“Comment s’est passée ta journée ?”
Un père, une mère, un fils, sa petite amie, une grand-mère. Le père se bat en vain pour ne pas perdre son emploi. Le fils aura bientôt seize ans. Il rencontre sa grand-mère à l’insu de ses parents. Nous suivons quelques jours de leurs existences. Sept fois, nous les retrouverons à table pour le repas.
Telles sont les apparences de Terre natale, une pièce brève de Daniel Keene, un auteur australien né en 1955, récemment reconnu par beaucoup de metteurs en scène en France.
Laurent Gutmann s’arrête sur Terre natale. Il en réalise une première mise en scène pour la Scène nationale de Blois en février 2002. Mais ce sujet le poursuit et il a décidé aujourd’hui de le reprendre, de le recréer chez nous.
Un centre d’intérêt de cette pièce est qu’elle nous confronte à des personnages en butte au langage, chez qui un langage mal maîtrisé, obstacle à l’échange, se fait menace de mise à l’écart. Un langage empêché qui rend problématique notamment la découverte de la sexualité. Et Keene, remarquablement, va créer un vrai langage théâtral à partir de cet empêchement. Quelques mots, quelques pauvres expressions, isolés ou répétés, nous éloignent d’un reflet réaliste du monde, deviennent "parole lyrique" révélatrice. Et la grand-mère est sans doute un personnage fondateur : elle raconte des histoires à son petit-fils, lui montrant ainsi qu’il n’y a pas de construction d’identité possible sans le détour par la fiction, par un autre langage.
Contrairement à beaucoup d’auteurs contemporains pour qui l’apocalypse est pour demain sinon pour ce soir, véritables dramaturges de la catastrophe, Keene, sans aucun sentimentalisme, pense que l’avenir sera ce qu’on en fera : « il y a toujours une frontière à repousser ». Dans Terre natale, chacun des personnages effectue une "révolution", au double sens de remise en question radicale et de parcours. A la fin de la pièce, un univers se reconfigure et, quelle que soit la situation, quelque chose reste à inventer.
Comment traduire le titre original Homeland ? Patrie, Terre natale ? S’agit-il du lieu qui nous a vu naître et que l’on a quitté, de celui que nous avons choisi, de celui que nous trouverons et qui assurera notre identité ?
Comment, dans la mise en scène, éviter les pièges - le contresens - du réalisme conventionnel ? Quel "espace poétique" inventer pour réunir la famille sept fois autour d’un repas, donner à voir l’univers mental d’un fils coincé entre père et mère, favoriser ses rencontres avec la grand-mère "refoulée" par les parents, préserver/exhiber les zones d’intimité, faire apparaître la jeune fille venue d’ailleurs ? Comment enchaîner les vingt-cinq séquences de la pièce sans "faire du cinéma", en toute théâtralité ?
"J'essaye de créer une situation ou un moment qui est d'une certaine manière extrème et qui pousse le langage à l'être aussi. Et il peut être de multiples façons : il peut être lyrique, très cru, vulgaire, violent... Si on considère un discours quotidien et une parole lyrique -disons, la poésie lyrique- je veux pouvoir les cacher l'un dans l'autre et découvrir le lyrisme, ou la beauté, ou la rélle violence dans le langage quotidien." Daniel Keene
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville