Rituel pour une métamorphose

du 18 mai au 11 juillet 2013
2h15 sans entracte

Rituel pour une métamorphose

Première entrée au répertoire d'un auteur de langue arabe avec cette pièce du grand dramaturge syrien Saadallah Wannous (1941-1997) dans une mise en scène de Sulayman Al-Bassam. Fable du désir et théâtre politique, la pièce questionne le rapport au pouvoir, à l'ordre établi et à la domination masculine, notamment au Moyen-Orient.

Une des plus belles pièces du théâtre arabe
La presse
Entrée au répertoire en 2013
Note du metteur en scène

  • Une des plus belles pièces du théâtre arabe

Pour rétablir son autorité et celle de la religion, le mufti de Damas tend un piège au prévôt des marchands, Abdallah, qu’il fait surprendre en flagrant délit de débauche avec Warda, une courtisane. Puis, pour confondre le chef de la police qui a procédé à l’arrestation, il demande à Mou’mina, la femme du prévôt, de se substituer en cachette à la courtisane emprisonnée.

Le prix demandé par Mou’mina en échange de cette humiliation va bouleverser de fond en comble l’équilibre social de la ville : se libérer enfin du poids de son mariage en choisissant la vie de courtisane. Avec son corps, du seul fait de sa beauté, de sa séduction et de son intelligence, Mou’mina, devenue Almâssa (le diamant), va défier et déjouer l’hypocrisie des mécanismes de domination entretenus par les hommes, et mettre ces derniers face à leurs contradictions les plus intimes. Elle paiera le prix fort du chaos qu’elle a engendré.

À travers l'histoire de Mou'mina, c'est toute une société qui est radiographiée, celle d'une Syrie d'hier bien sûr, mais aussi les sociétés d'aujourd'hui, qu'elles soient d'Orient et d'Occident, qui maintiennent, consciemment ou inconsciemment, les traditions de domination masculine. En mêlant dans son écriture tradition orientale et modernité occidentale, force du conte et rigueur de la tragédie, Saadallah Wannous nous offre une œuvre qui bouleverse les idées préconçues et nous interroge sans complaisance sur nos propres valeurs, nos propres mensonges. Ce théâtre à dimension politique évidente n'est jamais pédagogique, jamais simplificateur mais universel dans le sens où il questionne très directement notre propre rapport au pouvoir, à tous les pouvoirs.

Traduction de Rania Samara.

  • La presse

« Cette fable du Syrien Saadallah Wannous, décédé en 1997, dénonce, dans une très belle langue (...), l’hypocrisie des hommes de pouvoir, les ravages d’un islam trop radical et l’intenable condition des femmes. (...) Sous les enluminures du conte, Rituel pour une métamorphose est une bombe de subversion qui dynamite la hiérarchie de la société arabe… Mais il ne laisse guère d’espoir à la femme – pute ou soumise -, à l’homosexuel (...) » Gilles Rof, Télérama

« Aux confins de la farce, de la satire et de la tragédie, le théâtre de Saadallah Wannous fait valser tout un petit monde d'édiles en place entre trahisons, mensonges, coups de théâtre et coups de folie. » Alexis Campion, JDD, 4 mai 2013

« Les habitués de la Comédie-Française y prendront de toute façon du plaisir en voyant les interprètes qu'ils connaissent étrangement métamorphosés - le titre les invitait à toutes sortes de transfigurations ! Ces acteurs s'amusent avec sérieux à être de plaisants édiles en djellaba : Thierry Hancisse est un mufti au double jeu très savoureux, Denis Podalydès un drolatique prévôt toujours perdant, tandis que Hervé Pierre, en fauteuil roulant, Laurent Natrella, méconnaissable sous le grimage. S'il y a du feu dans cette soirée (qui en manque quelque peu), il vient de l'interprète du rôle de Mou'mina, Julie Sicard, qui dessine avec sûreté l'évolution du personnage et va repoussant le charme, effaçant la séduction, pour dégager une âpreté et une douleur saisissante. » Gilles Costaz, Le Point, 24 mai 2013

  • Entrée au répertoire en 2013

Le répertoire de la Comédie-Française est un témoignage des écritures dramaturgiques qui marquent leur siècle. Bien entendu il ne nous est pas permis de savoir dès aujourd'hui si tel ou tel auteur résistera au temps et sera joué encore dans cent ans sur nos plateaux... Nous ne faisons pas l'économie des modes et plus d'un auteur salué à son époque est aujourd'hui oublié. À l'inverse certains de nos choix perdurent et sont encore aujourd'hui un précieux trésor revisité par l’œil contemporain de nos artistes. Il est donc essentiel de prendre le pari du futur et d'accueillir dans notre répertoire de nouveaux auteurs inspirés par les grands mouvements de notre société.

À l'heure de l'Europe et lorsque le monde s'ouvre à nos portes il est grand temps, me semble-t-il, de nous pencher vers la littérature dramaturgique arabe, endécouvrant un autre regard sur notre planète, une autre civilisation, un autre monde. Saadallah Wannous est un auteur fondamental dans le monde arabe, qui utilise sa plume comme résistance à l'oppression avec le talent des grands hommes de théâtre.

Rituel pour une métamorphose est un texte engagé, à la fois classique dans sa construction mais également subversif comme savait l'être Molière en son temps. Il me paraît important aujourd'hui d'entendre la parole de ce poète, faisant le pari une fois de plus que son œuvre saura éveiller notre curiosité encore pour les siècles à venir !

Muriel Mayette, Administratrice générale de la Comédie-Française

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  • Note du metteur en scène

Un auteur incontournable
Saadallah Wannous s’inscrit dans une lignée d’auteurs contemporains arabes, comme le poète palestinien Mahmoud Darwich ou le poète irakien Modafar Al-Nawab, qui, par leur évolution en tant que citoyens, penseurs et acteurs du paysage culturel de leur pays – ont recherché une forme d’engagement, qui visait à faire avancer une nouvelle conception de leurs sociétés.

Suite au printemps arabe, nous sommes aujourd’hui dans une période de grande turbulence. Or, Wannous et les écrivains de sa génération ont vécu eux aussi des révolutions – nationalistes – suite aux luttes de libération du pouvoir colonialiste.

Lui et certains de ses contemporains ont tenté, au plan théâtral, de relier ce qui relève de la tradition littéraire arabe – la transmission orale des contes et des fables – aux enjeux de leurs sociétés ; de façon engagée, ils ont tenté de concevoir de nouveaux modèles d’écriture destinés à faire sortir le théâtre d’un élitisme pour le rendre accessible au plus grand nombre. Cette conception n'était pas éloignée de l’élan du théâtre populaire de Jean Vilar, par exemple, en France. D'ailleurs, Wannous était francophone et, lors de ses études à Paris, il a fait la connaissance de Genet, et a découvert le théâtre de Weiss, de Beckett et de Brecht. Plus tard, à Damas ce dialogue a continué par le biais de son amitié avec le sociologue français Michel Seurat.

Son implication dans le monde de la création théâtrale arabe était totale tant sur le plan théorique que sur celui de la création artistique. Avec différents collaborateurs, metteurs en scène et acteurs, il a développé, entre Damas et Beyrouth, une conception du théâtre non seulement liée à l’histoire, mais capable également de mettre à nu l'idéologie dans laquelle baignait le peuple arabe, de décrire la grande déception causée par les mouvements nationalistes et la transformation de ces sociétés en des prisons à ciel ouvert principalement contrôlées par les militaires. C'est dans la dernière période de son parcours d'auteur dramatique que Wannous a écrit Le Viol, Miniatures et Rituel pour une métamorphose, trois pièces d’une importance capitale pour la dramaturgie arabe contemporaine. Il est décédé alors que je faisais mes études en Europe, et ce n'est qu'un peu plus tard que j'ai rencontré nombre de ceux qui avaient été ses amis et collaborateurs.

Ma découverte de son œuvre remonte au début des années 2000. Très vite, il est devenu pour moi une sorte de mentor posthume, qui m'a guidé dans mes réflexions sur la relation entre la scène et la société, ce qui forme une base essentielle de mon travail. C’est donc avec un mélange de joie et de grande responsabilité envers cette parole et cet héritage que j’ai accepté l’invitation de Muriel Mayette à monter Rituel pour une métamorphose.

Une pièce engagée, alliant tradition et modernité
Rituel pour une métamorphose, écrite en 1994, est l'exemple parfait de ce lien entre tradition et modernité dans sa façon de tisser les formes littéraires populaires avec des enjeux politiques émancipateurs. Elle peut être abordée selon plusieurs axes.

Le premier, lié à l'intrigue, est ludique. L'action de la pièce se déroule dans le Damas des années 1860. S'appuyant sur la chronique d'Al-Baroudi, Wannous développe une idée shakespearienne de substitution d'une courtisane par l'épouse d'un prévôt des notables jeté en prison. Au départ, le texte d'Al-Baroudi décrit comment le mufti de Damas se rapproche de son ennemi – qu'il a lui-même fait arrêter – dans le but de préserver la bienséance et surtout l'identité de caste. Dans sa pièce, Wannous en tire quelque chose de très différent : il remet en question toute l’architecture d'un pouvoir reposant sur un autoritarisme masculin, théologique, militaire et, bien sûr, violent. Il prend le parti intéressant de décrire une ville alors sous occupation ottomane, ce qui lui permet de faire des parallèles avec le Damas de son époque, dirigé par une caste minoritaire tenue par le régime d'Hafez El Assad. Tout cela est inscrit dans une sorte de canevas de conte des Mille et une nuits, de Commedia dell'Arte issue de l'imaginaire populaire mettant en scène des personnages types : le mufti, la courtisane, les notables, les voyous, les eunuques, etc. L'ordre symbolique de la hiérarchie sociale est richement façonné, ce qui est clairement illustré par les codes vestimentaires. Par le simple fait de mettre le turban vert – symbole de prestige et de noblesse – sur la tête d’une courtisane, Abdallah, le prévôt des notables, déclenche un trouble extrême qui atteindra toute la ville de Damas.

Dans Rituel, Damas est une ville à la fois réelle et rêvée, qui passe par le filtre d’une double distanciation : la première, d’ordre historique (Damas fin XIXe) ; la seconde, d’ordre littéraire (Damas peuplée par des personnages de fables). C’est à partir de cette distanciation que Wannous établit des liens avec la situation contemporaine. Le Damas qu'il met en scène dans son écriture est une ville dans laquelle règnent déjà énormément d’instabilité et de dangers. Une ville dans laquelle les jeux de pouvoir occupent la première place, exerçant un contrôle absolu sur tout ce qui relève du politique, du social, mais aussi, et surtout, des apparences. Sous cette architecture qui paraît inébranlable menace un ordre tout à fait différent. Et c’est de cet ordre propre à l’irrationnel que naît le deuxième axe principal de la pièce : un ordre lié au monde du désir, à celui de la transgression. Toute la richesse de la pièce repose sur la façon dont Wannous articule ces axes qui font exploser puis s'effondrer l’ordre dans la ville de Damas. L’axe de l’irrationnel est amené par plusieurs personnages qui vivent des transformations : celui de Mou’mina est de loin la plus évidente, c’estàdire celui de la femme de la haute société, qui, par volonté d'émancipation, devient Almâssa la courtisane. Mais il y a aussi Afsah et Abbas qui construisent l’axe d'une sexualité différente de la norme, l'homosexualité entre deux hommes du peuple. Il y a enfin le trajet proprement révolutionnaire d'Abdallah qui, abandonnant son statut de prévôt des notables, suit le chemin de la mystique soufie, enquête d'une autre définition de la relation entre Dieu et l’Homme.

Une autre transformation essentielle – surtout au sein du contexte arabe – est celle du mufti. Ce dernier est le symbole de l’ordre religieux et masculin, en même temps que celui de la force occupante des Ottomans. La manière dont le mufti passe de la rationalité, du pragmatisme, de l'ambition et de l’orthodoxie religieuse au doute, puis au désir, pour ensuite atteindre littéralement un autre rivage, celui de l'irrationnel, est à concevoir comme la naissance d’un Hamlet dans la dramaturgie arabe contemporaine. Ceci est la raison principale pour laquelle cette pièce n'a pas pu aller au-delà d'un certain nombre de représentations dans son pays d'origine, même si elle est énormément lue et étudiée. Représenter la chute du mufti – de l'ordre dominant – et la naissance d'une autre manière de concevoir la relation à Dieu est une action dramatique absolument subversive.

Mou'mina / Almâssa, personnage féminin tout à fait hors normes dans la dramaturgie arabe, et dans celle de Wannous, n’est pas inventée ex nihilo. D'une part, dès les années 1930, des mouvements d'émancipation féminine ont vu le jour dans le monde arabe, menés par des femmes dont le charisme et le courage ont inauguré des réflexions et des combats plus que jamais actuels, dans des pays comme notamment l'Égypte, la Syrie, la Tunisie. Hélas aujourd'hui la déstructuration de l'ordre ancien a ouvert la porte à une sorte de repli sur des valeurs orthodoxes, revendiquées comme « naturelles » alors qu'elles ne le sont pas du tout. Rituel est en ce sens une pièce prémonitoire : elle dénonce ce qui dans la tradition islamique associe la sexualité de la femme à l'idée de sédition, de sédition sociale. Elle rejoint en cela les positions sur le voile et la sexualité féminine élaborées, entre autres, par l'écrivaine et sociologue féministe marocaine Fatima Mernissi. On voit d'ailleurs comment tout ce qui est révolutionnaire dans la pièce de Wannous touche directement à l'orthodoxie religieuse, revendiquée par l'ordre établi comme la seule règle possible.

Éviter l'orientalisme
J'ai conçu la mise en scène de Rituel pour une métamorphose dans un esprit de passage d'un contexte linguistique et culturel à un autre. Cet espace est très sensible et très important dans mon travail de transmission d'une volonté dramatique et dramaturgique. Rituel pour une métamorphose ne s'inscrit pas dans un code historique et social restreint, comme d'autres textes de Wannous, qui en rendrait l'accès plus difficile à un spectateur occidental. Pour cette raison même, gare à l’orientalisme ! La période dont il est question dans la pièce est le milieu du XIXe siècle, autrement dit l’apogée de toute une vision fantasmée d'un Orient imaginaire, chez Flaubert par exemple, ou chez David avec ses Odalisques. Je dirais même d'une vision fantasmée indigène, à l'intérieur du monde arabe. Je considérais qu’il était important de garder les éléments provenant du conte, mais qu’il fallait dans le même temps éviter les pièges de l’orientalisme et adopter une forme de distanciation afin de servir la pièce dans ce qu'elle a de puissant, d'urgent, de contemporain, et d'universel.

Le travail de dramaturgie et de mise en scène a donc d'abord reposé sur une volonté d'équilibre, du point de vue de la scénographie, de la chorégraphie, de l'univers sonore, qui brasse volontairement une modernité revendiquée, et des costumes, qui, en désaturant les couleurs des silhouettes, nous renvoient à une image distancée de ces figures sortant de l’histoire : équilibre qui permet de comprendre que si l'on est dans un conte, ce conte porte, tout de même, un contenu éminemment contemporain. Il y a comme un double mouvement à l'œuvre ici : une mise à distance (par l'onirisme et la dimension de fable) en même temps qu'une sorte « d'immédiateté ». C'est un conte mais ce sont aussi des « actualités », c'est aussi du « temps réel » qui, je l'espère, préservera le spectateur de toute vision d'exotisme.

L'adaptation scénique est le fil conducteur de cet équilibre dramatique et avec ceci j’ai visé surtout une fidélité au souffle de ce texte, tout en cherchant à établir un lien élastique entre l'espace subjectif des personnages et l’architecture du récit. C'est ainsi que, sur le plan scénographique, nous avons eu l'idée de représenter une maison, une maison damascène, qui sera l'espace de jeu pour toutes les scènes. Elle servira de rue, de prison, de palais, de jardin, etc. Cet espace, ces murs deviendront aussi une sorte d'épiderme, renvoyant à une dimension symbolique ; une maison de la mémoire, une maison de l’imaginaire, ou alors, le symbole de l’ordre établi, le lieu où se sont accumulés tous les crimes du passé. Cette maison est l'espace qui existe entre un ordre réel et un ordre très subjectif, voire onirique. C'est pourquoi il nous a semblé important que cette maison, symbole de l’ordre établi, se brise, se fracture, et s’efface éventuellement, devenant ainsi une architecture purement mentale. D’ici s’instaure un mouvement vers la destruction de tout artifice, en particulier ceux qui sont propres au théâtre lui-même. C’est bien l'idée de métamorphose contenue dans le titre de la pièce qui cherche à être mise en valeur dans cette mise en scène, ainsi que l’idée d’un va-et-vient entre le conte et le réel, entre le traditionnel et le contemporain, entre l’idéalisme révolutionnaire et la perte de tout espoir, entre l’illusion scénique et l’espace d’une liberté de parole sans fin.

Sulayman Al-Bassam, avril 2013
Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

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Spectacle terminé depuis le jeudi 11 juillet 2013

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