Les vagues

du 4 au 27 septembre 2019
1h20

Les vagues

CLASSIQUE Terminé

Il y a nous, six. Il y avait Perceval, beau Soleil. Sa mort est comme un trou noir, une béance atomisante. On fait quoi maintenant ? À tout prix, agripper les parois fuyantes d'un monde devenu liquide. À tout prix, ne pas trébucher, ne pas glisser.
  • Entendre les voix intérieures

Sans action ni dialogue, ce livre, qui est moins un roman qu’un long poème en prose – un « play-poem » donne à entendre les voix intérieures de six personnages exprimant, relatant, commentant leur vie, de l’enfance aux prémices de la vieillesse : trois hommes – Bernard, Louis et Neville – et trois femmes – Jinny, Susan et Rhoda. Gravitant autour de la figure énigmatique et presque divinisée d’un septième personnage qui restera, lui, muet, ces six monologues tressés en forme de chœur se relaient et s’entrelacent pour tenter d’élucider, et de retenir désespérément, aussi bien à travers le tamis du langage que dans la contemplation de la na-ture, le mystère de cette vie qui s’écoule, entre je et nous, entre hier et aujourd’hui, entre la conscience et le monde.

  • Note d'intention

Je dis Les Vagues et c’est toute une rêverie aquatique, collective et inconsciente qui se déverse, irrépressiblement se répand, force tranquille mais insatiable. La vie est un long fleuve... Et nous allons tous mourir un jour... Et nos cendres sur l’eau voyageront.... Ajoutez à cela la structure particulière du roman – chaque partie scandée par une interlude poétique sur la course du Soleil, mouvement impérieux s’il en est ! Et pourtant ! Quelle surprise quand on se penche un peu plus près du bord. Le texte, lui ne verse pas dans la rêverie, ses mots gèrent une urgence, ne pas couler. Le paysage textuel des Vagues est en effet d’une solidité trop étonnante. Les personnages n’ont de cesse de toucher, saisir, agripper comme pour résister au flot torrentiel du roman. Tout se passe comme si en mettant des mots aux choses, à l’Autre, je place cette altérité devant moi et peux simultanément exister : « Comme nous sommes assis fièrement autour de cette table, dit Jinny (...) Tout est réel ; tout est ferme ; sans illusions ; sans ombres ; (...) Notre chair est fraîche et ferme. Nos contrastes sont nets et précis comme les ombres des rochers en plein soleil. Des petits pains croquants, durs, vernis sont posés devant nous. La nappe est blanche, et nos mains reposent, à demi fermées, prêtes à se contracter ».

Je dis trop étonnant car ce besoin de solidité n’est pas stable. Quelque chose se meut sous les personnages qui fait évoluer ce besoin en urgence et jusqu’à la folie. Que s’est-il passé ?

Au début du roman, le paysage est celui des limbes et les protagonistes, enfants, semblent évoluer dans un monde en-deçà de toute différenciation ontologique. Le toucher relève de la toute puissance créatrice et les frontières sont poreuses jusqu’à la fusion : « Je suis vert comme un if à l’ombre de la haie. Mes cheveux sont des feuilles. J’ai pris racine au milieu de la terre. Mon corps est une tige (...) ».

Les exemples sont nombreux dans ces premières pages tissées de correspondances baudelairiennes.

Que s’est-il passé alors ? La réponse en un prénom : Perceval. Le drame ? La mort de Perceval. Lui n’est pas comme nous, lui « ne voit rien. Il n’entend rien ». Il y a le groupe, et il y a Perceval, évidemment très beau. Comme un dieu Soleil justement. Son absence dans la première partie du roman est a postériori tout à fait remarquable, éclatante même, à l’image du Soleil qui disparaît dans le rayonnement de son être. Cette absence révèle en creux son omniprésence et son omnipotence. L’oeil qui vous regarde. Une fois de plus, je surprends au détour des Vagues une menace, une violence sourde, profonde comme seules peuvent l’être les eaux.

Cette violence séparatrice propre à tous les grands mythes fondateurs. Une déchirure certes, mais qui malgré tout dessine au corps ses frontières, son existence donc. Perceval était cet astre qui permettait au groupe de se soutenir. Voilà ce qu’est Perceval. La vie et la mort contenues en tout Soleil.

Et c’est bien connu, une étoile ne supporte pas de mourir esseulée. Perceval en mourant laisse son trou noir, une béance dévorante mais surtout atomisante des abîmes de l’espace, retour aux abîmes liquides, aux Vagues justement. La perte de Perceval menace les six personnages de dissolution, d’un retour aux limbes, à la mort. Ne pas glisser, ne pas trébucher. Le toucher tient désormais de la survie. Rhoda aux mille visages nous dit toute la violence des vagues : « Tous les objets palpables m’ont abandonnée. Si je ne par-viens pas à tendre les mains, à toucher, à toucher quelque chose de dur, ma vie se passera à flotter, chassée par le vent le long d’un corridor éternel (...)

Comment retraverser ce gouffre énorme, et saine et sauve, rejoindre mon corps ? ». D’un monde créé, les personnages se retiennent désormais tant bien que mal aux parois fuyantes d’un monde subit.

Ici, l’écho monte en moi d’une résonance forte avec certaines problématiques contemporaines. C’est le sociologue Zygmunt Bauman qui me met la puce à l’oreille quand il aborde le concept de « société liquide ».

Dans un temps de la consommation devenue reine nous dit-il, l’individu et ses relations se précarisent et se fragilisent jusqu’à la dissolution. La menace est protéiforme : isolement, imposteurs avatars. Un moment d’inattention, et tout se dissout, le torrent emporte tout, jusqu’aux contours de mon corps.

Mais je veux croire que l’eau n’emportera pas tout. Je veux croire que Les Vagues sont l’histoire de six enfants de l’eau rebelles opposant une résistance aux eaux morbides de l’indifférenciation. Qu’ensemble, ils remontent la pente d’un monde qu’ils avaient pourtant créé mais sur le point de les digérer. La dernière partie du roman de Woolf n’est pour moi qu’un artifice, une diversion sensée tromper le monstre marin. Nos six personnages sont déjà loin lorsque leur avatar glisse paisiblement et sans sursaut vers sa mort annoncée. Sinon, comment comprendre cette ultime sortie, trop étrangement belliqueuse et pleine de fougue d’un Bernard vieillard : « En moi aussi, la marée monte. La vague se gonfle, elle se recourbe (...) Sous moi, quelques chose se redresse comme le cheval fier que son cavalier éperonne et retient tour à tour. Ô toi, ma monture, quel est l’ennemi que nous voyons s’avancer vers nous (...) C’est la Mort. La Mort est notre ennemi. C’est contre la Mort que je chevauche (...) Invaincu, incapable de demander grâce, c’est contre toi que je m’élance, ô Mort. »

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Spectacle terminé depuis le vendredi 27 septembre 2019

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