Suzanne aux oiseaux

Bord de plateau à l'issue de la représentation du 18 novembre 2022.

• Rencontre inattendue dans un square

Chaque semaine, une vieille dame se rend dans un jardin public et s’assoit sur « son » banc. Un jour, elle y trouve installé un jeune homme perdu. Lui vient de loin et ne parle pas la langue du pays. Elle habite là depuis longtemps et n’a pas la sienne dans sa poche. Chacun est seul au monde ; ils vont s’apprivoiser.

Tirée d’un album jeunesse d’une grande finesse écrit par Marie Tibi et illustré par Célina Guiné, cette histoire pourrait se dérouler aujourd’hui, n’importe où en Europe. La comédienne Emma Lloyd déploie une large palette de jeu pour faire exister le face à face entre ces personnages, en animant deux marionnettes portées très expressives.

Après des spectacles qui décapaient avec humour les contes de notre enfance, en détournant des objets kitch rétro, Scopitone & Cie aborde la marionnette et la fable contemporaine. Pour autant, elle ne cède pas au piège du ton larmoyant et conjugue, au contraire, la gravité des sentiments avec le clown et la comédie. Suzanne aux oiseaux n’est donc pas une chronique sur la situation des adolescents en migration, plutôt une ode feutrée à la simplicité de la rencontre et à notre besoin profond d’attachement.

• Note d'intention

Lorsque mon petit garçon de 8 ans a ramené ce livre de l’école, nous nous sommes pliés à ce délicieux rituel du coucher : lire ensemble une histoire suggérée par la maîtresse, blottis sous la couette (doudous compris !). Seulement voilà, ce soir-là, l’illustration délicate et l’histoire avançant, je me suis sentie rapidement perturbée, au bord des larmes, incapable de continuer à lire... J’ai d’abord tenté de le cacher à mon fils mais il a tout de suite perçu le malaise dans ma voix. Alors, pour le rassurer, je lui ai expliqué que l’histoire était si belle qu’elle m’avait beaucoup émue. Et que les sujets qu’elle aborde me tenaient à cœur :

- la solitude des personnes âgées dans les pays développés où, culturellement, nous ne vivons pas avec nos parents vieillissants ;
- l’image de mon père, comme il se tient seul à sa fenêtre avec ses mains jointes derrière son dos en attendant que j’arrive, et la façon dont il me regarde partir à nouveau quelques heures plus tard ;
- la solitude, toute aussi tragique, de ces jeunes réfugiés désœuvrés et livrés à eux-mêmes, confrontés à une xénophobie que je trouve inacceptable ;
- la  séparation  douloureuse  d’avec  leurs  origines,  que  je  peux  moi-même  percevoir  ayant  quitté  mon  Angleterre  natale il y a quelques années pour m’installer en Bretagne ;
- l’amitié qui rend la vie plus belle, plus supportable, qui nous enrichit, nous libère ;
- le rapport au rejet auquel petits et grands peuvent s’identifier. Quiconque a été victime d’intimidation à l’école (comme je l’ai été) connaît très bien le sentiment d’être impopulaire, un ou une paria ;

Et peut-être qu’après ces temps étranges que nous vivons, nous pouvons espérer que plus de gens comprendront l’effet émotionnel et physique que le confinement peut procurer. Comme Suzanne et Nadim...

Emma Lloyd