Puisant aux sources des anciennes légendes nordiques, où de jeunes filles sont transformées en cygnes par un terrible maléfice, Tchaikovski compose en 1877 son premier ballet, Le Lac des cygnes, d’une singulière douceur et mélancolie. Comme en écho à sa propre expérience, où l’amour rêvé demeure impossible, la partition se place sous le thème de la fatalité.
Mais l’œuvre restera incomprise jusqu’à ce que Marius Petipa, dont le centenaire de la disparition est célébré en 2010, lui donne sa propre lecture chorégraphique en 1895. Il déploie pour le corps de ballet féminin, avec le concours de Lev Ivanov, de majestueuses figures et crée le mythe de la danseuse-cygne, qui deviendra la ballerine par excellence. Dans la version que Rudolf Noureev imagine pour le Ballet de l’Opéra en 1984, le prince Siegfried prend toute son ampleur psychologique. Personnage romantique et déchiré, il fuit une réalité imposée pour se réfugier dans un monde imaginaire et fantastique. Il introduit également la figure de Rothbart, précepteur manipulateur et machiavélique, donnant une dimension plus complexe à ce chef-d’œuvre du ballet d’action.
Musique : Piotr Ilyitch Tchaikovski
Chorégraphie et mise en scène : Rudolf Noureev (Opéra national de Paris, 1984) d’après Marius Petipa et Lev Ivanov
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Lumières : Vinicio Cheli
Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Le Lac des cygnes est un conte fantastique, où le réel et l’imaginaire s’interpénètrent : l’être aimé, une jeune fille-cygne surnaturelle, appartient à un autre monde inaccessible. Le sujet ne pouvait que séduire Tchaikovski qui fuyait son identité homosexuelle, entretenant une liaison épistolaire platonique avec son mécène, Nadejda von Meck.
Aussi, quand en 1875 le Théâtre Bolchoï de Moscou lui demande d’écrire la partition d’un ballet qui s’inspire des légendes ancestrales de princesses métamorphosées en cygnes, il accepte aussitôt, même si composer pour la danse n’est pas considéré à l’époque comme une activité sérieuse. Des compositeurs de ballet qui l’ont précédé - Adolphe Adam (Giselle, 1841) et Léo Delibes (Coppélia, 1870 ; Sylvia, 1876) - Tchaikovski retient l’idée d’une œuvre globale homogène à caractère symphonique et le principe du « leitmotiv », thème mélodique définissant chaque personnage qui revient et se développe à chacune de leurs apparitions.
La création du Lac des cygnes a lieu en 1877 à Moscou, la même année que celle de La Bayadère de Marius Petipa et Ludwig Minkus à Saint-Pétersbourg. Mais si La Bayadère est d’emblée un immense succès, ce n’est pas le cas du Lac des cygnes, dont la critique apprécie peu la médiocre chorégraphie du Tchèque Wenzel Reisinger. Il faut attendre 1895 et la reprise du Lac à Saint-Pétersbourg dans la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov pour que la partition nostalgique de Tchaikovski soit enfin mise en valeur. Gloire posthume au compositeur, décédé deux ans plus tôt.
En livrant à la danse la figure du cygne, Tchaikovski aura ouvert des horizons insoupçonnés au ballet, lui donnant le moyen d’approfondir ses propres modes d’expression et de se singulariser dans l’univers du théâtre et de l’opéra. C’est ce qu’a compris Marius Petipa : en façonnant l’image du cygne dans le corps de la ballerine, il a donné forme à son tour à un nouveau mythe, celui de la danseuse-cygne, danseuse par excellence.
Plusieurs versions du Lac des cygnes se sont succédées à l’Opéra de Paris. La chorégraphie de Vladimir Bourmeister, entrée en 1960 au répertoire, est la première version intégrale que découvre le public parisien. Dans la chorégraphie que Rudolf Noureev réalise pour le Ballet de l’Opéra en 1984 - la seconde après celle donnée vingt ans plus tôt à l’Opéra de Vienne - le Prince Siegfried se dérobe à la réalité du pouvoir et du mariage pour se réfugier dans ses rêves, où lui apparaît un lac magique porteur de l’amour idéalisé d’une femme-cygne. Par cette relecture freudienne, Rudolf Noureev ajoute une profondeur désespérée à la poésie romantique des « actes blancs ».
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