Loin d'eux est l'histoire tragique, racontée sous la forme de monologues intérieurs, d'un fils parti de la province pour Paris, et qui finit par s'y donner la mort. Le père, Jean, la mère, Marthe, l'oncle Gilbert, la tante Geneviève, la cousine Céline, et Luc, l'autre fils, revisitent chacun à leur tour son parcours et l'énigme de sa disparition.
Roman du deuil, mais aussi de l'adolescence, des " gens de peu " , du rêve d'ailleurs et du mystère des choix, Loin d'eux a imposé d'emblée Laurent Mauvignier comme un auteur à la voix singulière, dont l'écriture est comme une vague qui revient sans cesse, un peu plus haut, un peu plus bas. Une écriture qui ressasse, qui rumine et avance pourtant. Une écriture très visuelle aussi et qui sait faire parler le silence.
Par le Collectif Les Possédés.
La question a été de savoir comment porter sur scène ce texte qui n'y est pas destiné. « La difficulté, c'est l'absence de situations. », explique David Clavel. « Luc, le fils, est statique et mélancolique. Il ne bouge pas intérieurement. Ce qui prime, c'est le mouvement de l'auteur à l'intérieur du texte, pas la situation dramatique ». Aussi, très vite, Rodolphe Dana choisit d'interpréter seul tous les personnages. « J'ai préféré me situer comme Laurent Mauvignier en tant qu'auteur, comme un personnage par qui passent les paroles plutôt que de prendre le dessus sur eux. »
L'écrivain le confirme dans ce choix. L'écriture est dense, l'incarner par des acteurs différents ajouterait du pathos. « Le rapport à la lecture est différent du rapport au plateau. On peut s'arrêter. Le théâtre a forcément lieu dans une durée continue, il faut donc gérer la dramaturgie autrement. Le pathos ne passe pas de la même manière du texte à la scène. » Pour cette raison, il gomme un des monologues et fait disparaître l'histoire de la cousine Céline, miroir de Luc, prise dans les mêmes rêves et dont le mari est mort dans un accident de voiture : « Cela aurait été indigeste ».
Ensuite, il fallait trouver une façon de différencier les personnages, une forme de jeu un peu différente pour chacun, sans artifice cependant : pas de changement de costume, pas de changement physique marqué. « On a travaillé de manière impressionniste, par petites touches, avec quelques détails, un timing, une densité dramatique. Il ne fallait pas imposer une interprétation qui aurait été lourde et redondante mais trouver une façon de tourner une page entre chaque personnage. Trouver aussi une couleur, du relief pour chacun car le danger est d'être uniforme dans la parole. Il faut éviter le systématisme et brouiller parfois les carte », raconte Rodolphe Dana.
Tout tient donc aux regards, à la lumière, à la posture, à l'endroit de la scène où Rodolphe Dana s'installe – sur le côté pour le père, au centre pour la mère, devant pour la tante... L'acteur joue ainsi de ruptures ténues, un déplacement, une posture différente, une voix plus ou moins grave ; des modifications parfois si ténues qu'il arrive qu'on mette quelques secondes à comprendre que c'est un autre personnage qui parle. Comme dans le roman.
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