Quest-ce quun monstre naissant ? Ni plus ni moins quun homme. Néron est un homme qui découvre le monstre qui naît en lui. Là est le génie de Racine : de ne pas avoir fait de Néron labsolument autre, celui que sa monstruosité exclurait de lhumanité, nous le rendant définitivement étranger, suscitant tout au plus en nous de la répulsion. Cela ne ferait pas une uvre qui nous touche de cette tragédie dont le centre et le sujet la conscience agissante sont bel et bien Néron, aux prises avec le plus inhumain des actes (tuer son frère) comme il lest avec le plus universellement des liens (le lien avec la mère). Ce sont les détours de sa pensée, ses tergiversations (lincroyable acte IV !), son seul recul devant le Mal avant que, sous la pression de Narcisse, il ny cède, qui constituent le mouvement de fond de la pièce. Il ny a pas de fatalité du crime dans Britannicus, celle-ci est constamment réversible, jusquà ce que, bien sûr, lirréparable soit commis, qui laisse Néron démuni, vide, " réveillé " peut-être, privé de lobjet Junie- pour lequel, plus que le pouvoir (mais tout ici est lié, le politique et laffectif inextricablement tressés), il la accompli. Ce Néron-là, cest le récit dAlbine qui nous le montre, récit qui clôt et englobe la pièce, comme Albine contient en cet instant Néron, qui porte en lui limage de Junie, qui porte en elle Britannicus mort. Humanité dans laquelle se fond la singularité monstrueuse de Néron et que la pièce nous implore de regarder en face, humanité et monstruosité elles aussi inextricablement tressées. Demandons-nous alors : et si nous ignorions la suite de lhistoire (ou plutôt de lHistoire) ? Nous pourrions entendre ce que disent, après ce récit, les deux dernières répliques de la pièce (Agrippine : " Voyons quels changements produiront ces remords ") : la résistible montée de Néron vers le crime.
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