L’enfance d’un chef

Paris 18e
du 21 février au 21 mars 2005

L’enfance d’un chef

Une nouvelle de Jean-Paul Sartre qui parcourt l'itinéraire d'un jeune homme jusqu'à l'aube de sa vie d'adulte. Un récit qui, dans un même mouvement, donne à voir la montée en puissance d'un être détestable et révèle l'aveuglement complaisant, voir complice, de tous ceux qui en sont témoins, pris en flagrant délit d'incrédulité ou de compassion… Un portrait au vitriol.

Une plongée glaçante au cœur de l’ignominie
Extrait
Sartre romancier
Note d'intention
La presse

Jean-Paul Sartre s’est adonné avec une extrême parcimonie à l’art de la nouvelle. L’unique recueil qu’il ait publié - Le Mur (1939) - comporte cinq textes fort dissemblables, baignant néanmoins dans une même atmosphère lourde, oppressante, souvent obsessionnelle, et explorant des zones de l’âme humaine confinant au sordide.

L’Enfance d’un chef, le texte le plus long, met en scène un jeune bourgeois, Lucien, dont on suit l’itinéraire moral, sentimental et intellectuel depuis l’enfance dorée jusqu’à l’aube de sa vie d’adulte, après un détour par les milieux estudiantins d’extrême droite. Le portrait au vitriol de cet enfant rêveur, si délicat, si attendrissant, puis de cet adolescent désorienté qui joue un temps à s’affranchir des conventions de son milieu, avant de se métamorphoser en odieux petit chef fasciste, constitue une plongée glaçante au cœur de l’ignominie, dont on constate - une fois de plus - qu’elle surgit de la banalité.

Il n’y a, en effet, qu’un pas de l’extrême banalité à l’extrémisme : il suffit que le bon sens se nourrisse de mauvaise foi et que la délicatesse esthétique dérive vers la fascination pour l’ordre. Le spectacle de cette implacable mais tranquille genèse d’un salaud fait froid dans le dos, d’autant plus que le pire advient comme par surprise, presque par inadvertance, au détour d’une phrase : « dans un café, une heure plus tôt, un adolescent gracieux et incertain était entré, c’était un homme qui en sortait, un chef parmi les Français ».

Il y a une grande perversité dans ce récit qui, dans un même mouvement, donne à voir la montée en puissance d’un être détestable et révèle l’aveuglement complaisant, voire complice, de tous ceux qui en sont témoins - à commencer par le lecteur lui-même qui, pris en flagrant délit d’incrédulité ou de compassion, trahit son manque de clairvoyance face à cette déroute pourtant annoncée. À l’horreur de la réalité évoquée vient s’ajouter le malaise provoqué par la lecture elle-même, signe manifeste d’une littérature forte, dans laquelle Sartre fait montre de plus de jubilation, de gourmandise et, somme toute, de liberté, que dans ses écrits postérieurs.

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Le vrai Lucien - il le savait à présent -, il fallait le chercher dans les yeux des autres, dans l’obéissance craintive de Pierrette et de Guigard, dans l’attente pleine d’espoir de tous ces êtres qui grandissaient et mûrissaient pour lui, de ces jeunes apprentis qui deviendraient ses ouvriers, des Férolliens grands et petits, dont il serait un jour le maire. Lucien avait presque peur, il se sentait presque trop grand pour lui. Tant de gens l’attendaient, au port d’armes : et lui il était, il serait toujours cette immense attente des autres.

« C’est ça, un chef », pensa-t-il. Et il vit réapparaître un dos musculeux et bossué, et puis, tout de suite après, une cathédrale. Il était dedans, il s’y promenait à pas de loup sous la lumière tamisée qui tombait des vitraux.

« Seulement, ce coup-ci, c’est moi la cathédrale ! »

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Jean-Paul Sartre (1905-1980) aura consacré un peu plus d’une dizaine d’années à l’écriture de fictions romanesques, avant d’abandonner définitivement cette forme littéraire en 1949, laissant inachevé son cycle des Chemins de la liberté, dont le quatrième volume annoncé ne paraîtra jamais.

Des années plus tard, dans Les Mots, il ira jusqu’à dénoncer sa vocation, selon lui truquée, d’écrivain - au sens « péjoratif » de romancier ou de nouvelliste, cultivant complaisamment l’illusion de l’imaginaire. Il y a dans cette forme d’abjuration comme l’expression d’une haine de soi - thème sartrien s’il en est - qui ne saurait intimider le lecteur d’aujourd’hui et le dissuader de lire ces œuvres du « jeune » Sartre, dont la hardiesse stylistique - nourrie de littérature américaine et de jazz -, la densité thématique et l’ironique agressivité demeurent salutaires par les temps qui courent.

Rappelons que ce sont ces récits profondément désenchantés, cultivant l’angoisse, la solitude et l’échec, qui ont propulsé Sartre sur le devant de la scène littéraire et intellectuelle d’avant-guerre.

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1939 -1968 - 2005 : Pourquoi ça ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?

« J’achevais mes 17 ans- je courais - non de l’hygiénique foulée du « jogger » quadra « nineties », mais de la rockeuse ambulation du Jogger (Mike) sixty - huit. Je courais donc - le vieux monde était derrière moi - derrière nous - on était toute une flopée. Derrière moi, derrière nous, la colonisation grise et cravatée des années de l’après-grosse guerre, les 18 ans de mes parents, c’était noir et blanc, documentaire - nous c’était le film, enfin.

Et la couleur rouge, mais pas seulement - on allait sortir du cadre, autres montages, autres objectifs, de vigoureux changements de plan - on pouvait rêver - c’était notre cinéma. Et Sartre était déjà - encore - Là ! Plutôt à l’aise - soixantaine tordue mais virile - pas largué, le sympathique tonton, l’agitateur strabique, en situation, au fait, au faite, à la fête, insulté, tenace, honoré et détaché, dans le plein bordel pourtant des Hendrix, Marx family, Barthes, Foucault, Living (theater), Godard, Reiser.

Moi, j’avais en « poche », le livre (n°32) et la pocket (fûtal pat’d’éph !) - Le Mur - qui datait pourtant. Le Mur écrit en plein gris d’avant l’obscur. Le Mur et sa première couverture « creepy » hall de gare (ça devait faire vachement existentialiste entre Cronin et Guy des Cars !).

« Lis-moi ça - surtout la dernière nouvelle, m’avait enjoint, goulu, un mien camarade, mon cadet, mais déjà sérieusement repu de Critique de la raison dialectique. Le dernière nouvelle c’était L’Enfance d’un chef. Ah oui, exemplaire ! En plein dans le mille ! Quatre-vingt petites pages d’un calme vitriol. Le portrait de pied en cap de l’attendrissant salaud, du salaud délicat et cultivé, celui qu’on « peut comprendre » parce que à un poil de nous : le mince petit bourgeois monté en graine de fasciste, antisémite raisonné.

Là Sartre use de l’humour en philosophe, en écrivain - c’est-à-dire de cette espèce de lucidité désespérée qui désopile, démange et fait mal - pour accompagner le parcours qui va de l’enfant rêveur à l’enfant de salaud, de la belle âme à « l’ignominie du chef ». Et tout ça sans appuyer, comme si de rien n’était, sauf le pire qui allait arriver, arriva, arrivera.

Soumission lente à la morne acceptation esthétique de l’ordre, jouissance dans la mauvaise foi et l’argumentation de l’ignoble « bon sens ». Tout cela n’a cessé de me hanter et de nourrir le théâtre que j’ai tenté de fabriquer mes 18 ans bien révolus.

Ce Lucien de L’Enfance d’un chef désigné d’un romanesque prénom, dénonce avec quelques années d’avance d’autres noms et prénoms qui signeront sans pudeur quelques-uns des registres, décrets, articles les plus infamants de notre histoire.

Alors, quand, du giron de cette France du XXIème siècle, se redressent les têtes multiples et justifiées à l’avance de l’ordre moral, du culte du chef, de la peur viscérale de l’étranger, de la soumission à l’ordre des choses « comme elles sont », on peut - on doit - non sans une amère délectation, lire, relire, faire entendre ces quelques pages si bien datées mais qu’aucune date de péremption ne semble avoir touchées - hélas !

En souvenir de mes 18 ans, des 18 ans de mes parents, en hommage aux 18 ans de ma fille et de ses contemporains, et aux (déjà) 23 ans d’absence du bien-voyant et résistant Bigleux - je m’y colle - avec plaisir et à toutes fins utiles.

Dominique Sarrazin

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« Sarrazin tout entier fait sienne la langue de Sartre. Ecriture d’une subtile ironie et d’une tragique poésie, jouissance dans le détail, jubilation dans le descriptif. Il donne à tout cela corps et mouvement, et rythme les mots à l’envi , avec sa lucidité à lui en plus de celle de l’auteur. Cruelle, désespérée. Du philosophe-écrivain, le comédien puise la chair ; sur scène, il la rhabille de nos propres incertitudes. Et l’on rit, de l’ignoble trop ignoble pour être vrai, et l’on frémit, parce que cela appuie là ou ça fait mal. Le texte porte en lui quelque chose de salutaire, l’exercice de Sarrazin, intense, aussi. » Cécile Rognon, Nord Eclair

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Sélection d’avis du public

L'enfance d'un chef Le 6 mars 2005 à 18h22

J'ai été emportée par le texte de sartre qui est un véritable délice; Vous devenez vous même figurant de l'histoire tant l'interprétation de dominique sarrazin est convainquante et juste dans le ton.Une mise en scène minimaliste, bien rythmée,simple.Bravo et merci pour cette belle leçon de comédie.

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L'enfance d'un chef Le 6 mars 2005 à 18h22

J'ai été emportée par le texte de sartre qui est un véritable délice; Vous devenez vous même figurant de l'histoire tant l'interprétation de dominique sarrazin est convainquante et juste dans le ton.Une mise en scène minimaliste, bien rythmée,simple.Bravo et merci pour cette belle leçon de comédie.

Informations pratiques

Atalante

10, place Charles Dullin 75018 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Lieu intimiste Pigalle
  • Métro : Anvers à 120 m, Abbesses à 336 m
  • Bus : Anvers - Sacré Coeur à 108 m, Yvonne Le Tac à 136 m, Trudaine à 256 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

Atalante
10, place Charles Dullin 75018 Paris
Spectacle terminé depuis le lundi 21 mars 2005

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