamais, - je ne le note point avec orgueil, mais avec un sentiment de honte, - une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale. Mon aujourd’hui est si différent de chacun de mes hiers, qu’il me semble parfois avoir vécu non pas une existence, mais plusieurs, toutes diverses.
Si, je dis sans y prendre garde : « Ma vie », je me demande : « Laquelle de mes vies ? » Celle d’avant la première guerre mondiale, d’avant la seconde, ou ma vie de maintenant ? Si je me surprends à dire : « Ma maison », de laquelle de mes anciennes demeures j’entends parler, de celle de Bath, de Salzbourg, ou de ma maison paternelle à Vienne ; et si je dis « chez nous », je me souviens aussitôt avec effroi que depuis longtemps je n’ai plus de patrie... »
Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, Traduit de l’allemand par Jean-Paul Zimmermann
96 avis