
Dans cette pièce emblématique de Samuel Beckett, Alain Françon met en scène une existence suspendue, entre immobilité et flot de paroles. Dominique Valadié interprète Winnie, figure à la fois tragique, drôle et tenace, dans un huis clos poétique et déroutant.
Winnie parle, s’accroche, s’enfonce. Enterrée jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou, elle déroule inlassablement le fil de ses souvenirs, ses rituels, ses illusions de bonheur. Face à elle, Willie, mutique, presque absent.
Dans cette pièce emblématique de Samuel Beckett, Alain Françon met en scène une existence suspendue, entre immobilité et flot de paroles. Dominique Valadié interprète Winnie, figure à la fois tragique, drôle et tenace, dans un huis clos poétique et déroutant.
Après En attendant Godot et Fin de partie, Beckett poursuit plus loin encore sa recherche d’un théâtre ramené à ses éléments fondamentaux et, dans un geste aussi simple que radical, centre Oh les beaux jours sur une apparition saisissante : une femme plantée jusqu’à la taille, puis enfoncée jusqu’au cou, dans la terre, au milieu d’une espèce de désert, exposée à une lumière infernale, sans échappatoire.
Si cette vision peut donner lieu à de nombreuses interprétations, la pièce elle-même n’en privilégie aucune, laissant toute liberté aux spectateurs. Beckett se plaisait à dire qu’il s’agit simplement de la « condition d’existence » de Winnie, qui, et c’est ce qui ajoute à la force d’impression de l’image, l’endure et la surmonte avec détermination, allant, et même grâce, reconnaissante de ces « beaux jours » qu’elle passe là, avec son compagnon Willie, présence réduite mais décisive, parlant parfois et par moments rampant derrière elle.
Oh les beaux jours est une pièce de contrastes, et c’est dans l’acuité de ces contrastes que se loge l’humour sauvage de Beckett. Contraste entre l’enfoncement et l’élévation, la déchéance et la tenue. Contraste entre l’image scénique terrible et la légèreté d’oiseau de Winnie, qui voit autour d’elle tant de choses « merveilleuses ». Contraste entre l’apparence métaphysique de l’image et la dimension extrêmement prosaïque et quotidienne des occupations de Winnie, se lavant les dents, se limant les ongles, se coiffant. Contraste entre l’aspect désolé, désertique de cet environnement et la vitalité qui s’y manifeste sous diverses formes, et notamment dans la parole vive de Winnie, témoin de sa pensée en évolution permanente, et à travers laquelle les différents motifs du texte se tissent, se font écho et se répondent, déployant la pièce comme un poème théâtral.
À l’époque où il l’écrivait, Beckett disait souhaiter « penser le théâtre en dimensions nouvelles », en cherchant simplement à « mettre de la poésie en suspens sur scène ». C’est ce suspens, dans toute sa force d’événement scénique, que donne à voir Oh les beaux jours.
On s’appuie ici notamment sur le travail qu’a mené Beckett sur la pièce lorsqu’il l’a lui-même mise en scène en 1971 à Berlin puis en 1979 à Londres, travail consigné dans son carnet de mise en scène (publié en 1985). Beckett y précise la dimension proprement scénique de son texte plus de vingt ans après l’écriture, vingt années au cours desquelles, comme il l’a dit lui-même, il a développé une connaissance pratique du plateau qui lui manquait auparavant.
Nicolas Doutey, Dramaturge
17, rue René Boulanger 75010 Paris