La Pantera imperial : un retour aux origines
Tout a commencé il y a cinquante-deux ans. Le petit Carles Santos, qui avait alors
cinq ans, se vit mettre un piano entre les mains, et en route pour le Conservatoire. Une
fois sur place, exercices, gammes, arpèges de Herz, études de mécanisme de Czerny,
délicates partitions de lalbum dAnna Magdalena Bach, Mikrokosmos de Bartok,
sonates de Mozart, valses et polkas de Chopin, préludes et fugues de Bach, monumentales
sonates de Beethoven... Peu après son vingtième anniversaire, ayant digéré quasiment
tout le Conservatoire, il entama à titre personnel son long tour du monde du piano.
Il commença comme concertiste, jouant les partitions de ses contemporains, des
compositeurs auxquels le Conservatoire traditionnel interdisait encore son accès. Puis il
fonda le Groupe Instrumental Catalan, avec lequel il créa plus de deux cents partitions
de compositeurs locaux. A partir de 1978, il se mit à défendre et à diffuser sa propre
musique sur scène. Tout comme lavaient fait Bach, Mozart, Chopin, Schubert et
quasiment toute lencyclopédie des compositeurs.
Au début, il ny avait que lui et son piano. Mais Carles Santos ne tarda pas à se
mettre en quête dautres expériences. Pour stimuler leur couple, il y introduisit
des intrus : jeux de lumière, action théâtrale, autres instruments, autres
instrumentistes, chanteurs et acteurs. Les concerts se transformèrent en spectacles, en
expériences, en orgies ludiques.
Après un si long voyage, les valises pleines à craquer de tant dexpériences,
Carles Santos revient à présent aux origines : à ce Bach quil connut au
Conservatoire. Un Bach quil navait jamais quitté et avec lequel,
jusquà tout récemment, il déjeunait encore dans lintimité tous les matins.
Après des dizaines dannées pleinement et publiquement consacrées à ses propres
oeuvres, Carles Santos a rompu les voeux de son sacerdoce de soi-même pour se consacrer
également à Bach, et qui plus est sur une scène. Il sy agenouille les bras en
croix, un piano à sa droite et un autre à sa gauche, une main sur chaque clavier, et
joue Bach sous le regard attentif et sérieux des trente-deux bustes du compositeur
allemand qui trônent dans le temple. Finalement, il se couche à plat ventre sur le sol,
et tel un diacre en plein rituel, il sordonne lui-même serviteur de Bach. Un Bach
qua enrichi un long périple daventures personnelles. Un Bach qui déborde de
Santos.
Car dans cette Pantera imperial figure son grand amour : le piano-panthère à la robe de
vernis noir ; et on y retrouve aussi le bagage accumulé de ses nombreux spectacles
ils tous sont là, en scène, dune façon ou dune autre avec les codes
de son langage personnel mis au service de la musique dun autre : une musique de
passé, de présent et davenir.
Lourdes Morgades,
El Pais, 15 août 1997
Place de l'Odéon 75006 Paris