Soirée spéciale Maguy Marin

du 22 au 27 novembre 2012

Soirée spéciale Maguy Marin

Mise à l'honneur par le Festival d'Automne à la rentrée 2012, Maguy Marin est une chorégraphe dont les bifurcations successives et toujours inattendues dessinent cependant une cohérence artistique gouvernée par une expérience de travail jamais démentie qu'elle partage depuis plus de 20 ans avec le compositeur Denis Mariotte. Dans le cadre du Festival d'Automne.

Dans le cadre du Festival d'Automne.

  • Invitée d'honneur

Mise à l'honneur par le Festival d'Automne à la rentrée 2012, Maguy Marin est une chorégraphe dont les bifurcations successives et toujours inattendues dessinent cependant une cohérence artistique gouvernée par une expérience de travail jamais démentie qu'elle partage depuis plus de 20ans avec le compositeur Denis Mariotte.

  • Le programme

À 20h, Denis Mariotte, Prises / Reprises
Un homme est seul sur une scène obscure. Le monde risque de lui tomber sur la tête. Pourtant il continue. Depuis les années 1990, Denis Mariotte réalise les paysages sonores si pénétrants des pièces de Maguy Marin. Depuis les années 2000, il crée ses propres performances dont cette toute récente histoire d’un homme seul sur un plateau, plongé dans un monde étrange noyé sous les percussions où il faut sans arrêt faire face au réel imprévu, où toujours il faut recommencer, pour tenter de vivre quand même.

À 21h30, Maguy Marin, Ça quand même
Ça quand même fut créée en 2004, en écho aux multiples questions soulevées par la mise en place d’un nouveau protocole d’indemnisation des artistes intermittents. Aux inquiétudes suscitées, Maguy Marin et Denis Mariotte n'ont qu'une chose à offrir : leur présence, leurs corps qui se démultiplient au fil du spectacle dans un somptueux minimalisme gestuel et un raffiné goût de l'accessoire. Ils sont là, juste là, ensemble, et le public avec eux.

  • Entretien avec Maguy Marin et Denis Mariotte

Six pièces dont une création, le portrait de Maguy Marin imaginé par le Festival d’Automne à Paris offre un parcours d’une belle densité dans l’oeuvre de la chorégraphe et de son collaborateur, le compositeur Denis Mariotte. De May B., pièce emblématique des années 80, à Cendrillon et Faces, créées pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, ou de la première pièce en duo de Maguy Marin et Denis Mariotte, Ça quand même, à deux propositions solos, Cap au pire pour elle et Prises/Reprises pour lui, ce parcours se finit en beauté avec une création pour le Festival. L’occasion pour organiser ce dialogue en forme de machine à remonter le temps pour mieux parler du présent et de son avenir.

Vous travaillez ensemble depuis le milieu des années 80. Comment s’est produite votre première collaboration ?
Denis Mariotte : Ça s’est fait comme ça, sur un désir de se confronter, en 1988.
Maguy Marin : C’était pour Coup d’état. Il fallait qu’on fasse une affiche et Denis nous a envoyé un projet. C’était une très belle affiche qu’on a gardée d’ailleurs. Il était musicien évidemment, mais la première rencontre s’est faite sur un projet plastique. C’est assez amusant.
Denis Mariotte  : Après j’ai fait le décor de Qu’est-ce que ça me fait à moi ? au Festival d’Avignon et on a pensé la pièce ensemble. Je ne me suis pas penché sur l’écriture de la musique parce qu’à l’époque, je ne me sentais pas assez mûr pour inventer une musique de scène. Petit à petit, la collaboration s’est épaissie et est devenue aussi bien musicale que réflexive sur les pièces qu’on faisait ensemble.

Cela a modifié aussi le travail sur la danse. Je me rappelle que Maguy disait qu’il fallait que les danseurs apprennent à chanter, à être musiciens. C’était un apprentissage réciproque.
Maguy Marin : Oui, c’est en 1993 avec Waterzooï qu’on a commencé à faire travailler les danseurs musicalement. Et là, on n’a plus arrêté pendant presque dix ans.
Denis Mariotte : Dans toute cette série de pièces, jusqu’en 2001, tout ce qu’on entend est produit du plateau, avec toutes les inventions qu’on a pu faire dans la mise en scène : qu’est-ce que ça implique de porter un instrument, d’être derrière ou de le transporter, de pouvoir marcher avec ?

Dans votre parcours, il y a d’autres traversées constantes. Par exemple les masques, de May B. à Cendrillon en passant par Ça quand même ou Faces, si par masque, on entend aussi le fait de se grimer le visage, de porter des lunettes de soleil ou de tenir une cannette de coca-cola.
Maguy Marin : Oui, bien sûr. Ça a commencé très vite avec des pièces que personne n’a jamais vues, en 1978, mais dans May B ou Eden, la question du masque et même du masque du corps, a été très importante. Alors, qu’est-ce que c’est ? J’aurais du mal à le décrire, mais c’est vrai que les lunettes de soleil de Faces ou le fait qu’on ne reconnaisse pas la personne qui est en train d’agir, ce rapport où le corps de l’interprète est un medium, un moyen de faire exister quelque chose d’autre que luimême sur le plateau, me semble quelque chose de très important.
Denis Mariotte : Il y a toujours une volonté d’impliquer le corps pour l’enfouir quelque part, très profondément, et en même temps, surtout dans les dernières pièces, il y a aussi parallèlement cette distanciation où on voit souvent l’interprète qui se présente d’abord à nu pour bien marquer cette frontière : entrer intensément dans les modifications d’un corps et ne pas oublier qu’on est en représentation et qu’il y a une sorte de chose factice qui a son importance.
Maguy Marin : Ce sont des constructions en fait.

Il y a aussi le langage, pas seulement pour le sens qu’il délivre, mais aussi dans ce qu’il a d’inaudible ou de musical. C’est parfois une évidence, de Cap au pire à Ça quand même.
Maguy Marin : Il y a plusieurs traitements : les sonorités, les intonations, le sens des mots. Ensuite, il y a un travail rythmique parce que la question de la musicalité est très importante. Dans Ça quand même, le texte a une sorte de sincérité, mais c’est d’abord un travail poétique, même si c’est écrit très simplement par rapport à une pensée en commun, écrite et composée de façon rythmique qui fait une large place à l’humour. C’est une pensée qui se rit aussi d’elle-même. Mais le sens est toujours présent.
Denis Mariotte : C’est vrai qu’il y a toujours la question des mots, du sens, forcément, mais pas à travers une lecture didactique, plutôt par quelque chose de musical où le sens passe et donne une forme ; où les corps sont impliqués. C’est pareil pour la musique qui doit donner la sensation de rentrer dans les corps et dans le même temps d’émaner des corps.

Maguy, tu as créé Cendrillon en 1985 pour le Ballet de l’Opéra de Lyon. Comment s’est passé cette première collaboration avec ce Ballet ?
Maguy Marin : Je pense que la seule solution que j’avais à ce moment-là pour contourner la question d’une compagnie de ballet classique, c’était l’utilisation du masque. Cela m’a aidée à maîtriser la technicité des danseurs et tout un tas de choses dont j’avais très peur. Je n’ai pas choisi Cendrillon, c’était une commande, à la différence de Faces qui est une commande de création. Toute la différence est là. En 1985, je ne pensais pas pouvoir vraiment travailler avec les danseurs du Ballet de Lyon sur des présences qui auraient eu ce caractère du masque. Avec le masque, je suis arrivée à leur faire travailler des mouvements qui, malgré eux, les rendaient crédibles. Tandis que dans Faces, Yurgos Loukos m’a laissée absolument libre. Le ballet a beaucoup changé depuis 1985. Aujourd’hui, les danseurs sont beaucoup plus disponibles à l’aventure, à l’expérimentation.
Denis Mariotte : Il faut dire qu’on les a prévenus dès le début du type de travail qu’on allait engager. Pendant trois semaines d’atelier, on a travaillé sur l’essence du travail et on leur a dit tout de suite que leur corps ne seraient pas utilisés pour des performances pour lesquelles ils sont quand même très forts. Mais il n’y a pas eu de résistances, ils se sont bien prêtés à ce travail.

Quel a été votre point de départ pour cette création ? Ce livre d’Edward Bernays, Propaganda, qui expose ce qu’il appelle « la fabrique du consentement » ?
Maguy Marin : Oui, comment et à quelles fins sont pensés les mécanismes qui construisent des moments de consensus généraux où tout le monde est d’accord. Travailler sur les flux, qui parfois se séparent en ruisseaux et parfois se réunissent à nouveau. Le temps que les derniers arrivent, les premiers sont déjà repartis ailleurs. Le fait d’être beaucoup ou peu, ça fait des majorités et des minorités et ça fabrique totalement une autre histoire. C’est très fort politiquement.
Denis Mariotte : Le phénomène de masse, c’est un phénomène de tronc commun. Avec le minimum de tronc commun, on fait masse, parce que c’est l’endroit où ça se cristallise. On savait qu’il y avait un très grand nombre de danseurs, 28 en tout, et on voulait faire une sorte de machine de guerre.

Avez-vous parfois le sentiment que le public passe à côté des propositions qui lui sont faites ?
Maguy Marin : Oui, au vu de l’accueil qu’en a fait le public, des pièces comme Description d’un combat et Ha ! Ha !, Umwelt ou Turba, n’ont pas beaucoup ou très peu tourné au début même si ces deux dernières ont eu après coup une belle diffusion. S’il y a eu des retours encourageants, ça pose quand même des questions sur la façon dont les programmateurs et le public accueillent certaines choses. Pour Salves, créé juste après Description d’un combat, on s’est dit qu’il fallait travailler avec la même rigueur et la même exigence, mais en posant la question de l’humour. Et, je suis étonnée par le fait que cette pièce ait été très bien accueillie par tout le monde. Quand on fait des rencontres publiques et qu’on me dit : « Quelle imagination ! Est-ce que ce sont des rêves que vous faites ? », pour moi, c’est un coup d’épée dans l’eau. J’ai vraiment envie de répondre : « Mais pas du tout. Ce n’est pas un monde intérieur que je vous décris, c’est le monde tel que nous le vivons. »
Denis Mariotte : Oui, c’est une vraie question. Je crois que les gens se trompent vraiment sur ce que ça peut être le travail, que ça n’est pas une question d’inspiration. Le problème dans Salves, c’est qu’il y a des gens qui voient certainement ça comme un zapping et l’apprécient en tant que tel. Je viens de lire un texte de Pierre Boulez qui parle de la question d’avoir un fil dans l’écriture discontinue. Il dit qu’on a le devoir de déduire, pas d’être inspirés, par rapport à un fil ; que tu dois trouver et faire le travail d’écriture à partir de cette déduction-là. Tu en prends la responsabilité, ce n’est pas du montage pour faire joli.

Justement, dans Ça quand même, c’est fascinant de voir à quel point vous mettez tout ça sur le tapis au point d’en faire le fond et la forme de votre projet. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous jeter à l’eau ? C’est presque un manifeste.
Denis Mariotte : C’est par la force des choses. On avait l’intention de faire une pièce à deux, comme un jeu, sans savoir quoi…
Maguy Marin : On travaillait depuis pas mal de temps avec des interprètes et on s’est dit qu’il faudrait s’y coltiner une fois, pour voir ce que ça fait d’être là en face des autres. On avait vraiment envie de le faire et en même temps on avait une vraie trouille… Et puis, c’était en 2003, juste après le mouvement des intermittents, l’annulation des festivals, le travail des précaires, la question de l’invisibilité du travail, l’immatériel… On l’a travaillée à partir de décembre 2003 et on l’a créée en avril 2004. Tout ce mouvement-là nous a vraiment interrogé, nous les artistes, sur ce qu’on était en train de faire, grâce à quoi et comment on pouvait reprendre la politique à notre compte. Le travail qui a été fait par les précaires d’Ile-de-France sur le protocole et leur tournée pour essayer de faire comprendre par un film quelque chose qui était en train de nous arriver, c’est un réel exercice de démocratie. Si ça n’a pas du tout été écouté par les politiques, il y a eu des gens qui ont dédié énormément de temps à faire ça, qui ont milité. Quand on a commencé à se mettre au travail, la note qui disait notre intention de nous mettre sur le plateau, pour une fois, tous les deux, a pris, de fil en aiguille, l’allure d’un texte ne qui s’arrêtait plus…
Denis Mariotte : Et il parlait du travail, qu’est-ce qu’on appelle le travail ?
Maguy Marin : Est-ce qu’on est légitime dans une société ? On a vu des choses terribles dans le rapport au public en 2003. À l’entrée des spectacles, il y a eu des gens qui marchaient sur les corps, en nous traitant de « feignants » et de « mauvais ». Il faut le dire, ça a été une horreur.
Denis Mariotte : Pour revenir un peu sur le travail de Ça quand même, on a commencé en se montrant des choses, mais comme on est très critiques l’un envers l’autre dans le travail, on se disait : « Attends, tu vas pas me faire ça ! » « Oui, mais qu’est-ce qu’on va faire ? » La question du travail a éclot de cette façon-là, avec le texte qui était la charpente et sur lequel on a pu faire nos petites bêtises de scène, aussi simples soient-elles. On a tout fait nous-mêmes.
Maguy Marin : À la main ! C’était une autoproduction. La location des studios et tout ce qu’on achetait, c’était avec notre argent personnel. On était dans l’économie, faire gaffe.
Denis Mariotte : Avec les moyens du bord ! Mais c’est ça aussi qui donne un langage.

Parlons de vos deux projets solos, Cap au pire pour Maguy et Prises/Reprises pour Denis ? Qu’est-ce qui donne envie, à un moment, de se lancer dans cette aventure ?
Maguy Marin : Ce solo, je l’ai fait pour Françoise Leick avec laquelle j’avais travaillé de longues années. On a eu quelques petits rendez-vous assez espacés pendant un an, on travaillait un petit peu et c’est sur le texte de Beckett, Cap au pire, qu’on s’est arrêtées. J’ai beaucoup travaillé sur le texte toute seule, je l’ai dépiauté dans tous les sens, passé au tamis en anglais, en français. Plus on avançait dans la lecture, plus on se disait : « C’est pas évident, surtout avec une présence réelle sur le plateau. » Françoise, c’était vraiment la personne qu’il fallait. Elle n’apparaît pas dans la pièce mais elle n’arrête pas de faire vivre la chose, sans qu’on l’entende, ni ne la voit. Le texte est, tout simplement, enregistré sur une bande-son, et la pièce se passe presque dans un noir très profond avec très peu de lumières. On a essayé d’être au plus proche des images que Beckett renvoie avec son texte. Il n’y a pas d’interprétation de notre part.
Denis Mariotte : Prises/Reprises, c’est mon troisième projet. Si je travaille seul, ce n’est pas pour être au centre, mais pour poursuivre le travail qu’on fait avec Maguy. Avec l’idée que la musique est aussi dans les corps et questionne la forme de tous les éléments présents sur le plateau. Moi, ça m’intéressait de pousser tout seul l’écriture pour approfondir l’endroit précis où je peux faire de la musique avec des choses qui ne sont pas a priori purement musicales. J’ai envie de pousser cet endroit-là avec mon propre corps pour voir comment éprouver un peu d’écriture avec ça. C’est une pièce assez simple avec un élément central qui est une sorte de châssis en bois. D’abord, le corps est pris dedans, puis dessus, dessous, on essaye de s’en sortir, on se cache derrière, on le subit, on le porte. C’est une sorte de cristallisation du réel, de cataclysme burlesque, cette prise d’un corps avec des éléments qui lui échappent, qu’il veut rattraper. Est-ce qu’on résiste en essayant de s’affranchir des images du monde qui nous désenchante ? Ou alors est-ce qu’on utilise les images issues du monde que l’on questionne ?

Pour finir sur la prochaine création, vous dites qu’elle ne se dessinera qu’au moment de sa mise à l’épreuve effective, sans idée préexistante, en citant le livre Théorie de la formativité de Luigi Pareyson.
Maguy Marin  : Les choses se font en se faisant. C’est-à-dire qu’on n’est pas a priori sur quelque chose dont on aurait l’idée, mais les choses se construisent par les erreurs, par les expériences. C’est ce que développe Luigi Pareyson. C’est très encourageant de le lire. Il parle du geste qui se décide au moment où il est en train de se faire. Notre travail se fait vraiment comme ça. C’est pas par coquetterie, ni pour dire qu’on ne pense à rien et que les choses viennent comme ça. Mais on n’y arrive pas autrement, nous avons besoin de la matière pour travailler.
Denis Mariotte  : Quand on est artiste, je pense même qu’il ne faut pas oublier qu’il y a une intelligence du geste, du faire, de la matière, qui est très riche et qu’il ne faudrait pas trop escamoter. Je dis ça parce que des fois on est poussés ou on se pousse soimême vers trop de communication, et après quand on voit le résultat de la matière, on sent qu’il y a comme une étape, un lien qui ne s’est pas fait. C’est bizarre, à vouloir être trop intelligent, on devient bête.
Maguy Marin  : C’est la question de la forme qui se fait et n’arrête pas de se former, d’évoluer, de continuer à bouger. Trouver des formes qui laissent une émanation de la pensée, qui laissent de la vapeur, dans lesquelles ça peut respirer, en face, quand tu la regardes.
Denis Mariotte : La forme, justement, elle se conjugue avec la pensée qui est en train de se faire, se fait avec et en même temps que la forme. Essayer de trouver une intelligence de la forme qui renvoie à la pensée qui elle-même renvoie à la forme. Essayer de trouver ce mouvement-là…

Propos recueillis par Fabienne Arvers pour le Festival d’Automne à Paris

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17, boulevard Jourdan 75014 Paris

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Spectacle terminé depuis le mardi 27 novembre 2012

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