Le Tartuffe ou l’imposteur

le 9 novembre 2004
2H30

Le Tartuffe ou l’imposteur

CLASSIQUE Terminé

Dans cette comédie en cinq actes créée en 1669, Molière vise les faux dévots et radicalise sa satire sociale. Tartuffe est un imposteur, un aventurier laïc qui, sous couvert de dévotion, s’introduit dans une famille bourgeoise et tente de diriger les consciences. Dominique Pitoiset transpose ce chef d’œuvre dans un 20ème siècle aux allures de polar. Il installe un rythme et une atmosphère qui tirent cette comédie servie par d’excellents comédiens, vers une chronique des plus actuelles.

La violence implacable d’un fanatisme religieux
Note d'intention de mise en scène

Une pièce d'après guerre

De la Fronde à Radio-Londres
Une langue qui résiste et qu'on écoute à nouveau

Dans cette comédie en cinq actes créée en 1669, Molière vise les faux dévots et radicalise sa satire sociale. Ce chroniqueur de génie nous renvoie avec force à des préoccupations d’aujourd’hui, nous en offre des symboles et des archétypes qui nous permettent de mieux l’appréhender.

Tartuffe est un imposteur, un aventurier laïc qui, sous couvert de dévotion, s’introduit dans une famille bourgeoise et tente de diriger les consciences. Le faussaire s’incruste, demande des gages, taxe, usurpe et dépouille graduellement Orgon, sa victime, sous le regard ahuri de ses proches qui tentent de résister et se divisent.

Dominique Pitoiset transpose ce chef d’œuvre dans un 20ème siècle aux allures de polar, en contraste avec un texte fidèle au mot près à la langue de l’auteur. Il installe un rythme et une atmosphère qui tirent la comédie vers une chronique des plus actuelles. Servie par d’excellents comédiens, sa mise en scène révèle la violence implacable d’un fanatisme religieux qui mène une famille entière au bord du gouffre.

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Une famille se voit contrainte, par l'intransigeance de son chef, d'accepter la présence d'un intrus dans sa maison. Le parasite s'impose et en impose. Caché derrière le masque de la dévotion ce nouveau venu sans papiers, recherché par la police du roi, engraisse au profit de sa dupe complaisante. Le père hébété, entièrement soumis au pouvoir de son maître de conscience, est prêt à tout pour le retenir et le satisfaire. Le péril n'est pas mince, la résistance, jusqu'ici démunie, s'organise comme elle peut. Il faut démasquer et chasser l'imposteur.

Ce fait divers dramatique, plusieurs fois censuré à l'époque où il fut porté sur le théâtre, nous rappelle combien au cœur de nos société, dans l'intimité de nos foyers, la dérive sectaire peut faire de dégâts. Cette peste sévit en permanence en s'attaquant aux plus fragiles d'entre nous. Crise d'identité, faillite affective, élan mystique soudain, le faussaire s'introduit, s'incruste, demande des gages, taxe, usurpe et dépouille graduellement sa victime sous le regard ahurit de ses proches guère préparés à s'en défendre. On n'est pas immunisé contre ces sales maladies, qu'elles se soient appelées hier "compagnie du saint sacrement" ou aujourd'hui "ordre du temple solaire", "église de scientologie", "michi no tomo kyokai", "mandarom", "jeunesse et lumière", "fraternité cosmique", "écoute ton corps", "résurgence templière"... La liste est longue. Les gourous s'infiltrent, intoxiquent, empoisonnent.

Oublions un peu Molière, les chefs-d'œuvre du répertoire classique, le théâtre enfin, et songeons à entendre cette histoire d'hommes et de femmes que nous tentons aujourd'hui de reconstituer devant vos yeux et pour vos oreilles. Oublions un moment la petite musique de l'alexandrin baroqueux et écoutons le poids des mots terriens et concrets d'un chroniqueur de génie. Une parole militante, enfin. Notre cher Jean Baptiste fut avant tout un rédacteur politique au service d'un prince. Informer, infléchir et convaincre. "Si l'art de la comédie est de corriger les hommes..." disait-il.

Laissons les décors dans la réserve, les costumes "historiques" au vestiaire. Privilégions les individus. L'économie, encore restreinte, de cette nouvelle aventure carougeoise m'a poussé a reconsidérer les premières nécessités de nos entreprises artistiques. Une histoire forte, de bons acteurs, un espace vide, quelques lumières, quelques sons, et un public en alerte et vigilant. Alléluia !"

Dominique Pitoiset, octobre 2002

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"En toile de fond du Tartuffe, - pièce que Molière n’écrit pas pour la postérité mais adresse, en son temps, à ses contemporains - figure l'une des plus graves crises politiques qu'ait dû affronter la France, un conflit intérieur et fratricide qui prit le nom d'un jouet : la Fronde. Alors que Louis XIV était encore enfant et que le pouvoir était exercé par sa mère Anne d’Autriche et le Cardinal Mazarin, cette guerre civile contesta le système de monarchie absolue ; divers partis dont le Parlement de Paris, puis la noblesse du royaume, tentèrent à cette occasion d’étendre leurs pouvoirs et leurs droits. Et ce fut durant plusieurs années, autour de 1650, un long cortège de destructions à travers le pays.

Les allusions à la Fronde apparaissent dans plusieurs passages du Tartuffe. À la scène 2 du premier acte, Dorine parle de "Nos troubles" et du comportement d'Orgon durant cette période qui l'ont fait considérer comme un "homme sage" parce qu'alors il "montra du courage" à "servir son Prince". A l'avant-dernière scène du dernier acte, un Exempt (c’est-à-dire un officier de la police du roi) vient dire à Orgon que ce prince n'a pas oublié le "zèle qu'autrefois on vous vit témoigner en appuyant ses droits". Orgon est ainsi récompensé pour être resté du côté du roi et n’avoir pas pris le parti des nobles révoltés, qui semblèrent pourtant plusieurs fois sur le point d’emporter la partie. Celui qui représente désormais sans contestation le pouvoir légitime sauve Orgon et sa famille de l'expropriation espérée par Tartuffe. On notera tout de même ce que l’intervention brutale de l’Exempt raconte sur l’emprise du pouvoir policier dans le nouveau régime de la toute puissance royale.

Malheur à ceux qui ont fait l’autre choix : l’Exempt annonce aussi à Orgon qu’il est pardonné d'avoir conservé en secret la cassette contenant les papiers d'un de ses amis exilé car considéré comme "un criminel d'Etat" (selon les termes rapportés par Valère, acte V, scène 6), pour n’avoir pas choisi alors le "bon" camp. Orgon s’en explique à Cléante dès la première scène du dernier acte, un petit coffre lui ayant été confié par "Argas, cet ami que je plains" et qui en s'enfuyant lui a ainsi "mis entre les mains" une cassette contenant "des papiers, à ce qu'il m'a pu dire, où sa vie et ses biens se trouvent attachés". En d’autres termes, on pourrait dire qu’Argas a collaboré avec les occupants, et qu'il a dû fuir en Espagne… à la Libération…

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La comparaison est approximative, mais permet de saisir un peu mieux les relations entre les personnages, en les transposant dans un temps similaire plus proche de nous. Et en Europe, il n'y a pas de période qui ressemble mieux à cet immédiat "après-Fronde" que la fin des années 40 et le début des années 50 du XXe siècle, temps de restauration euphorique de l'ordre social après des années de chaos, de destruction et de mort. Une époque aspirant à plus de confort matériel, ouvrant un nouvel âge d'or pour la bourgeoisie, dans une ambiance générale de consommation euphorique qui pouvait bien susciter chez certains le désir de consolider une autorité défaillante en la délégant à des directeurs de conscience, et à s'offrir quelques escapades dans le registre du spirituel.

Ce grand écart de trois siècles, passant des années d'après la Fronde aux années suivant la Seconde Guerre mondiale, est l'une des grandes options proposées par Dominique Pitoiset. Scandale ? On se rappellera qu'au temps de Molière, toutes les époques, jusqu'aux plus antiques, étaient représentées sans aucun souci de couleur locale ni de style, en accord avec les modes du temps de la représentation. Ce n'est qu'avec le comédien Lekain au XVIIIe siècle et surtout à partir de Talma au début du XIXe que les costumes se firent "historiques", nouvelle norme qui fut à son tour transgressée… Pourtant, quel intérêt y a-t-il à quitter les costumes chamarrés, froufroutants et amusants du XVIIe siècle ? La réponse se trouve bien sûr dans la question. Il s'agit de quitter un certain confort esthétique et de se mettre en état de retrouver le cœur brûlant de cette pièce, ce qui la fit considérer en son temps comme une œuvre de combat et même une si redoutable machine à dénoncer l'hypocrisie, que son auteur, pourtant protégé du roi, subit une longue censure.

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Le texte n’a subit aucune coupure. La langue, qui reste au mot près celle de Molière et du XVIIe siècle parisien, contraste avec les costumes, les éléments de décor et les accessoires qui maintiennent l’évocation du milieu du XXe siècle. On notera d’ailleurs que 1950 est l'année même où Louis Jouvet imposa superbement une nouvelle manière d'aborder Tartuffe, comme un personnage ni grotesque, ni "génie du mal", mais sévère et réellement inquiétant, ceci dans un décor stylisé, sombre et dépouillé.

Avec l'aide du verbe moliéresque, certes daté, mais toujours concret, il est possible de retrouver des comportements actuels et parfaitement compréhensibles pour les spectateurs. La syntaxe et le lexique sont pour une bonne part dans la force et l'étrangeté de ce texte, à la fois solidement classique et pourtant devenu en partie étranger à notre début de XXIe siècle. Sur cette ossature, on peut bâtir une fable proche de notre temps : l’histoire d'un certain Tartuffe, comme il en existe des milliers d'exemplaires sévissant journellement à travers le monde. Traiter ainsi l’œuvre de Molière ne renvoie pas à des dangers fictifs, à des risques dépassés, mais au contraire nous rappelle notre grande vulnérabilité. Qui dans la région genevoise a déjà complètement oublié l'existence de l'Ordre du temple solaire ?"

Joël Aguet

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Informations pratiques

Théâtre Suresnes - Jean Vilar

16, place Stalingrad 92150 Suresnes

Accès handicapé (sous conditions) Bar Grand Paris Hauts-de-Seine Restaurant Vestiaire
  • Tram : Suresnes Longchamp à 2 km
  • Bus : Stalingrad à 18 m, Place de Stalingrad à 82 m, Stresemann à 191 m, Place de la Paix à 331 m, Les Mazurieres à 377 m
  • Transilien : Suresnes Mont Valérien à 2 km
  • Navette gratuite Paris - Suresnes : Une navette est mise à votre disposition (dans la limite des places disponibles) pour vous rendre aux représentations du Théâtre.

    Départ de cette navette 1h précise avant l’heure de la représentation (ex. : départ à 19h30 pour une représentation à 20h30), avenue Hoche (entre la rue de Tilsitt et la place Charles de Gaulle-Étoile), du côté des numéros pairs. À proximité de la gare Suresnes-Longchamp (Tram 2), la navette peut marquer un arrêt sur le boulevard Henri-Sellier (à l’arrêt des bus 144 et 244 (direction Rueil-Malmaison), 25 minutes environ avant la représentation. Faites signe au chauffeur.

    La navette repart pour Paris environ 10 minutes après la fin de la représentation, et dessert, à la demande, l’arrêt Suresnes-Longchamp, jusqu’à son terminus place Charles de Gaulle-Étoile.

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Plan d’accès

Théâtre Suresnes - Jean Vilar
16, place Stalingrad 92150 Suresnes
Spectacle terminé depuis le mardi 9 novembre 2004

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Spectacle terminé depuis le mardi 9 novembre 2004