Robinson voyage au pays de nulle part

Avec son île déserte, avec son compagnon le “bon sauvage” Vendredi, Robinson Crusoé enchante et a enchanté tous les enfants de la terre. D’Australie en Alaska, le récit de ses aventures est, après la Bible, le livre le plus vendu au monde. Mais pas le plus connu, dans le sens où, pour être accessible aux gamins et nourrir leurs rêves d’évasion, le texte original a été largement tronqué, simplifié. Par chance, Bérangère Jannelle était déjà adulte quand elle a eu l’idée de le relire. 

S’étant plongée dans la version intégrale, elle en a ressenti une profonde émotion littéraire. Elle y a trouvé une sorte d’autobiographie fictive de Daniel Defoe, journaliste, essayiste, contestataire maintes fois emprisonné, et dont c’est le premier roman, écrit dans un moment de grande solitude, de pauvreté. 

« Il avait près de soixante ans, se sentait rejeté, meurtri, presque un vieillard dans le total isolement de sa chambre. Sans doute, plus ou moins consciemment, désirait-il transmettre les leçons de ses combats. Il y a quelque chose de testamentaire dans cette histoire. 

C’est d’abord l’histoire d’un naufrage. Celui d’un monde dont Robinson est le seul survivant, et qu’il réinventera sur des ruines, sur le souvenir des morts. Son île, purement mentale, est celle du désespoir, de l’abandon, de la perte. Comme dans un roman initiatique, avant d’élaborer son paradis, Robinson subit une succession d’épreuves, ouragans et tempêtes qui remettent en cause ce qu’il vient de construire. Tout un aspect évidemment occulté dans les versions pour enfants. Mais le spectacle ne leur est pas forcément destiné ». 

Et Vendredi ? Un elfe, presque un ange, l’objet d’une quête. Un guide, un fantasme, une voix qui s’incarne, un rêve devenant réalité. Au delà de toute sexualité, un désir de filiation. Et c’est un père et sa fille (Thierry et Elsa Bosc) qui prennent les personnages de Robinson et Vendredi, entraînant les spectateurs sur le navire en perdition, dans le décor en mouvement, au centre du monde à reconstruire.