La folie du jour

Saint-Denis (93)
du 16 janvier au 5 février 2006
1h15

La folie du jour

  • De : Maurice Blanchot
  • Mise en scène : Yves Adler
  • Avec : Yves Adler, Sabine Le Noël, Jorge da Silveira
Qui mieux que Maurice Blanchot a su nous guider dans les arcanes de la création littéraire et artistique ? Qui a su nous faire entendre, mieux que lui, ce qui est en jeu par le fait que « quelque chose comme l’art ou la littérature existe » ? Ce que nous dit La Folie du jour, c’est que « le doute appartient à la certitude poétique ». La force et la beauté de l’écriture de Blanchot laissent augurer un théâtre qui nous entraînera dans un espace où cohabitent vie et mort, visible et invisible, naturel et surnaturel.

Théâtre poétique
Maurice Blanchot, en retrait définitif
Note du metteur en scène

  • Théâtre poétique

Qui mieux que Maurice Blanchot a su nous guider dans les arcanes de la création littéraire et artistique ? Qui a su nous faire entendre, mieux que lui, ce qui est en jeu par le fait que « quelque chose comme l’art ou la littérature existe » ?

La folie du jour écrite en 1973, pourrait paraître une oeuvre autobiographique de l’auteur de L’Espace littéraire, elle échappe cependant à toute réduction personnalisante. Ce que nous dit La Folie du jour, c’est que « le doute appartient à la certitude poétique ». La force et la beauté de l’écriture de Blanchot laissent augurer un théâtre qui nous entraînera dans un espace où cohabitent vie et mort, visible et invisible, naturel et surnaturel.

« Je ne suis ni savant ni ignorant. J’ai connu des joies. C’est trop peu dire : je vis, et cette vie me fait le plaisir le plus grand. Alors, la mort ? Quand je mourrai (peut-être tout à l’heure), je connaîtrai un plaisir immense. Je ne parle pas de l’avant-goût de la mort qui est fade et souvent désagréable. Souffrir est abrutissant. Mais telle est la vérité remarquable dont je suis sûr : j’éprouve à vivre un plaisir sans limites et j’aurai à mourir une satisfaction sans limites. » Maurice Blanchot, La folie du jour

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  • Maurice Blanchot, en retrait définitif

L’écrivain français le plus discret, le plus secret, est mort et enterré depuis hier. L’auteur du Livre à venir, entre autres essais et fictions, qui n’a cessé d’arpenter l’espace littéraire et d’explorer l’écriture du désastre, avait depuis beau temps prémédité son effacement. L’écrivain Maurice Blanchot s’est éteint jeudi dernier à son domicile près de Paris. Il était âgé de quatre-vingt-quinze ans. Ses proches, à son instigation sans doute, ont eu mission de ne confirmer le décès qu’hier, après ses obsèques. Il n’y avait aucune raison pour qu’un homme en qui l’écriture revenait à l’art de s’effacer se mette à soudain exiger qu’il soit fait grand bruit de sa mort.

Paradoxalement, son retrait volontaire, son apparente absence délibérée, ne cessèrent d’entourer son nom d’une aura singulière, d’autant plus flagrante que, la littérature n’étant plus qu’une infime portion du divertissement généralisé, celui qui refuse de se donner en spectacle se trouve ainsi placé au cour d’un silence étourdissant. La hauteur de Blanchot, son refus sans tapage du monde comme scène n’ont pas peu contribué à instaurer son mythe de grand absent, de surmoi éclairé au cours des ténèbres. Cette posture, ni pose ni attitude, n’était-elle pas consubstantielle à son ouvre, tout entière vouée à l’exercice du neutre, à l’exploration de la solitude en même temps que l’amitié de loin et, pour tout dire, à la familiarité avec la mort ? D’abord écrivain pour écrivains, certes, Maurice Blanchot est peu à peu devenu, en quelque quarante ans, la figure essentielle de la littérature, au plus haut sens du mot, dans les parages d’une exigence qui n’eut d’égale, peut-être, que celle de Stéphane Mallarmé. Son rôle d’inspirateur, de «partenaire invisible» est considérable (1).

D’Emmanuel Levinas et Georges Bataille (avec lesquels il cultiva une amitié durable), de Sartre à Foucault, de René Char à Roland Barthes, de Michel Deguy à Louis-René des Forêts, notamment, en passant par Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy, avec lesquels le dialogue par écrit fut direct, ne serait-ce que sur la question de la communauté, sans oublier Roger Laporte, il y a quelque temps disparu, tout prêt de quêter l’osmose avec celui qui lui fut littéralement un maître, Blanchot a occupé dans «l’Espace littéraire» (pour reprendre le titre d’un de ses essais fameux, paru chez Gallimard en 1955, dans lequel il passe au crible métaphysique les conduites de création de Kafka, Hölderlin, Rilke, Mallarmé...) la place tantôt d’un prophète, oracle aux prédictions irréfutables, et tantôt d’un miroir réfléchissant. Ce pouvoir secret, il l’exerça, semble-t-il, sans volonté de pouvoir, avec la seule affirmation d’une persistance dans son être, au demeurant extrêmement sensible aux vents politiques contradictoires d’un siècle éruptif.

Né (le 22 décembre 1907) à Quain, hameau de Devrouze, canton de Saint-Germain-du-Bois (Saône-et-Loire), dans une famille bourgeoise catholique, musicien - la pratique de l’orgue et du piano lui est un héritage de famille -, Blanchot effectue ses études secondaires à Chalon. En 1922, l’année du bac, il subit une intervention chirurgicale à l’abdomen. Une erreur médicale, touchant au sang, affectera sa santé pour le reste de ses jours, qui furent nombreux. Cet effleurement de ce qu’il nommera « le feutre de la mort », il l’évoquera, entre autres, dans L’Arrêt de mort (Gallimard, 1948) et La Folie du jour (Fata Morgana, 1973).

On peut dire que Blanchot subit la maladie sa vie durant, la tuberculose surtout. Cela imprègnera son écriture d’une manière de stoïcisme, soit de progressif détachement, qui touchera aussi bien à l’histoire du sujet qu’à celles de l’expérience d’écrire et de la politique. C’est peu de dire que la politique, chez Blanchot, est domaine d’élection. Avant et pendant la guerre, après avoir étudié la littérature allemande et la philosophie à Strasbourg (c’est là que Levinas devient son alter ego), il est
de droite nationaliste résolument. Publiciste, il est éditorialiste puis rédacteur en chef au Journal des débats. Il travaille également dans l’hebdomadaire satirique «Aux écoutes». De 1931 à 1944, il collaborera à Réaction, à La Revue française, au Rempart et à L’Insurgé puis à la revue Combat, fondée par Thierry Maulnier.

Depuis 1938, il n’intervenait plus qu’en qualité de critique littéraire, d’emblée se posant les questions qui lui seront essentielles : peut-on parler de la littérature ? Et d’abord existe-t-elle ? Son premier recueil critique (Faux pas, Gallimard, 1943), paraît quelque deux ans après ses fictions inaugurales, Thomas l’obscur et Aminadab (Gallimard).

Après la guerre, Blanchot, sous le coup de la révélation de ce que fut l’univers concentrationnaire qui conduisit à l’Holocauste eut à coeur de renier (d’expier ?) certains de ses écrits antérieurs coupables d’antisémitisme, qu’« avec raison, écrivit-il, on me reproche ». La fréquentation de Robert Antelme, rescapé des camps, auteur de L’Espèce humaine, ne fut pas pour rien dans cette remise en question. C’est aussi l’époque de l’amitié avec Marguerite Duras (il consacrera un beau texte à sa Maladie de la mort), non loin de François Mitterrand qui avait ramené in extremis, du camp où il croupissait, un Antelme à bout de forces. L’amitié, mot sacré pour Blanchot (en 1971, ne publiait-il pas L’Amitié, Gallimard ?), il l’éprouva aussi très fort pour Bataille, à qui l’unissaient maintes affinités de pensée.

Blanchot n’eut-il pas, de surcroît, une liaison avec Denise Rollin, ancienne maîtresse de l’auteur de Madame Edwarda ? Rare indice biographique vulgaire, tant Blanchot semble à jamais un pur esprit. Lors de la prise du pouvoir du général de Gaulle le 13 mai 1958, Blanchot est aussitôt de ceux qui s’insurgent contre le coup d’État, comme il sera l’instigateur et vraisemblablement le rédacteur principal du Manifeste des 121, qui exhortait les soldats du contingent en Algérie à la désertion. Dix ans plus tard, après les barricades du Quartier latin, Blanchot, en compagnie de Dionys Mascolo, entamait avec d’autres un travail de prospective sur le communisme...

Sa pensée, on dira, a donc arpenté de A à Z le spectre idéologique de son temps. Ce parcours s’effectua de pair avec une vision de la littérature qui, elle, assez rapidement définie, n’ira qu’en s’affinant et qui, sans doute, s’affirme en toute souveraineté dans Le Livre à venir (Gallimard, 1959), dont est devenu célèbre l’incipit sur les sirènes et Ulysse s’attachant au mât du vaisseau pour ne pas succomber à leur chant. Lire Blanchot, cela relève d’une fortifiante entreprise d’abstraction. Ses récits, dans lesquels il n’est souvent pas commode de démêler le je du il, hors de toute histoire ou anecdote dûment repérables, creusent à l’envi une sorte de vide proprement inouï, qui confine aux derniers retranchements de l’art d’écrire, à supposer que cela ait encore un sens. En cela, on est en droit de se demander si cette tentative des limites ne saurait être, au bout du compte et à la fin des fins, quelque peu stérilisante, tout en demeurant, au strict point de vue de son auteur, gratifiante ad vitam aeternam.

Jean-Pierre Léonardini, L’Humanité, 25 février 2003

(1) Maurice Blanchot, partenaire invisible, c’est le titre de la biographie (quelle gageure s’agissant de Blanchot), publiée en 1998 par Christophe Bident, chez Champvallon.

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  • Note du metteur en scène

Maurice Blanchot n'a cessé de disparaître de la scène médiatique. Pas d'image de lui, presque aucune interview. C'est donc d'un mode très particulier de présence, une présence faite de beaucoup d'absence, dont témoigne son parcours. Sa mort en 2003 n'étant alors que l'achèvement d'un processus déjà largement engagé.

Parmi ses récits, La folie du jour dit surtout la difficulté de se raconter pour celui qui écrit. Elle dit aussi à quel point le je du narrateur est aussi un il, une sorte de Neutre qui parle à travers lui. Elle dit l'extrême singularité et ce faisant elle dit l'essentiel de l'expérience de l’écriture. L'attrait que ce texte exerça sur moi fut longtemps de l'ordre de la fascination. Avec le temps, cette fascination s'est muée en une profonde intimité, puis a progressivement laissé place à une distance nécessaire pour le lire.

Mon envie est aujourd'hui de faire sortir cette écriture devenue parole du « cercle des initiés », pour la faire entendre le plus largement possible. II m'apparaît de plus en plus qu'il y a là des ponts qui débouchent sur le théâtre. Des ponts comme autant de questions soulevées auxquelles le théâtre doit pouvoir donner sinon des réponses au moins des formes. Ce qui nous entraînera dans un espace où cohabitent vie et mort, visible et invisible, naturel et surnaturel.

Mon intention est de traiter tout le texte, sans retrait ni ajout. Un texte qui dans un double mouvement ne cesse d'aller de l'avant, en même temps qu'il ne cesse de retourner vers l'origine. "Je ne suis ni savant ni ignorant", dit l'homme au début. Ce sont les mêmes mots qu'il reprend à la fin. Il y a passage du temps, mais tout finit pourtant par retourner au point de départ. Tout retourne au néant. C'est l'Eternel Retour.

Ce double mouvement qui est à l'oeuvre radicalement ici s'apparente également à ce que le philosophe Derrida appelle la déconstruction. Destruction et construction ont lieu en même temps. De la même façon que plus un être avance dans une vie et se construit, en même temps que plus il va vers sa mort et ne cesse de se détruire, celui qui parle ne cesse d'être aspiré par le chaos et tente constamment de s'en extraire. Combat entre l'informe et ce qui prend forme. Entre l'oubli et la mémoire. C'est ce combat qui conduira l'action. Combat qui n'ira pas sans risque.

« Quand je mourrai (peut-être tout à l’heure) », cette phrase dite au début du texte introduisant un danger. À tout moment, tout pourrait s'interrompre. Même si mourir n'est pas nécessairement synonyme de souffrir. « Quand je mourrai (peut-être tout à l’heure), je connaîtrai un plaisir immense ». La parole s'inscrira dans un temps et un espace qui s'apparentent à ceux de la Tragédie. Unité de lieu, unité de temps et d'action. Nous partirons de la Nuit pour aller vers le Jour. Après avoir atteint le point culminant du Jour, le Midi, la pleine lumière, nous reviendrons vers la Nuit.

« L'on est jamais plus près de soi que lorsqu'on se perd », fait dire Robert Musil à l'un de ses personnages dans Les Exaltés, une des rares pièces de théâtre qu'il ait écrite. Nous ferons de cette perte le viatique de ce voyage.

Yves Adler, 7 mai 2005

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