Knut Hamsun

Knut Hamsun
XIXème siècle XXème siècle

Est-il possible de tracer une ligne dans cette vie, de dégager une cohérence sous ces événements dispersés ? Certains ont voulu réduire le marathon qu’a été sa vie en un cent mètres couru dans un stade nazi. Cette grille d’analyse expliquerait " l’énigme Knut Hamsun " . Pour l’essentiel, cette grille est inutilisable. L’énigme demeure. Pour comprendre Hamsun et son œuvre, le chemin à parcourir passe par la compréhension de la relation que l’auteur entretient avec les mots. Postuler a priori que Knut Hamsun a écrit ses romans pour servir certaines idéologies ou pour gagner sa vie serait une grave méprise. Pas plus qu’il n’était motivé par le plaisir d’écrire de bonnes histoires pour distraire son prochain. Sa motivation ne se fonde pas non plus sur l’indignation morale ou l’engagement. Quant à la vanité ou à l’ambition - le désir d’être célèbre et adulé -, elles n’ont pas joué un rôle déterminant. Certes, ces éléments ont dû jouer quand Hamsun a " choisi " la voie de l’écriture professionnelle, mais leur poids varie selon les époques de sa vie. Une chose est claire : aucune de ces valeurs n’a été l’élément moteur de son écriture. Pour Hamsun, le choix du métier d’écrivain n’a pas été volontaire. Il s’est davantage considéré comme " élu " à cette fonction. Il s’est plié à une nécessité interne, un impératif qui l’a condamné à l’écriture. Hamsun est le seul homme de lettres norvégien auquel l’expression " vocation d’écrivain " pourrait s’appliquer, pour autant qu’elle ait un sens.

Dès sa prime jeunesse, le pouvoir d’évocation et la vie mystérieuse des mots l’ont passionné. Citons un article écrit en 1888, deux ans avant la Faim, son premier succès public :

 " Le langage doit couvrir toutes les gammes de la musique. Le poète doit toujours, dans toutes les situations, trouver le mot qui vibre, qui me parle, qui peut blesser mon âme jusqu’au sanglot par sa précision. Le verbe peut se métamorphoser en couleur, en son, en odeur ; c’est à l’artiste de l’employer pour faire mouche... Il faut se rouler dans les mots, s’en repaître ; il faut connaître la force - directe, mais aussi secrète - du Verbe. Il existe des cordes à haute et basse résonance, et il existe des harmoniques... " 

Alors que Hamsun n’a que trois ans, sa famille déménage pour l’île de Hamarøy, dans le département du Nordland. Ils y vivent d’agriculture et d’un peu d’artisanat, car son père est également tailleur. Knut est le quatrième enfant d’une famille de sept.

Dès l’âge de 17-18 ans, il écrit et publie Le Personnage mystérieux en 1877. L’année suivante, c’est Bjorger qui paraît. Il parvient aussi à faire imprimer Retrouvailles, un poème narratif assez long, en 1878. Ces ouvrages, que le jeune et ambitieux poète en herbe doit considérer comme les premiers chefs-d’œuvre d’une longue activité artistique, ne seront qu’un faux départ, une " mini-carrière " littéraire sans suite. Le lecteur en retiendra surtout que le jeune Hamsun n’a pas évité les pièges de la langue de bois et des clichés.

Encouragé par ce succès local, fort du soutien financier d’Erasmus Zahl, un riche commerçant, Hamsun part à la conquête du monde en 1879, emportant dans ses bagages un " chef-d’œuvre " de plus, Frida, un roman inspiré durant un séjour à øyestese. Désillusionné, il revient quelques mois plus tard à Christiana (Oslo), après avoir - en vain - tenté de le faire publier par l’éditeur Gyldendal de Copenhague.

Suit alors une longue décennie d’épreuves. Hamsun mène une vie turbulente et vagabonde, et s’essaie à de nombreux métiers. Il se rend par deux fois en Amérique où il travaille comme terrassier, vendeur, conducteur de tramway (à Chicago) et conférencier. Aussi nombreuses et variées que soient ses activités, une constante domine : le besoin d’écrire !

à l’automne 1886, il entrevoit une première lumière d’espoir. Après être retourné en Amérique pour de bon - du moins le croit-il -, il publie anonymement dans le magazine danois Terre nouvelle un récit intitulé la Faim. Il se fait remarquer par l’originalité de son contenu et par sa forme obsédante. Le livre du même titre, publié en 1890, marquera sa percée littéraire. Dans les deux ans qui suivent sa parution, la Faim est traduit en allemand et en russe.

Au cours des années 1890, Hamsun publie une série d’ouvrages qui établissent sa réputation d’écrivain parmi les auteurs norvégiens les plus prometteurs. Dans des romans comme Mystères (1892), Pan (1894) et Victoria (1898), il décrit avec une maîtrise langagière incomparable les expériences et les affres qui secouent des individus à la personnalité hors du commun.

Il s’essaie aussi au théâtre, mais le genre lui convient moins que l’épopée. La force de Hamsun réside davantage dans les descriptions, la caractérisation des personnages, que dans le développement dramatique. Ses pièces de théâtre sont souvent statiques à l’excès. Par ses qualités oniriques (avant Strindberg), le Jeu de la vie (1896) est la plus réussie de ses six pièces de théâtre.

Hamsun a plusieurs fois exprimé son mépris de l’art dramatique comme forme artistique. Dans un article paru en 1890, il écrit que " l’auteur dramatique ne saurait être un fin psychologue " . " D’ailleurs le théâtre ne m’intéresse pas " confie-t-il à une admiratrice, " seulement l’argent que j’en tire " .

Après un mariage raté (avec Bergliot Bech de 1896 à 1906), Hamsun retrouve en 1909 le courage de tenter à nouveau l’expérience. Marie Andersen sera sa compagne de toute une vie.

En 1918, le couple achète Nørholm, un vieux manoir passablement délabré. Le " chalet d’auteur " à quelque distance de la ferme permet à Hamsun de cultiver ses projets littéraires sans être dérangé, mais il semble que ses vagabondages de jeunesse l’aient marqué à jamais. Il doit souvent quitter son foyer pour parvenir à se mettre à l’ouvrage.

Au tournant du siècle, Hamsun n’écrit plus de romans centrés sur un personnage principal, et se consacre à des œuvres d’une ampleur sociale et historique plus vaste. Après Enfant de ce temps (1913), et le Village de Segelfoss (1915), largement inspirés de son expérience de la Norvège du Nord, il publie en 1917 les Fruits de la terre, qui lui vaudra trois ans plus tard le prix Nobel de littérature. Le message que Hamsun adresse à un monde en désarroi est clair : retour à la terre et à ses valeurs. C’est à cette époque que le public lettré d’Amérique et d’Angleterre se familiarise avec le nom de Knut Hamsun. Plusieurs de ses œuvres antérieures sont traduites en anglais, mais il ne rencontrera jamais auprès du public anglo-saxon, un succès équivalent à celui qu’il connaît notamment en Allemagne.

Dans les années 1920-1930, la popularité de Knut Hamsun culmine. Il écrit beaucoup et ses nouvelles œuvres atteignent des tirages considérables. Elles sont immédiatement traduites dans toutes les grandes langues mondiales. Les romans qui mettent en scène August, le bourlingueur, sont les plus populaires : les Vagabonds (1927), August (1930) ainsi que Et la vie continue (1933). En 1929 pour son 70 ème anniversaire, la fine fleur de la gent littéraire mondiale dédie un livre d’or au maître. Parmi les nombreuses contributions, on relève celles de Thomas Mann, d’André Gide, de Maxime Gorki, de John Galsworthy et de H.G. Wells.

Des nuages lourds de menaces se lèvent alors à l’horizon politique. Adolf Hitler a pris le pouvoir en Allemagne, dans un inquiétant bruit de bottes. Hamsun est germanophile depuis l’époque de l’Empire. Il l’est resté pendant la Grande Guerre et sous la République de Weimar. Il ne reniera pas ses sympathies pro-allemandes. En 1940, avec l’occupation de la Norvège par l’Allemagne commencent les années douloureuses. D’un point de vue national norvégien, Hamsun a choisi le mauvais camp. Le combat sera sans merci.

En 1945, à la Libération, Hamsun est attaqué de toutes parts. Il est soumis à un examen médical sans ménagement, et les psychiatres le qualifient de " personnalité aux facultés mentales affaiblies de façon permanente " . Par la suite, un procès le condamne à payer à l’état des dommages ruineux pour le soutien moral apporté à l’occupant. Sa position devient délicate, d’autant que ses droits d’auteur, ses seules ressources, sont réduites à néant.

Pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, nombreux ont été les Norvégiens qui auraient voulu - s’ils l’avaient pu - renvoyer Hamsun dans l’anonymat qu’il n’aurait jamais dû quitter. Son besoin de s’exprimer, son désir d’écrire seront les plus forts. Sur les sentiers où l’herbe repousse (1949) prouve que son talent est resté intact. Dans cette œuvre, il se venge du traitement que lui ont fait subir le procureur et les psychiatres. Le ton de l’œuvre reste toutefois celui de la résignation mélancolique.

L’influence de Knut Hamsun sur la littérature américaine et européenne de ce siècle ne fait aucun doute. L’aspect révolutionnaire d’œuvres telles que la Faim et Mystères réside avant tout dans leur contribution à une nouvelle compréhension des méandres de notre psychologie.

En 1929, Thomas Mann affirme que le prix Nobel de littérature n’a jamais couronné un écrivain plus méritant. Des écrivains comme Franz Kafka, Bertolt Brecht et Henry Miller ont tous exprimé leur admiration pour Hamsun.

Comment la Norvège d’aujourd’hui juge-t-elle Hamsun ? Force est de constater que ses opinions politiques jettent toujours une ombre compromettante sur ses œuvres et sa personne. De nombreux Norvégiens - plus de 50 ans après la fin de la guerre - entretiennent toujours des rapports ambigus avec l’auteur, une relation d’amour-haine sur fond d’espoirs déçus.

La " Norvège officielle " a célébré l’auteur avec une singulière discrétion. Les Norvégiens aiment fêter leurs poètes. L’exception faite pour Hamsun n’en est que plus significative. Pas une artère, pas une place, pas un bâtiment public ne porte son nom. Son portrait n’orne aucun billet de banque, et il n’a jamais fait l’objet d’un timbre commémoratif. Le séminaire sur Hamsun organisé à Paris par le ministère norvégien des Affaires étrangères, à l’automne 1994, est l’hommage le plus audacieux que les pouvoirs publics se soient permis.

Mais bien que Hamsun ait fait quasiment l’objet d’une " mort officielle " , cela n’a nullement empêché sa personne et son œuvre de rester au centre des débats littéraires et culturels. C’est sur lui que l’on réfléchit et écrit, c’est de lui que l’on parle. Une Société " Hamsun " a été fondée au cours de l’été 1998 pour une meilleure compréhension de l’artiste et de son oeuvre.

Rédigé par Nytt fra Norge pour le Ministère des Affaires étrangères

Cet(te) artiste n'est pas lié(e) en ce moment à un spectacle.

De 1999 à hier - Knut Hamsun

Faim

Lucernaire, Paris

du 26 août au 25 sept. 2015
1h20
CONTEMPORAIN Coup de cœur Terminé
  • De : Knut Hamsun
  • Adaptation : Florient Azoulay, Xavier Gallais
  • Mise en scène : Arthur Nauzyciel
  • Avec : Xavier Gallais
Dans cette adaptation du roman de Knut Hamsun, Prix Nobel de littérature en 1920, Xavier Gallais épouse au plus près les mouvements inconscients, les élans nerveux et les souffrances physiques du héros. La langue de l’écrivain norvégien, tour à tour lyrique, imprécatoire, clinique ou férocement drôle, est rendue ici dans toute sa modernité fascinante.
Ylajali

Théâtre Silvia Monfort, Paris

du 3 au 14 déc. 2013
1h30
CONTEMPORAIN Terminé
  • De : Jon Fosse, Knut Hamsun
  • Adaptation : Jon Fosse
  • Mise en scène : Gabriel Dufay
  • Avec : Gabriel Dufay, Jean-Paul Wenzel, Muranyi Kovacs, Antoine Bataille
Pour cette pièce tout à la fois tragi-comique, métaphysique et politique, Gabriel Dufay offre une vision épurée. Ylajali, fruit d'une rencontre entre l'univers imprévisible de Knut Hamsun et l'écriture musicale de Jon Fosse, s'offre à nous comme un rêve éveillé et un grand cri d'effroi et de révolte face à la misère.
Faim

Théâtre de la Madeleine, Paris

du 11 déc. 2011 au 11 mars 2012
1h20
CONTEMPORAIN Coup de cœur Terminé
  • De : Knut Hamsun
  • Adaptation : Florient Azoulay, Xavier Gallais
  • Mise en scène : Arthur Nauzyciel
  • Avec : Xavier Gallais
Dans cette adaptation du roman de Knut Hamsun, Prix Nobel de littérature en 1920, Xavier Gallais épouse au plus près les mouvements inconscients, les élans nerveux et les souffrances physiques du héros. La langue de l’écrivain norvégien, tour à tour lyrique, imprécatoire, clinique ou férocement drôle, est rendue ici dans toute sa modernité fascinante.
Une Saison de Nobel 4

Mouffetard, Paris

du 4 au 10 mai 2010
CONTEMPORAIN Terminé
  • De : Herta Müller, François Mauriac, Winston Churchill, Harry Martinson, Knut Hamsun, Gabriel Garcia Marquez, Ernest Hemingway
  • Avec : Anny Romand, Georges Claisse, Camille Japy, Olof Orloff, François Négret, Carmen Durand, Claude Durand, Pierre Santini, Douglas Brodoff, Jean-Michel Noirey
Une plongée dans le paysage littéraire avec la quatrième Saison de Nobel qui propose 7 soirées consacrées à : Ernest Hemingway, Harry Martinson, Camilo José Cela, Winston Churchill, Gabriel Garcia Marquez, François Mauriac et le Prix Nobel 2009, Herta Müller.
Faim

Espace La Comedia, Paris

du 16 avr. au 28 mai 2006
CONTEMPORAIN Terminé
  • De : Knut Hamsun
  • Mise en scène : Xavier Champagnac
  • Avec : Romain Picolet
« Je me dis que si j’avais à manger maintenant, ma tête serait dérangée de nouveau, j’aurais le cerveau enfiévré pareillement et j’aurais à lutter contre toutes sortes d’inventions démentes. »
Victoria, la lettre

Théâtre de la Bastille, Paris

du 2 au 21 nov. 1999
CLASSIQUE Terminé
  • De : Knut Hamsun
  • Mise en scène : Marc François
  • Avec : Pascal Kirsch, Margaret Zenou
Les derniers mots d'une femme à un homme qu'elle a passionnément aimé. Seul l'amour est un roc et Victoria s'y assoit inconfortablement comme sur une simple chaise. Plus la mort approche et plus la vie est éclatante.