Bérénice

du 21 au 22 novembre 2001

Bérénice

CLASSIQUE Terminé

Bérénice, c’est bien sûr et surtout l’histoire déchirante et intemporelle d’une séparation. Ce spectacle sera un des événements du Festival d’Avignon 2001. Un moment exceptionnel pour un spectacle qui devrait l’être tout autant.

 
Présentation
Synopsis
La fulgurance d’un jeune auteur
A propos de Bérénice
Kristin Scott Thomas / Bérénice, reine de Palestine
Didier Sandre / Titus, empereur de Rome
Bérénice / Les origines d’un désir
Tragédie de l’abnégation / Oeuvre du renoncement amoureux
Loin de l’Orient / Cet ailleurs abstrait
Bérénice, entre deux guerres / Les années trente
Le vers / La splendeur du verbe racinien
L’action / Un thriller dans un mouchoir de poche
François Regnault / Dramaturge
Stéphane Plassier / Plasticien, créateur de l’espace
Christian Lacroix / Créateur des costumes
Quelques mises en scène de Bérénice

Présentation

« Depuis que j’ai connu Kennedy, je sais qu’un homme qui atteint le pouvoir devient une machine », déclarait Norman Mailer…
Bérénice, c’est bien sûr et surtout l’histoire déchirante et intemporelle d’une séparation. Mais c’est aussi l’histoire éternelle de l’homme qui renonce au bonheur purement intime pour lui préférer son propre honneur, sa « gloire », sa réputation (« Ma réputation, ma réputation, j’ai perdu la partie immortelle de mon âme, et tout ce qui reste est bestial » fait dire Shakespeare à Cassio dans Othello.)
Problématique du Fils, envahi par la peur, écrasé par l’image d’un père inégalable et parfait, se forçant à l’action. Car le temps presse pour accomplir, accomplir au plus vite avant de mourir. Dans Bérénice, il y a bien sûr la Raison d’Etat, le peuple Romain, mais en fait, Titus – potentiel dictateur – peut tout, y compris changer les lois, et c’est lui, et lui seul, qui prendra la décision d’exiler celle qu’il aime, réalisant ainsi son pathétique destin d’homme en quête d’éternité. »

Lambert Wilson – mai 2001

Kristin Scott Thomas endosse le rôle-titre de l’œuvre suprême du sacrifice, le poème du renoncement accepté. L’actrice incarne Bérénice aux côtés de Didier Sandre, alias Titus, général victorieux. Chéri par la reine de Palestine, Titus est couronné empereur. Mais Rome n’accepte pas qu’il s’allie à une souveraine étrangère, à une reine juive. Lambert Wilson, met en scène ces deux astres morts qui renoncent l'un à l'autre dans la perfection de l'abnégation, et consentent à ne rien devenir. Ils s'échappent vers le vide de la gloire du monarque pour Titus, vers le vide de la sérénité impavide pour Bérénice. En 1670, Racine éclipse les farces de Molière et écrase la gloire finissante de Corneille. A trente ans, il vient dire à la cour du Roi que l'espoir est vain et que la liberté n'existe pas plus que le choix. En guerre contre les jansénistes de Port-Royal, pourtant marqué par leur philosophie, Racine invente la théorie de l'amour par le néant.
Le rôle d’Antiochus, interprété par Lambert Wilson à la création aux Estivales de Perpignan du 7 au 9 juillet et au Festival d’Avignon du 17 au 26 juillet est repris par Robin Renucci à partir du 19 septembre au Théâtre National de Chaillot.

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Synopsis

“ Outre sa cruauté, on soupçonnait (Titus) de débauche parce qu’il prolongeait ses orgies jusqu’au milieu de la nuit avec les plus dissolus de ses amis, et aussi de libertinage parce qu’il était entouré d’une troupe de mignons et d’eunuques et laissait éclater son amour pour la reine Bérénice, à laquelle, dit-on, il avait promis le mariage. (…) Mais cette réputation tourna à son avantage et lui attira les plus grands éloges, lorsqu’on ne trouva en lui aucun vice, mais au contraire les plus hautes vertus. (…)  Il renvoya aussitôt Bérénice de la ville, malgré lui, malgré elle. (…)  Il (…) se plaignit beaucoup que la vie lui fût enlevée, sans qu’il l’eût mérité ; car il n’avait à se repentir d’aucun acte, sauf un. Quel était cet acte ? Il ne le révéla pas alors et il n’est pas facile de le deviner. ”

Suétone, “ La Vie des douze Césars ”, Titus – chapitres VI-VII, trad Maurice Rat.

Rome, 79 après J.C. L’empereur Vespasien est mort depuis une semaine. Son fils, Titus, lui succède. L’empire tout entier, la cour, l’armée, le sénat comme le peuple attendent que le nouveau monarque épouse celle qu’il aime, Bérénice, reine de Palestine. Vespasien disparu, plus rien n’empêche cette union à laquelle l’empereur défunt s’était toujours opposé.
La pièce de Racine s’ouvre alors que Bérénice, heureuse, attend que Titus lui ordonne de l’épouser. Antiochus, roi de Comagène, confident et amoureux éconduit de la souveraine, est persuadé de l’union imminente des deux amants. Il s’apprête à un exil désespéré. Mais Titus, désormais Empereur, prend conscience qu’il ne s’appartient plus. Le pouvoir, l’ordre et les traditions qu’il récusait ont force loi sur ses sentiments. Et Rome ne peut avoir pour impératrice Bérénice, une reine étrangère, une princesse juive.
Brisé par la douleur, Titus confie à Antiochus le soin d’annoncer à la femme qu’ils aiment tous deux sa décision de renoncer au mariage. Offensée, Bérénice se révolte contre l’empereur, contre son comportement indigne, puis menace de se suicider. Antiochus, dévoué au seul contentement de Bérénice, tente alors de concilier en vain les intérêts de la passion amoureuse et les intérêts de l’empire. Il échoue à contrecarrer la primauté du pouvoir sur le destin amoureux des deux êtres. Mais Antiochus parvient à rapprocher Titus et Bérénice dans une communion où le renoncement à la félicité atteint le même vertige sublime que l’amour partagé. Tous trois s’engagent alors dans un sacrifice héroïque, et partent pour des vies de solitude et de souffrance. Vaincus par l’ordre du monde et des choses, ils consentent au caractère impitoyable de leur défaite respective afin d’atteindre le dépassement de soi. C’est là qu’ils demeureront, intacts et parfaits, dans la volonté inaliénable d’aimer.

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La fulgurance d’un jeune auteur

“ Une princesse, fameuse par son esprit et par son amour pour la poésie, avait engagé les deux rivaux à traiter ce même sujet ”
“ Corneille (…) voyait la Bérénice, rivale de la sienne, raillée et suivie, tandis que la sienne était entièrement abandonnée. ”
“ Chapelle, sans louer ni critiquer, gardait le silence. Mon père enfin le pressa vivement de se déclarer. Avouez-moi, lui dit-il, votre sentiment. Que pensez-vous de Bérénice ? – Ce que j’en pense ? répondit Chapelle : Marion pleure, Marion crie, Marion veut qu’on la marie. ”

Louis Racine, 1747, Mémoires.

Suétone, au deuxième siècle après J.C, dans la Vie des douze Césars , résume pour jamais les destins de Titus et Bérénice : “ Il la renvoya, malgré lui, malgré elle. ” La formule lapidaire de l’historien fit survivre l’anecdote amoureuse à travers les siècles. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que la littérature s’approprie enfin l’histoire des deux amants. Tragi-comédies, tragédies, romans, dès le règne de Louis XIII, déclinent à l’envi l’histoire de l’amour contrarié des grands du monde antique.
En 1670, un génie de trente ans, l’âge même du Roi Soleil, s’empare du sujet. Racine triomphe alors à la cour depuis la création d’Andromaque, en 1667. Formé durant onze ans chez les jansénistes de Port-Royal, héritier rebelle de leur morale inflexible, il s’élève contre leur condamnation du théâtre, qui pour eux n’est qu’une “ horreur devant Dieu ”. Il reçoit ainsi la faveur du roi, grand amateur de divertissement, ébloui par le talent du poète. Très vite, Racine incarne ce que Louis XIV veut pour la France ; la maîtrise de l’esprit, la rigueur du destin, le triomphe universel. Conscient de sa valeur et de son influence sur le roi dont il devient, jusqu’à sa mort, l’un des plus proches familiers, Racine compose Bérénice dans l’intention d’affirmer son triomphe d’auteur, de garantir sa position privilégiée auprès du monarque, et de fonder son éthique théâtrale.
Racine doit donc son apothéose à une pièce avec laquelle il écrase la Tite et Bérénice de Corneille. Le vieil auteur du Cid, en disgrâce auprès du public et de la cour, se risque en effet à proposer sa version des amours contrariés de la reine de Palestine en même temps que son jeune rival. Il ne s’en relèvera pas. A l’image de son roi, Racine est désormais le monarque absolu du classicisme français.
En 1670, pourtant, le duel avec Corneille n’est pas l’unique motif du jeune et ambitieux auteur pour s’intéresser à Bérénice. Le roi, comme Titus, est, en effet, épris d’une princesse que la raison d’Etat lui recommande d’écarter. La présence de Marie Mancini, nièce du sulfureux cardinal Mazarin - premier ministre de Louis XIII puis de Louis XIV enfant - perturbe les jeux politiques de la cour.
Contrarié, le souverain se résout à éloigner sa maîtresse, et d’éloigner avec elle l’ombre inquiétante de son défunt oncle. Métaphore lointaine, l’histoire de Titus et Bérénice sert d’écrin prodigieux au renoncement, somme toute banal, de Louis pour une de ses favorites. Par la grâce de Racine, le roi est désormais héros en matière de raison d’Etat comme il l’était déjà à la guerre. Toute sa vie, l’auteur de Bérénice bénéficiera de ce que le Soleil aura dû de sa gloire au poète. Racine deviendra académicien, Trésorier de France, historiographe du roi et gentilhomme. Corneille est supplanté, et avec lui sombreront le héros positif, les dilemmes chevaleresques et les péripéties houleuses, l’optimisme sur la nature humaine et le culte du Moi. Racine a enfin le champ libre pour concevoir et imposer son éthique tragique. Dépouillement de l’intrigue jusqu’à la disparition de l’action ; passion dévastatrice où la cruauté d’aimer conduit à la mort ; angoisse des êtres condamnés à l’errance, et prédestination des âmes à la fatalité. Bérénice dit tout de ce que sera l’œuvre racinienne jusqu’à son sommet, Phèdre, sept ans plus tard. Incandescence du classicisme, Bérénice est aussi l’amorce de son chant du cygne

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A propos de Bérénice

“ Titus a beau rester Romain, il est le seul de son parti ; tous les spectateurs ont épousé Bérénice. ” Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d’Alembert.

“ Toutes les fois qu’il s’est trouvé un acteur ou une actrice dignes de ces rôles de Titus et de Bérénice, le public a retrouvé les applaudissements et les larmes. ” Voltaire, Remarques sur Bérénice.

“ Quoiqu’on en dise, je ne lis jamais “ Bérénice ” sans répandre de larmes. Dites que je pleure mal à propos, prenez-en ce que vous voudrez ; on ne me persuadera jamais qu’une pièce qui me remue et qui me touche soit mauvaise. ” Frédéric II, roi de Prusse, Lettre à Voltaire.

“ Je ne suis pas contente de vous. Si vous n’avez pas pleuré en lisant la “ Bérénice ” de Racine, si vous n’y avez pas trouvé la plus horrible des tragédies, vous ne me comprendrez point, nous ne nous entendrons jamais. ” Balzac, lettre de Louise à Félipe, Mémoires de deux jeunes mariés.

“ Bérénice, chez (Racine), c’est la veine secrète, la veine du milieu. ” Sainte-Beuve, Sur la reprise de Bérénice au Théâtre Français.

Quelle est votre héroïne de fiction préférée ? – Bérénice Marcel Proust, Questionnaire de Proust de 1892.

“ C’est cette espèce de noyau du cœur humain qui a fasciné Jean Racine et allumé en lui cette curiosité dévorante, oui, la même, cette passion d’intelligence, d’une intelligence dans les délices d’où toute son œuvre est sortie. ” Paul Claudel, Conversation sur Jean Racine.

“ Nous ne vieillirons pas… Rien ne se fanera. Rien ne se refroidira. Nous serons jeunes éternellement. Jusqu’à la fin je pourrai dire : sa voix n’a pas cessé de me troubler, ses mains sont ma fête. Jusqu’à la fin je pourrai dire : Je suis celle qu’il a aimée sur terre, il n’a aimé nulle autre que moi. ” Andrée Chédid, Bérénice d’Egypte, Seuil.

“ Pourquoi on se ment encore là-dessus ? Bérénice et Titus, ce sont des récitants, le metteur en scène, c’est Racine, la salle, c’est l’humanité. Pourquoi jouer ça dans un salon, un boudoir ? Ca m’est complètement égal ce qu’on peut penser de ce que je dis là. Donnez-moi une salle pour faire lire “ Bérénice ”, on verra bien. ” “ (…) le vent du divin souffle dans les grandes forêts de Racine. Sur les cimes de la grande forêt racinienne. C’est Racine mais pas détaillé, pas lu, pensé. C’est la musique de Racine. C’est la musique qui parle. Ce n’est pas autre chose, on s’y trompe beaucoup ; c’est Mozart, Racine aussi, à un point criant. ” Marguerite Duras, La Vie Matérielle, POL.

Bérénice par Lambert Wilson Propos recueillis par Pierre NOTTE – mai 2001

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Kristin Scott Thomas / Bérénice, reine de Palestine

“ Kristin rêvait de revenir en France par le biais d’un grand texte. Elle est pour moi la quintessence de l’intelligence, de la fragilité, comme une féminité alliant la force et la violence. Elle est la personnification d’une certaine sensibilité européenne, celle de l’entre-deux guerres. Ce n’est pas un hasard si les cinéastes et les metteurs en scène la sollicitent souvent pour incarner des personnages de cette période. Nous avons elle et moi suivi un parcours semblable ; je me suis retrouvé étranger à Londres comme elle fut étrangère à Paris, étudiante de la rue Blanche. Je cultive une réelle fascination pour les acteurs anglais, pour leur capacité à mêler le drame, la tragédie avec le concret, le réel. Les acteurs français sont davantage habitués à la transposition, à l’abstraction. Si j’avais voulu situer Bérénice dans la Rome antique ou fellinienne, j’aurais suivi des pistes très différentes, celle de l’orientalisme, par exemple. Mais je préfère me consacrer à l’étrangeté d’une héroïne, aimant sur un territoire qui n’est pas le sien.”

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Didier Sandre / Titus, empereur de Rome

“ Il me fallait trouver l’acteur qui puisse incarner un guerrier, mais un guerrier qui pense. On est d’emblée du côté de Bérénice, nous l’épousons, comme dit Rousseau, mais la question morale posée par Titus est terriblement complexe, et fait de lui le héros de la tragédie au même titre que celle qui en porte le nom. Je me suis beaucoup identifié à cet abominable questionnement ; peut-on renoncer à un amour pour une idée abstraite ? Quelque soit la réponse, le dilemme est une torture. Il me fallait trouver l’acteur qui puisse incarner ce doute, cette dimension existentielle de Titus. Il est l’Hamlet racinien, le héraut de la question de l’être. Didier Sandre porte en lui ce questionnement. Il apporte également un savoir formidable du vers racinien, il connaît parfaitement la difficulté de cet exercice. Les interprètes de Titus et de Bérénice, me semble-t-il, doivent par ailleurs incarner une certaine maturité de leurs personnages. Si les héros de Racine étaient adolescents, on pourrait penser qu’ils se remettront de cet arrachement. En l’occurrence, Bérénice n’a aucun futur affectif, aucun espoir après Titus. Tous les deux sont des êtres de la maturité. Ils en ont la clairvoyance, la lucidité, et ils en ont aussi le terrible aveuglement. ”

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Bérénice / Les origines d’un désir

“A la lecture de Bérénice, dès mon plus jeune âge, je fus frappé par la notion de séparation, par l’idée du ratage relationnel et des destins brisés, cet arrachement de deux êtres, ce désir de mort par l’amour. Voilà ce qui m’a bouleversé. Je suis probablement assez sentimental, je reste attaché à l’émotion. Je n’en ai pas honte, et je ne vais pas au théâtre que pour être éclairé mais aussi pour être ému. On ne m’a hélas jamais proposé d’aborder l’œuvre de Racine en tant qu’acteur. Je ne m’en suis pas offensé dans la mesure où j’ai appris très tôt que le métier d’acteur consistait essentiellement à accumuler les frustrations. Celle-ci ou une autre, après tout… Par ailleurs, mon cheminement dans le théâtre n’est pas absolument solitaire. Je me sens comme l’héritier d’une vision particulière de la tragédie. Je ne veux pas le revendiquer, je n’en éprouve aucune fierté particulière. Je suppose qu’Irina Brook, de la même façon, est l’héritière d’une réflexion singulière sur le théâtre. Pour ma part, j’ai reçu certains codes de la scène depuis l’enfance, par mon père, par ceux avec qui il a travaillé. Je partage aujourd’hui avec eux un même respect de la langue, de l’écriture, un goût de la simplicité.”

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Tragédie de l’abnégation / Oeuvre du renoncement amoureux

“Le renoncement à l’amour est décrété par Titus avant même que la pièce ne commence. La tragédie nous conduit à travers le parcours qu’effectue Bérénice vers l’abnégation, comment elle l’accepte, comment elle s’y soumet. L’existence de Racine nous éclaire sur cet aspect de son œuvre, en particulier sur Bérénice. Selon sa conception janséniste d’un monde mauvais, Dieu existe mais ne donne aucun signe. L’homme doit admettre Dieu, et renoncer au monde. Titus renonce à vivre pour régner. Il suit une ambition personnelle, il lutte contre sa peur de la mort. En quittant le monde, il devient un personnage tragique. Antiochus, quant à lui, ne renonce pas à l’amour puisqu’il aimera toujours. La pièce s’achève sur son “ Hélas ! ” ; rien ne dit qu’il se soumettra à la demande de Bérénice. Antiochus, me semble-t-il, est le seul individu véritablement suicidaire. Bérénice et Titus parlent du suicide, font un spectacle de leurs menaces. Seul le suicide d’Antiochus est probable. De surcroît, il passerait inaperçu. En cela, il appartient au XXè siècle. Il se déteste lui-même. A chaque instant, dans chaque choix qu’il fait, il se méprise lui-même. Il appartient à un romantisme du début du siècle, il porte une noirceur dostoïevskienne. Il est banalement tragique, pathétique au premier sens du terme. ”

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Loin de l’Orient / Cet ailleurs abstrait

“Ma lecture de la pièce n’en relève aucun écho oriental ou judaïque. Je veux développer la problématique de l’étranger, de celui qui vient d’ailleurs, sans rapprocher la pièce d’une réalité topographique et concrète qui, me semble-t-il, l’éloignerait de l’essentiel.
Racine est formidablement lettré, il parle le grec et le latin sans difficulté, mais en matière de géographie, que connaît-il pratiquement de la Palestine ? Reconstituer le puzzle des régions qu’évoque Bérénice elle-même est d’une grande difficulté. Est-elle reine de Palestine, de Judée ? L’Orient de Racine est avant tout un Ailleurs poétique. Loin d’une vision orientaliste, qui ne semble pas concerner Racine lui-même, je veux évoquer la superposition des cultures opposées, et l’isolement d’un individu n’appartenant à aucune. Je veux raconter la solitude infinie de celle qui se donne et appartient à l’ennemi, tel un trophée de guerre.”

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Bérénice, entre deux guerres / Les années trente

“ Je rapproche la pièce de notre temps pour que les notions du pouvoir et de ses conséquences nous soient moins étrangères, nous paraissent moins lointaines. Pour qu’elles trouvent un écho en nous, spectateurs d’aujourd’hui. L’inscription de Bérénice entre la tradition romaine et la tragédie classique éloigne de nous les enjeux du pouvoirs. L’étau où Titus se trouve pris, même s’il participe de cet enfermement, nous semble d’autant plus concret que le contexte nous est familier, que les circonstances nous sont connues.
L’étrange séduction qu’opère le vainqueur, en l’occurrence Titus sur Bérénice, ne nous est pas étrangère. Cette figure d’un pouvoir fort, exercé sur un peuple dont on pressent l’inquiétude et la fragilité, ne nous est pas inconnue. Un contexte identique régissait l’entre deux guerres des années trente. Une semblable instabilité générale qui a favorisé l’avènement au pouvoir des grandes figures monstrueuses du XXe siècle. Mille raisons historiques nous rattachent à cette période incertaine. Il est par ailleurs curieux d’observer que la figure politique et décisive reste absente. Paulin, confident de Titus, reste dans l’ombre, comme tous les Mazarin, Richelieu, et autres hommes de l’obscurité. ”

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Le vers / La splendeur du verbe racinien

“ Je lisais Bérénice à quinze ans sans en comprendre les enjeux. Je me laissais enivrer par la beauté de la langue, du vers. Comment ne pas tomber à la renverse à son écoute ? Mon travail, aujourd’hui, consiste à ne pas privilégier la forme au détriment du sens, ni le fond aux dépens de la forme. Pour Racine, la forme est un passage obligé, la règle imposée d’un jeu. Je veux respecter cette règle tout en préservant l’action et l’énergie d’une œuvre qui n’est en aucun cas une succession de lamentations. Nous restons très attentifs à la construction du vers, mais nous l’avons suffisamment assimilée pour ne pas nous laisser posséder par la langue. Nous ne voulons la faire entendre ni dans la déclamation ni dans l’abstraction, mais avec rythme, vitalité, vivacité. ”

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L’action / Un thriller dans un mouchoir de poche

“Nous tentons d’imaginer ce que nous pourrions obtenir si nous parvenions à nous défaire du mythe que représentent Racine et la tragédie classique. Les anglais parviennent à cet état d’ignorance, d’objectivité, puisqu’ils abordent le texte par sa traduction. J’ai vu une version de Britannicus dirigée par un metteur en scène anglais, Jonathan Kent, où les enjeux et les caractères étaient présentés avec efficacité, rapidité, dans une merveilleuse agilité. Ce Britannicus était à l’opposé des habitudes théâtrales que je déteste : la vénération du texte, le verbe tout puissant, le formalisme, le maniérisme. Grâce à l’exercice du cinéma, les acteurs ont trouvé les moyens d’exprimer la passion réelle, de l’incarner. Ils ont appris à en exprimer la violence. Nous ne devons pas nier cet apport du jeu cinématographique. Par ailleurs, si Racine s’inscrit dans la tradition littéraire de son époque, sa Bérénice est révolutionnaire dans la mesure où elle présente des personnages doubles, pour le moins. Racine fait état de la violence des passions, des amours destructrices, et sort de la convention cornélienne du héros noble, orgueilleux, entier. Ses protagonistes sont complexes, multiples. En cela, ils sont modernes, et c’est cette modernité qui me trouble.”

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François Regnault / Dramaturge

“Linguiste, spécialiste de la langue du XVIIe, François Regnault nous livre les clés du texte et de son interprétation. Il nous expose les termes de la règle du jeu, ses conventions strictes que nous voulons respecter et restituer tant que peut le supporter une écoute d’aujourd’hui. Nous avons découvert par exemple l’interdiction formelle du hiatus né de l’espace entre deux voyelles. Les mots doivent être liés les uns aux autres, implacablement ; leurs liaisons font entendre la musique des alexandrins. Nous devons approcher la précision des musiciens à la lecture de leur partition, et établir la synthèse entre cette règle de jeu et de la justesse des sentiments humains, des sentiments par nous identifiables. C’est pourquoi nous tentons d’insuffler un rythme particulier, une énergie vive pour restituer l’action et le suspens propres à la pièce.”

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Stéphane Plassier / Plasticien, créateur de l’espace.

“L’abstraction du lieu s’impose. Stéphane Plassier dessine un espace intermédiaire, une antichambre, no man’s land entre l’intimité de la chambre et le monde extérieur. Le lieu, c’est la nuit. Tout se passe ici l’espace d’une nuit au terme de laquelle Bérénice disparaît. Elle avance dans la face cachée des mondes solaires de Phèdre. Cette obscurité tient aussi à la paranoïa de Titus, à sa terreur du monde. La scénographie nous rapproche également des années trente, d’une esthétique architecturale qui doit beaucoup à la symbolique romaine. Là, l’immensité des lieux s’acharne à réduire l’homme à l’état d’insecte. L’espace scénique de Bérénice rappelle l’admiration que cultivaient les fascistes pour cette disproportion entre la grandeur architecturale et la dimension humaine, où l’individu est sacrifié sur l’autel du pouvoir, notion qui écrase tout le monde jusqu’au leader lui-même.”

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Christian Lacroix / Créateur des costumes

“Les costumes restent fidèles au temps singulier des années trente. J’ai demandé à Christian Lacroix de réfléchir à l’idée d’une cour en deuil. Titus impose autour de lui la règle de cette désolation. Il entre dans une phase très austère, et Bérénice le rejoint dans le même renoncement. Les costumes signifient également les divisions qui séparent le monde du pouvoir, représenté par Titus, Paulin, Rutile, et le monde de la cour, incarné par Antiochus, Arcase, Bérénice et Phénice. Les entités de la cour peuvent apparaître sous un aspect mondain, et porter des costumes de soirées, des robes de bal. L’univers du pouvoir, quant à lui, se caractérise davantage par des habits formels, uniformes, plus proches du code d’austérité que dicte Titus."

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Quelques mises en scène de Bérénice

1670 : le 21 novembre, création de Bérénice à l’Hôtel de Bourgogne avec Melle Champmeslé (Bérénice), Floridor (Titus), Champmeslé (Antiochus).
1670 : le 14 décembre, représentation à la cour devant le roi.
1717 : jusqu’à 1730, Adrienne Lecouvreur (Bérénice)
1893 : Mounet-Sully dirige les comédiens, dont Julia Bartet (Bérénice).
1946 : Comédie-Française. Mise en scène Gaston Baty, avec Christiane Carpentier (Bérénice), Jean Yonnel (Titus), André Falcon (Rutile), Louis Seigner (Paulin).
1955 :  Théâtre Marigny, Paris. Mise en scène de Jean-Louis Barrault, avec Marie Bell (Bérénice), Jacques Dacqmine (Titus), Jean-Louis Barrault (Antiochus).
1956 :  Comédie de l’Ouest, Paris. Mise en scène de Hubert Gignoux.
1964 :  Théâtre de l’Athénée, Paris. Mise en scène de Tania Balachova, avec Françoise Spira (Bérénice).
1966 : Villeurbanne, Théâtre de la Cité. M.e.s de R. Planchon, avec F. Bergé (Bérénice), S. Frey et Roger Planchon (Titus), Jean Bouise et Claude Lochy (Rutile),
1981 :  Théâtre des Quartiers d’Ivry, Nanterre Amandiers. M.e.s d’Antoine Vitez, avec M. Marion (Bérénice), P. Romans (Titus), A.Vitez (Antiochus), D. Valadié (Phénice), J-H Anglade (Rutile).
1984 :  Comédie-Française. Mise en scène de Klaus-Michael Grüber, avec Ludmila Mikaël (Bérénice), Richard Fontana (Titus), Marcel Bozonnet (Antiochus).
1989 : TNS Strasbourg, T.E.P. Mise en scène de Jacques Lassalle, avec Nathalie Nell (Bérénice), J.F Sivadier (Titus), Jean-Baptiste Malartre (Antiochus).
1994 : la Métaphore de Lille. Mise en scène de Daniel Mesguich, avec Sandy Boizard (Bérénice), Laurent Natrella (Titus).
2000 :  Festival d’Avignon. Mise en scène de Frédérich Fisbach et Bernardo Montet.
En 2000, Arte a diffusé une version de Bérénice réalisée par Jean-Claude Carrière et Jean-Daniel Verhaeghe, avec Carole Bouquet dans le rôle-titre.

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Spectacle terminé depuis le jeudi 22 novembre 2001

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