La fille

Est-ce un ciné-concert ? un concert dessiné ? un livre-disque ? un spectacle-film ? Est-ce aujourd’hui, hier, avant-hier ? Tout à la fois sans doute
A la fois livre et disque, spectacle et film, La Fille joue des clichés du western et surtout les déjouent grâce à la voix de Barbara Carlotti et aux dessins de Christophe Blain.
  • Jouer et déjouer les clichés du western

A la fois livre et disque, spectacle et film, La Fille joue des clichés du western et surtout les déjouent grâce à la voix de Barbara Carlotti et aux dessins de Christophe Blain.

La Fille marche sur le plateau comme dans un western ou un road-movie. Parfois elle tire, parfois elle chante. Derrière elle, les décors dessinés d’un conte pour adultes s’animent. Elle n’est pas toute seule, bien sûr. Il y a des amazones et aussi un cow-boy qui la drague. Ensemble ils jouent la comédie de l’amour. La Fille ne sait plus bien où elle en est : est-ce un ciné-concert ? un concert dessiné ? un livre-disque ? un spectacle-film ? Est-ce aujourd’hui, hier, avant-hier ? Tout à la fois sans doute. Car c’est le propre de La Fille de sauter sans cesse d’un monde à l’autre.

  • Entretien avec Barbara Carlotti, Christophe Blain et Jean-François Auguste

D’où est venue l’impulsion de travailler tous ensemble sur ce projet ?
Barbara Carlotti : Je préparais le spectacle Sur le sable chaud. Je voulais pour l’affiche un dessin plutôt qu’une photo. On m’a proposé de rencontrer Christophe Blain. Et très vite il m’a dit : « j’aime bien ton travail, il faut que nous fassions un opéra rock ensemble ». Comme il travaillait à ce moment-là sur un hommage à Pravda la survireuse pour un hors-série du magazine de BD Pilote, nous avons eu l’idée de faire une bande dessinée qui aurait le même esprit et convoquerait les mêmes figures, le road-movie, les motos, les tenues en cuir, tout un monde issu des années 1970 que nous aimons Christophe et moi.
Christophe Blain : À l’origine, La Fille, c’était un livre avec des chansons, un livre-disque. Même si l’envie d’écrire une comédie musicale était là depuis le départ.

Comment s’est passée l’écriture du disque ?
B.C. : Christophe m’apportait le texte du récit. J’essayais d’enregistrer la narration et à chaque fois qu’il me semblait qu’il existait un espace pour la musique, je glissais des chansons, de la musique, que je lui proposais. Et il me disait « oui très bien » ou « non trop abstrait » et nous fonctionnions ainsi, sous forme d’allers et retours. Mais c’était vraiment l’histoire qui guidait le projet, j’en suivais la logique. Ça ne m’était jamais arrivé de travailler ainsi. Tous mes albums, je les avais écrits à l’intuition et en y mettant toujours quelque chose d’assez intime. Là, il fallait que je trouve une forme d’intériorité au sein d’un monde qui m’était donné. Par exemple, je devais écrire une musique qui accompagne des moments d’action, même minimes, et du coup j’ai travaillé des motifs de musiques de films tout à fait inédits pour moi. De même l’univers du cuir, de la moto, des cow-boys m’a catapultée dans un univers musical − le rock des années 1970 – qui n’était pas forcément le mien. Pour rendre compte de la vitesse de la moto, je me suis dit que j’allais utiliser beaucoup de synthé et j’ai suivi des pistes que je ne suivais pas d’habitude.

La Fille est donc un spectacle transgenre en ce qu’il mélange les disciplines artistiques. Comment vont se marier le dessin et la chanson sur scène ? Y a-t-il de grands principes de mise en scène ?
Jean-François Auguste : À partir du livre-disque il fallait créer un nouvel objet, cette fois théâtral, qui ne serait pas simplement une adaptation (comme on peut le faire au cinéma à partir d’un roman). Le parti pris a été de ne pas faire appel à des comédiens et comédiennes pour jouer les rôles de La Fille et de confier à Barbara et son groupe le soin de raconter l’histoire, de prendre en charge la narration et certains dialogues, avec les moyens mis en œuvre, à savoir des projections de certains dessins de la bande dessinée, des films d’animation et des films en super-8, les chansons composées pour la bande dessinée, mais aussi une moto, du pop-corn, de la bière, un drive-in...
B.C. : Nous avion s envie d’une histoire fantasque, ludique, pas très sérieuse non plus, qui fait référence avec légèreté à ce monde en révolution que furent les années 1970. Cette histoire, c’est d’abord une histoire de sensations et nous avons essayé de les retranscrire sur scène. On a pensé à des odeurs d’essence, des bruitages, des ventilateurs pour introduire du vent. On joue aussi beaucoup sur les imaginaires liés aux grands mythes américains. Ce n’est pas un concert dessiné où je chante et où Christophe dessine, mais un spectacle où la notion de mouvement permanent est très présente.

Est-ce qu’en passant à la scène le dessin, qui était conçu pour un livre, a changé ?
C.B. : Je dirais que oui et non. Non, parce que les dessins que j’ai faits spécialement pour la scène ne sont pas d’une nature différente de ceux que j’ai faits pour le livre. Dans le livre, j’avais déjà beaucoup pensé les questions de perspective, de profondeur, de format. D’ailleurs, pour le spectacle, nous reprenons des dessins du livre et nous les projetons en grand et le fait qu’ils soient agrandis leur donne une pêche, une puissance qui est très belle je trouve. Ce qui fait l’énergie d’un dessin, c’est de le faire naturellement. Ensuite, il sera souvent d’autant plus beau que le dessin qui est agrandi était petit au départ. Mais d’un autre côté, oui, bien sûr, c’est différent parce que les dessins sont utilisés dans des techniques très diverses, y compris l’animation, et il a bien fallu s’adapter. Par exemple, certains dessins sont projetés sur des découpes en carton et j’ai dû dessiner des personnages en taille réelle qui s’adaptent aux cartons. J’ai été contraint par la technique mais la manière ou la matière de mon dessin n’ont pas changé.

Avez-vous eu envie de vous montrer en train de dessiner, d’improviser des dessins sur scène ?
C.B. : Non mais il y a un type de dessins dans La Fille qui est lié à une sorte d’improvisation. J’ai dessiné sur une tablette graphique, nous avons enregistré ces dessins en train de se faire puis nous les diffusons sur scène mais en accéléré. Il y a une dimension magique de la vitesse qui est accentuée par le fait que les dessins sont projetés sur une matière particulière : un rideau de cheveux. Il y a donc une double vibration : le trait du dessin en train de se créer en faux direct, où l’on a tout gardé, même les repentirs, et la surface souple des cheveux qui prend la lumière, qui absorbe le crayon, qui fait du dessin quelque chose de très vivant. Dans cette séquence, il y a vraiment l’idée d’un dessin-spectacle.

Le spectacle est truffé d’allusions à l’Amérique, mais on ne peut pas dire que vos dessins eux-mêmes évoquent un dessin typiquement américain.
C.B. : En effet, je ne crois pas qu’il y ait de filiation américaine de mes dessins. Ma fascination pour l’Amérique vient essentiellement du cinéma et de la série télé. Je suis né en 1970 et j’ai été très frappé par l’Amérique des années 1950, 1960 ou 1970 que j’ai vue à la télé quand j’étais gamin. À cette époque-là, le rapport aux États-Unis gardait une sorte de naïveté. Il représentait un eldorado identifié. Et mes dessins partent de ce fantasme. Ils revisitent un souvenir enfantin, fait de westerns, des rues de San Francisco ou de New York, des déserts du Nevada. C’est vraiment un paradis perdu.

Ce spectacle qui s’appelle La Fille, et qui montre une fille à moto et en cuir, manifeste-t-il un désir de revendication féministe ?
B.C. : Peut-être que cela parle de deux formes de féminismes qui pourraient s’affronter. Le féminisme des années 1970, virulent contre le patriarcat, très combatif, et une version moderne du féminisme qui, plutôt que de combattre, joue de tout ce que représente l’homme dans sa forme la plus caricaturale. Il y a bien sûr un côté Barbarella, mais c’est autant les clichés qui nous intéressent − le côté pop, bubble gum, comic strips − que le poids du message.

Souvent le processus de fabrication joue sur la forme finale du spectacle. Comment avez-vous travaillé ? En collant ensemble des éléments disparates ? Ou en travaillant de concert dès le départ ?
J.-F.A. : Nous avons d’abord fait un workshop d’une semaine tous ensemble Barbara Carlotti, Magali Desbazeille (plasticienne, vidéaste), Christophe Blain et moi-même. Nous avons brainstormé sur les transpositions des séquences en version scénique : quel dessin est nécessaire, quel dessin est vraiment opérant visuellement au plateau ? La narration peut-elle prendre en charge l’imaginaire ? Doit-on tout montrer ? tout dire ? Comment introduire des éléments qui ne sont pas dans la BD mais qui relèvent de l’univers et de l’inconscient collectif relatif à l’Amérique ? etc. Au fond, deux lignes ont guidé la mise en scène, deux équilibres parfois délicats à trouver : celui entre l’œil et l’oreille d’une part, et celui entre le visuel et le fil rouge narratif de l’histoire d’autre part. Encore aujourd’hui, sur ces deux lignes, le spectacle est en mouvement. C’est le principe du spectacle vivant, la possibilité de travailler l’objet artistique à l’infini et au fil des représentations. Nous allons encore modifier des séquences pour la rentrée.

Entretien réalisé par Stéphane Bouquet — juin 2014

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Spectacle terminé depuis le samedi 15 novembre 2014

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