
La Belle Hélène
Programme de la soirée
Interview de Hélène
Delavault
Arrangements, direction musicale et piano : Yves Prin
mise en place : Jean-Claude Gallotta
Musiciens
Violon : Jérôme Akoka
Contrebasse : Jean Pierre Pichot
Percussion : Daniel Ciampolini
Trompette : Claude Egéa
Trombone : Jean Christophe Vilain
Flûte, saxophones : Jean-Pierre Solvès
Est-il encore nécessaire de présenter Hélène Delavault, voix humaine s'il en est, musicienne par passion qui, non contente de se glisser dans les mots des autres aime parfois écrire les siens. En résumé une artiste qui nous donne rendez-vous là où on ne l'attend pas toujours ! La dame nous revient ainsi avec « Femme... Femmes », une petite revue de la « chanteuse à voix » au XXe siècle, vaste programme qui entend accorder le frisson, le polisson et le plaisir musical. Ce voyage dans le temps se veut une évocation des riches heures des cabarets de 1900 à 2000 : vingt chansons dont les intitulés semblent dessiner le profil d'une femme définitivement moderne : ainsi des Amis de Monsieur à Ma Petite mitrailleuse, de Depuis qu'les couturières remplacent les couturiers à Berceuses d'une mère prolétaire, de La Rumba mondaine à J'suis snob, de Je suis une poupée de cire à J'vieillis, la Femme devient les Femmes. Chacune de ces ritournelles épouse le siècle, ses guerres comme ses libérations, ses modes comme ses révoltes, ses angoisses comme ses espoirs. Hélène Delavault déroule alors le plus somptueux des génériques qui rassemblerait Vincent Scotto, Sacha Guitry, Bertolt Brecht, Boris Vian, Serge Gainsbourg, Barbara et Schubert, entre autres bienfaiteurs de l'humanité musicale. Mais, parole de femme d'honneur, n'allez pas chercher dans ce récital déclaration ou revendication contre les hommes ! Pour preuve, Hélène Delavault en a d'ailleurs choisi quelques-uns pour l'accompagner dans ce parcours sans fausse note : Yves Prin, qui signe les arrangements, dirigera huit musiciens de son piano, et Jean-Claude Gallotta, chorégraphe toujours inspiré par l'amour des femmes, mettra en espace les vocalises choisies. Et qui sait, si portée par l'esprit cabaret, Hélène Delavault ne se risquera pas à quelques pas de danse sur ce ragtime rageur annoncé, Phèdre, signé d'un certain Racine... Preuve que la femme est l'avenir de l'homme quels que soient les temps de la conjugaison.
1900 Quand on vous aime comme ça, P. de Kock, Y. Guibert
Tu m’as possédée par surprise, J. Lenoir, Maubon, Bloch
Phèdre, Y. Prin, J. Racine-Delavault
1914-1918 Ma petite mitrailleuse, V. Scotto, T. Botrel
1920-1930 La Veuve, P. Larrieu, J. Jouy
La Femme est faite pour l’homme, Oberfeld, Pujol
L’Amour au passé défini, V. Scotto, G. Koger
Berceuse d’une mère prolétaire ; H. Eisler, B. Brecht
La Rumba mondaine, Harlet, Valmy, Guide
Je ne t’aime pas, Kurt Weill, M. Magre
Ich bin von Kopf bis Fuss, Hollaender
1945 Sigh no more, N. Coward
1950 J’suis snob, B. Vian, J. Walter
1960 Je suis une poupée de cire, S. Gainsbourg
1970 Stars, J. Ian
Depuis :
La Diva sur le divan, Y. Prin, H. Delavault
La Veuve de génie, Y. Prin, H. Delavault
J’vieillis, M. Jonasz
Femme… femmes ?, Y. Prin, H. Delavault
Une chanson particulière a-t-elle déclenché votre envie de créer Femme...femmes ! ?
Hélène Delavault: Il n’y a pas eu, précisément, une seule chanson, mais depuis que je chante et que j’aborde ce répertoire, une certaine image de femme, un personnage s’est comme dessiné au fil du temps. C’est ce qui m’a donné l’envie d’aller un peu plus loin dans cette direction. Le récital le Tango stupéfiant réunissait des auteurs de facture classique. Dans Amours et trahisons, il s’agissait d’amour, comme toujours. La Républicaine évoquait la Révolution de 1789 et les luttes démocratiques ultérieures. L’Absinthe abordait les chansons de la période montmartroise, le tout début du siècle. J’ai aussi toujours aimé le cabaret berlinois, les années vingt et trente. J’ai voulu cette fois-ci créer une sorte de récapitulatif de tous les genres et de toutes les figures féminines qui ont traversé le siècle à travers les chansons.
Vous déclinez toutes les facettes d’une petite histoire de la féminité...
H. D.: Et une petite histoire de l’amour dans le siècle, puisque les chansons parlent toujours d’amour, exceptée peut-être J’suis snob de Boris Vian. Les références à l’amour sont toujours là, ce qui change, dans l’histoire, c’est évidemment la condition féminine. La femme, comme individu social, a formidablement changé, au moins en Occident, puisqu’on se cantonne à l’Occident. Avec les huit musiciens, le metteur en scène Jean-Claude Gallotta et l’arrangeur-compositeur Yves Prin, j’ai voulu explorer un siècle de féminité, et comprendre comment a évolué le rapport des femmes aux hommes, et celui des hommes aux femmes. Je me suis documentée, j’ai lu beaucoup d’ouvrages sur les femmes et le siècle, sur les grands évènements qui jalonnent cette évolution sociale. Le droit de vote, la contraception, l’avortement... Ces évènements constituent une certaine histoire des femmes, que la danse de Jean-Claude Gallotta tente de suggérer également à son tour. Il m’a proposé un corpus de mouvements simples que j’utilise dans le spectacle. Nous partageons tous deux une complicité artistique très forte, et d’une très grande drôlerie.
Sur le plateau, vous vous métamorphosez en diva du siècle...
H. D.: Je me suis imaginée comme une chanteuse de plus de cent trente ans, une diva du cabaret qui aurait traversé le siècle et tous les styles. Je ne suis pas partie pour autant d’un caractère de femme particulier pour choisir les chansons. J’ai laissé faire l’instinct. J’avais jusqu’à présent beaucoup abordé les morceaux d’avant-guerre, mais quasiment pas ceux de l’après-guerre. J’ai élargi mon répertoire en choisissant des chansons comme Poupée de cire - poupée de son, qui remportait le concours de l’Eurovision dans les années soixante. C’était l’époque de l’avancée féministe, de la pilule, entre autres grands progrès de la condition féminine. Et Gainsbourg écrit, pour France Gall, «Je suis une poupée de cire» ! C’est un morceau emblématique d’une époque et d’une génération. Je suis allée lire les premiers numéros de Salut les Copains, je me suis plongée dans l’ambiance !
Tout cela doit être aussi très ironique, bien sûr. Poupée de cire, 1965, est-il le morceau le plus récent du récital?
H. D.: Non, puisque pour la première fois, j’ai écrit moi-même quelques textes de chansons. La Diva sur le divan, Veuve de génie, et Sorcière qui racontera comment la musique est entrée dans ma vie alors que j’étais gamine et que je prenais des cours de piano. La musique a ainsi fait irruption, comme une sorcière, et a changé ma vie. Je participe régulièrement sur France-Culture à l’émission Des Papous dans la tête, pour laquelle je me livre régulièrement à des petits exercices d’écriture, et parfois même à des textes en vers. Cela m’a donné l’envie de continuer, de me risquer à d’autres choses.
Avez-vous choisi des chansons pour ce qu’elles racontent, pour le contexte qu’elles évoquent, ou davantage pour leurs qualités musicales et littéraires?
H. D.: Pour toutes ces raisons à la fois. J’ai déniché, en 1945, des extraits du Canard Enchaîné, très sarcastique à l’égard du droit de vote des femmes, acquis cette année-là. Plus tard, en 1949, Simone de Beauvoir écrit le Deuxième sexe, et en 1950, Boris Vian chante J’suis snob. Ce sont ces parallèles qui m’amusent, qui m¹intéressent. J’ai choisi, pour les années évoquant la première guerre, une chanson intitulée Ma petite mitrailleuse, signée Vincent Scotto. Il s’agit d’une parodie de Ma petite Tonkinoise : un soldat déclare son amour à sa mitrailleuse, et cela fait bien sûr penser à tout ce que l’on peut penser... Nous avons imaginé que mon personnage, sur la scène, chantait pour remonter le moral des troupes. Chaque chanson est ainsi emblématique d’une époque. Elle évoque un contexte particulier. Il y a des choses très différentes, très touchantes, comme les Berceuses d’une mère prolétaire, de Brecht, qui racontent les états d’âme d’une femme qui met au monde un enfant, en s’interrogeant, en 1927, sur la vie qu’elle va pouvoir lui offrir, sur le monde de chômage, de pauvreté, de difficultés auquel elle le livre. Cela reste une préoccupation d’actualité, hélas! Il y a une chanson intitulée Phèdre, constituée des vers les plus connus de la tragédie de Racine, chantés sur un air de ragtime. Dans notre récital, elle illustre la période des années 10 qui ont marqué l’arrivée du ragtime. Pour les années soixante-dix, Stars, une chanson magnifique en anglais, dévoile la vie secrète, solitaire des stars dont on ne voit que le glamour et les paillettes. La chanson Je ne t’aime pas, de Kurt Weill, raconte un amour abandonné. D’autres morceaux sont merveilleux de drôlerie, comme la Rumba mondaine qui évoque l’encanaillement de grandes bourgeoises dans les « bals popus »... Je vis un peu l’opposé, puisque ce registre m’a un peu écartée de la musique dite «sérieuse», de l’opéra et du domaine lyrique, alors que j’aimerais tant chanter également des lieder de Mahler ou de Brahms.
Comment, justement, loin du genre lyrique, allez-vous adapter votre voix à ce registre ?
H. D.: J’ai choisi d’être sonorisée, et de profiter du micro pour ne pas avoir à chanter de façon lyrique. Je veux être plus proche du cabaret, et pouvoir prendre une voix plus grave ou plus aiguë selon les textes et les tonalités. Les deux premiers morceaux du récital sont entonnés avec une voix perchée, comme ils l’étaient, j’imagine, à leur création. Par la suite, les tonalités et la voix changent. Mais je ne cherche jamais à reconstituer une forme ou un répertoire. Je veux raconter, évoquer un esprit particulier, respecter l’univers si singulier des grands tours de chant. J’ai vu Lena Horne, lorsque j’étais étudiante, à New York, dans l’un de ses grands shows, entourée d’un big-band. Elle avait 63 ans, et racontait sa carrière à travers tout un pan de ce répertoire, sans jamais chercher à passer pour plus jeune qu’elle n’était. Quand je l’ai vue, j’ai compris ce que je voulais faire, et je suis toujours restée fidèle à cet univers-là, à cette théâtralisation de la musique, à la cohérence d’un récital dramatisé, au récit comme à l’univers de la scène théâtrale.
Comment l’histoire a-t-elle changé les femmes ? Et comment vous engagez-vous dans ce récit historique sur les femmes ?
H. D.: Ce qui ne change pas, dans l’histoire de la femme, c’est le formidable esclavage du désir. Le désir d’amour, le désir d’être aimée, le désir sexuel... Les désirs ne nous ont jamais laissées libres! Et nous ne sommes pas libres de tout, finalement. C’est peut-être aussi bien comme ça. On ne veut pas de cette liberté-là ! Le récital, cela dit, veut rester très «politiquement modeste». Mon propos est avant tout de partager des moments d’émotion, des rires et des larmes, du rêve et du plaisir.
Propos recueillis par Pierre Notte
pour le magazine de la Maison de la Culture de Bourges (Paris, novembre 2002)
1, Place du Trocadéro 75016 Paris