
" 20 ans dans les montagnes, 15 ans à apprendre le français et l'allemand, 5 jours à laver des petites cuillers et l'éternité à raconter toujours la même histoire voilà la vie de Giovanni Pastore qui n'aurait jamais dû quitter sa Mamma"
Depuis que le Titanic a sombré, emportant avec lui dans les glaces des centaines d'âmes, des dizaines de lustres et trois-mille-cent-soixante-dix sept petites cuillers, Giovanni Pastore raconte son histoire : l'enfance campagnarde dans les montagnes du Frioul, l'errance de l'émigré sur les routes d'Europe, l'embarquement et l'emploi de plongeur responsable des cuillers à dessert dans les soutes du monstrueux paquebot.
Giovanni Pastore ne montera pas sur les radeaux de sauvetage, ne sera pas comptabilisé parmi les disparus et hantera à jamais les flancs du bateau. Alors, dans la grande solitude des mers, il ressasse son existence. Les catalogues poétiques se mêlent aux récits épiques. La force de la langue simple de Patrick Kermann redonne vie entre sourire et émotion aux mille tribulations de l'immigré italien et au luxe si éphémère du navire qui sombre avec le rêve américain.
Quelques mots
Giovanni Pastore parle éternellement. Puits, ou plutôt source, de logorrhée on pourrait dire. Il est là, on vient le visiter, l'entendre, le voir. Il attend, guette notre venue, s'en moque aussi. Il joue avec nous, sans nous, contre nous, pour nous. Le spectateur tient le rôle du visiteur, Giovanni Pastore celui du spécimen rare que l'on vient rencontrer. Dans ce rapport au public nous avons pensé à certains des singes vus au Jardin des Plantes qui savent parfaitement maîtriser leur rapport avec les visiteurs. Ils savent passer au delà de notre regard et aussi être dans ce regard.
Giovanni Pastore est un homme enfermé dans une cage sans barreaux, un aquarium sans vitres. Il est une pièce de musée parmi d'autres. Peut-être y a-t-il dans une salle un peu plus loin le Capitaine Nemo, poursuivant son existence au fond de l'eau, le Petit Prince hantant une étoile...
Il est assis sur un rocher de décor qui a été placé dans sa vitrine. Une algue de carton pâte, mise là pour lui rappeler son univers, l'agrémente. Les couleurs ne sont pas celles du réalisme d'un aquarium, mais celles sur-réalistes d'une mise en scène. Pastore est exposé, mis en scène. Il prend la parole quand la lumière lui ordonne, comme dans les églises quand s'illumine la fresque et qu'un commentaire vient troubler le calme du lieu. Pour la lumière aussi nous avons pensé aux animaux empaillés de la Grande Galerie de l'Evolution, mis en scène de manière si étrange, si troublante par René Allio.
Pastore a gardé son costume d'émigrant, celui qu'il a emporté dans la mort sans doute et qui lui colle maintenant à la peau. Costume noir étriqué, froissé, mangé par le sel, le temps, rigidifié par la mort. Sa chemise est fermée jusqu'en haut de son cou : on ne laisse pas un mort le col ouvert.
6, rue Pierre-au-Lard 75004 Paris