Compagnons inconnus…

Bobigny (93)
du 3 au 8 décembre 2010
1h40

Compagnons inconnus…

Bernanos, c’est une langue qui n’existe plus, qui accompagnait des valeurs en voie d’extinction. Paix, guerre, patrie, culture… Elle sonne aujourd’hui comme une langue étrangère. C’est pourtant la nôtre.

L'oeuvre
Citation
Entretien avec Samir Siad et Valérie Aubert

  • L'oeuvre

Comme l'arbre peut cacher la forêt, la réputation de Bernanos dissimule une oeuvre plus complexe et plus riche qu'on ne le pense souvent. On ne peut résumer ce grand écrivain à l'adjectif « catholique » qui lui est systématiquement accolé, même si il fut effectivement un catholique très engagé, compagnon de route des royalistes antisémites.

Mais il fut ensuite, et avec une honnêteté absolue, un pamphlétaire violent dénonçant le franquisme meurtrier, la lâcheté des accords de Munich en 1938 dont il comprend que c'est le début d'une tragédie épouvantable, l'effondrement des démocraties pour cause de compromission et de trahison. C'est ce Bernanos là, enfant meurtri et jamais guéri de la guerre de 1914-1918 à laquelle il participa, que Valérie Aubert et Samir Siad veulent faire entendre à travers des extraits des oeuvres de combat, des Grands Cimetières sous la lune et des Enfants Humiliés.

C'est le parcours d’un homme qui s'interroge sans cesse, qui ne veut pas s'aveugler en s’enfermant dans la défense d’une idéologie, qui se veut au plus proche des tous les humiliés, tous ceux qui sont bafoués et méprisés et en particulier ses frères de combat, les anciens combattants de la première guerre mondiale. D'une lucidité étonnante, il perçoit, lui le résistant gaulliste de la première heure, le pourfendeur de la « ridicule dictature agricole de Vichy », le triomphe des technocrates inhumains qui dirigeront notre univers.

Toujours combattant, toujours dérangeant, toujours lucidement angoissé, il en appellera, jusqu'à sa mort, à la vigilance et à l'engagement : « Jurons ensemble sur nos villes détruites que le monde ne sera plus livré demain comme avant à la conspiration des faux prestiges, à la férocité des guerres et à la bestialité de l'argent ». Bernanos : auteur démodé ou écrivain visionnaire ?

D’après Ecrits de combat, adaptation de Samir Siad.

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  • Citation

 " Je ne suis pas un prophète mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir.
Le monde moderne regorge aujourd’hui d’hommes d’affaires et de policiers, mais il a bien besoin d’entendre quelques voix libératrices, [...]
Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l’avenir comme on attend le train. " 

Georges Bernanos

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  • Entretien avec Samir Siad et Valérie Aubert

Georges Bernanos n’est pas un des écrivains les plus en vue de ce début de xxie siècle. Pourquoi avoir choisi cet auteur ?
Samir Siad : C’est en ouvrant d’abord ses œuvres romanesques que j’ai rencontré Bernanos. Puis je me suis intéressé plus généralement à la totalité de ses écrits. Je ne connaissais pas du tout cet auteur avant cette première rencontre, je ne l’avais jamais étudié pendant ma scolarité. Il était passé sous silence car même lorsqu’on étudiait les auteurs « caholiques » on s’intéressait plus à Paul Claudel et à François Mauriac. Après les romans, j’ai découvert ce que l’on appelle les Ecrits de combat qui sont des essais politiques, et j’ai découvert des textes qui n’avaient pas vieilli, qui parlaient des tragédies du xxe siècle et en particulier, des deux Guerres mondiales et de leur onde de choc qui s’étend jusqu’à nous. Plus je saisissais le développement de sa pensée, plus j’avais le sentiment qu’il y avait là une parole possible pour comprendre notre aujourd’hui. J’ai également été séduit par son style, par une écriture qui va chercher le lecteur, une parole vivante et libératrice.

Bernanos n’a-t-il pas été victime de son engagement catholique ?
S. S. : Certainement alors qu’il n’était en aucune façon sectaire. Certes il reste profondément relié à la foi qu’il a reçue lors de son enfance, mais cette foi pour lui est synonyme de liberté et non d’embrigadement, de fanatisme ou d’intolérance. Tout en restant fidèle toute sa vie à l’Eglise, il n’en restera pas moins un farouche tenant de la liberté de pensée. Ceci à ses yeux n’est nullement contradictoire mais, au contraire, c’est la condition d’une fidélité vivante et non conformiste. Il n’hésitera pas à se battre sans rien ménager, et surtout pas sa réputation, contre une certaine Eglise officielle lorsqu’elle se rangera en Espagne, par exemple, aux côtés des bourreaux et des imposteurs.

Bernanos étant décédé en 1948, quels sont les thèmes qui vous paraissent en écho avec notre aujourd’hui ?
S. S. : Le mot qui me paraît résumer toute l’œuvre de Bernanos c’est celui de liberté. Il a développé une réflexion profonde sur ce thème depuis sa participation à la Première Guerre mondiale jusqu’à son décès. Elle est au centre de ses écrits et de sa vie à travers tous ses engagements et les expériences qu’il a vécues : la guerre de 1914-1918, la Seconde Guerre mondiale, le fascisme, l’industrialisation, la mécanisation, la post-industrialisation, la bombe atomique… Un de ces derniers livres : La France contre les robots avait d’ailleurs pour premier titre Hymne à la liberté. Il aimait reprendre cette phrase attribuée à Lénine : « la liberté pour quoi faire ? ». C’est-à-dire : à quoi bon ? à quoi sert d’être libre ? C’est à cette question qu’il n’a eu de cesse de répondre tout au long de sa vie jusqu’à ses dernières conférences où il réfléchit aux totalitarismes passés et futurs. à cet égard, pour lui le capitalisme ne se différencie pas fondamentalement des autres totalitarismes. La rencontre de la spéculation avec le machinisme qui a permis la production sans mesure, fraie la voie à la mécanisation de la société et donc à sa « totalitarisation » : la technique disposant corps et âme des individus.

Est-ce la personnalité du résistant Bernanos, très engagé auprès du Général de Gaulle, qui vous a aussi intéressé dans votre travail ?
S. S. : Il est à noter que Bernanos garde toujours une certaine distance avec ses engagements. Il craint par-dessus tout la propagande, ce qu’il appelle « la machine à bourrer les crânes » et que nous appelons aujourd’hui la communication. Il se méfie des faits héroïques qui sont souvent récupérés et frauduleusement arrachés à ceux qui les accomplirent – et qui sont souvent morts – pour servir à des fins de manipulation des esprits. Il rejette par exemple de façon épidermique toute forme d’hommage officiel qui pour lui aboutit inéluctablement au mensonge, et enferme irréparablement ceux qui moururent héroïquement dans une gangue infrangible de bêtise et de banalité.

Son trajet politique est quand même surprenant ?
S. S. : Il est en effet passé de l’Action Française réputée antisémite à la lutte contre tous les fascismes, ce qui en fit un des grands animateurs de la Résistance, à tel point que De Gaulle au lendemain de la Libération lui proposa de devenir ministre à ses côtés, ce qu’il refusa pour conserver sa liberté de parole. C’est vraiment son expérience de la Guerre civile espagnole – il vivait à ce moment là avec sa famille à Majorque – qui accéléra sa prise de conscience de l’évolution des démocraties vers le totalitarisme, même si son expérience de la Première Guerre mondiale et de l’imposture du Traité de Versailles avait déjà suscité sa révolte et sa vocation littéraire. Il fait partie de ces anciens combattants qui ne « marchent » pas dans la réécriture de la guerre. Il retrouvera ce sentiment au moment de la Libération en 1944 avec tous ses excès et ses mensonges. Il n’a en aucune façon un esprit cocardier et il analyse très bien les conséquences tragiques de ces victoires proclamées qui font l’économie de l’explication des fautes et des responsabilités qui ont engendré des millions de morts. Il débusque les impostures et les mensonges qui conduisent à l’humiliation et à la désespérance des peuples. Je suis certain qu’il analyserait les grands conflits d’aujourd’hui à l’aune de ces critères, en particulier les problèmes que l’occident a avec une partie du monde arabo-musulman.

Le pacifisme de Bernanos après 1918 ne l’a pas entraîné vers l’acceptation des accords de Munich ou vers le soutien au fascisme…
S. S. : Comme un oiseau migrateur qui sent venir l’orage, Bernanos a quitté la France en 1938 non par lâcheté, mais parce qu’il ne supportait pas le climat délétère qui allait faciliter le lâche abandon des Accords de Munich. Il condamne ces derniers, car il pense que « les grandes canailleries de l’Histoire ne sont pas faites par les canailles mais par les lâches et les impuissants ». à ses yeux, le personnel politique français et européen de l’époque n’a rien compris à la personnalité d’Hitler qui, pour Bernanos, est ultimement un « enfant humilié » qui n’a eu de cesse de réparer son humiliation par tous les moyens quitte à mettre l’Europe à feu et à sang. Bernanos pense que la parole donnée ne doit jamais et sous aucun prétexte être reniée sous peine de se trouver en état de péché mortel. Il faut prendre le risque que donne la liberté de penser et de juger, et résister coûte que coûte.

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Il n’est pas un idéologue ?
Valérie Aubert : Non, Bernanos n’est pas un homme de système. Il tente à tout prix d’être clairvoyant, de dire ce qu’il pense sans rien ménager et sans compromission. Il embrasse pleinement le risque de penser même contre ceux qui ont pu être à un moment donné ses compagnons de route, ceux qui pensent pouvoir le récupérer, les gens de droite comme de gauche. Il ne veut sous aucun prétexte être enfermé dans un cadre idéologique. Défendre une idéologie risque de conduire l’idéologue à assumer les mensonges que cette idéologie peut couvrir. Bernanos, au contraire, traque le mensonge, tel l’Abbé Donissan dans Sous le Soleil de Satan, sous toutes ses formes et jusqu’en lui même.

En tant qu’écrivain, existe-t-il une unité d’écriture entre les romans et les écrits politiques ?
S. S. : Certainement, même s’il s’agit de deux formes littéraires distinctes. Sous la pression des événements qu’il a traversés, Bernanos a dû renoncer à écrire des romans, en particulier après son départ d’Espagne, lorsqu’il s’est installé au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais même lorsque Bernanos est confronté à l’actualité la plus brûlante et qu’il livre un article à un journal clandestin qui sera envoyé aux résistants du maquis, Bernanos reste fondamentalement et avant tout un romancier, et c’est avec la même implacable volonté de comprendre qu’il explore la vie intérieure de ses personnages ou qu’il décrypte l’Histoire et les êtres qui l’écrivent.

A partir de quels textes composez- vous votre spectacle ?
S. S.  : Nous nous appuyons sur les Ecrits de Combat de Bernanos. Nous mettrons d’abord en scène ceux qui évoquent la Première Guerre mondiale (Les Enfants humiliés et Les Grands Cimetières sous la Lune) et qui nous permettront d’épouser sa quête qui le poussait à se mettre à l’écoute de ses compagnons morts pour mieux éclairer le présent. Puis nous tenterons d’appréhender notre époque à travers des écrits bernanosiens réellement visionnaires et prophétiques. (La France contre les robots, La Liberté pour quoi faire ?).
V. A. : Quand nous nous sommes intéressés à Thomas Bernhard, par exemple, de préférence à son théâtre, nous avons choisi de mettre en scène un de ses romans : Le Naufragé. Chez Bernanos la parole est une pensée en mouvement, vivante et libre et non une masse abrupte de réflexions sèches et désincarnées. Bernanos est un poète. Nous avons donc à charge de créer une partition théâtrale susceptible de donner chair à cette pensée, à ce souffle lyrique.

Les comédiens seront-ils tous des Bernanos ?
V. A. : Non, cela risquerait de diluer sa pensée et sa parole. Puisque Bernanos évoque le tragique de l’Histoire, nous allons nous évertuer à créer une sorte de choeur auquel appartiendra un coryphée qui aura la charge de proférer la parole de Bernanos. Les membres du choeur quant à eux, auront pour fonction de créer des contrepoints à cette parole afin de lui donner un relief théâtral. Nous allons tenter ainsi d’établir une agora qui invitera chacun à se servir de sa capacité de jugement.
S. S. : Bernanos souhaitait utiliser sans entrave sa liberté d’expression non pas pour dominer ou s’emparer de notre pensée, mais au contraire, pour qu’à notre tour nous puissions réagir et user pleinement de notre liberté de pensée. Face à la « totalitarisation » du monde et des esprits, il ne place son espérance que dans la liberté et, pour lui, la liberté c’est l’homme libre lui-même et non une notion juridique désincarnée. Il souhaite de toutes ses forces l’avènement d’un monde « fait pour les hommes libres ».

Y aura-t-il des dialogues ?
V. A. : Oui, parce que Bernanos donne souvent la parole à ses contradicteurs dans ses textes politiques. Il se met à leur place. Il a même fait parler Hitler pour tenter de faire apparaître les ressorts cachés et profonds de sa personnalité.
S. S. : Il tente passionnément de comprendre ses contemporains de la même façon qu’il explore ardemment la vie intérieure des personnages de ses romans. Il cherche à tout prix à comprendre pour ne pas sombrer à son tour dans le mensonge ou l’absurde, pour ne pas devenir à son tour un être humilié ou un imbécile, pour ne pas se laisser aveugler par la désespérance et la haine. Ultimement, pour Bernanos, comprendre c’est aimer. Nous allons tenter à notre tour selon nos forces d’offrir un prolongement théâtral à cette passion ardente qui poussait Bernanos à comprendre coûte que coûte.

Entretien réalisé par Jean-François Perrier.

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Spectacle terminé depuis le mercredi 8 décembre 2010

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