Une farce sophistiquée
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J'ai écrit Le Saperleau tout tordu comme si, écrivant, je désapprenais avec une obstination butée le peu de rectitude langagière que l'on m'avait jadis inculquée, pour m'extirper de l'enfance mutique et douillette. Enfance et défiguration de la langue française en quelque sorte.
Si j'essaie d'expliquer mieux, je dirais que cette écriture-là, du Saperleau j'entends, est devenue pour moi un peu comme ces miroirs convexes, ou concaves, tels qu'on en trouvait parfois dans certains grands magasins quand j'étais moutard, ou dans les foires... on pouvait passer des heures à se faire un gros bidon, des toutes petites cannes, un énorme tarbouif, des super biscottos... exetriexetra.
Qui a déjà éprouvé ce plaisir étrangement hilare à déformer irrespectueusement son propre corps comprendra peut-être la lointaine réminiscence que j'en ai trouvé en me servant de l'écriture comme d'un miroir à déformer ce que je croyais être ma langue. Mais il m'importe qu'on sache : j'ai pas fait exprès. C'est la faute que j'ai entendu plus que j'ai lu.
Hélas ! Que de désordre dans ce qui est venu frapper mon pauvre tympan, affolé de tant de parlures diverses : breton du dedans du ventre de ma mère, babil des autres morveux, latin d'église, et cette langue si particulière des gens qui causent dans le poste (Radio-Luxembourg d'abord, puis la télé ensuite) et, dans le désordre : l'anglo-américain des chanteurs de disques, le parler pied-noir d'un copain fils de rapatrié, le parler des dockers du Havre, le parler version doublée des films américains, la sublime emphase rhétorique des discours du général de Gaulle, le Lacan, le cibiste, et tout le reste... Alors, forcément, tout ça, ça remonte, y'a des renvois, ça refoule dès que l'occasion se présente - et moi pauvre apprenti sourcier qui joue à faire des trous dans la coque de mon dictionnaire ! - tu parles si ça s'engouffre, ça te ferait couler grammaire et vocabulaire réunis si on n'y prenait pas garde. J'ai pas dû prendre assez garde.
Gildas Bourdet
Mis en scène en 1982, Le Saperleau a été recréé en 1998 au Théâtre National de Marseille - La Criée. Par ailleurs, Gildas Bourdet présente Raisons de famille de Gérald Hubert au Théâtre Hébertot jusquau 20 mars 2000 et La Main Passe de Georges Feydeau au Théâtre National de Chaillot du 7 janvier au 27 février 2000.
Une farce sophistiquée
Bourdet concasse la langue et ce qui en résulte tient de l'explosion en chaîne du
vocabulaire, de sa déflagration ravageuse. Du dictionnaire il ne reste plus que des
éclats qui surgissent ici et là dans un continuum sonore, presque pour nous révéler ce
qui subsiste de la langue et permettre ainsi à l'auditeur ahuri de s'orienter. Les mots
craquent, gonflent, dérapent dans une véritable jubilation destructrice. Ce qui fascine
ici provient du courage avec lequel Bourdet s'attaque à la langue sans se donner un
principe évident que le public, à l'usage, aurait pu découvrir. L'agression de la
langue ne respecte aucun ordre. Tout tient de la gratuité d'une invention en liberté qui
n'accepte que de charrier, ici et là, des morceaux détachés de notre langue
quotidienne. L'humour surgit de ce qu'ils détonnent dans ce charivari funambulesque.
Cette langue débridée s'alimente de la passion des personnages qui "se lancent des mots à la figure". Mots énormes, froissés, débraillés, emportés par la fougue érotique... Elle agit sur la langue comme une presse de César. On en reconnaît la matière, mais non les formes. La passion l'a laminée.
Georges Banu, septembre 1985
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Je n'ai encore jamais remonté aucun de mes anciens spectacles. J'en ai eu parfois le désir mais je ne m'en suis jamais accordé le temps, pressé que j'étais de passer à autre chose, inquiet aussi qu'ils aient pu mal vieillir - chose courante au théâtre - ou que mes raisons de les remettre en scène ne soient plus aussi fortes. Ainsi ai-je cru Le Saperleau mort et enterré. Mais le bougre éructe encore et, à ma grande surprise, nombre de compagnies amateurs et de jeunes compagnies professionnelles croient nécessaire de l'inscrire à leur répertoire, ce qui ne laisse pas de métonner, D'autre part, depuis que je suis arrivé à Marseille, on me pose rituellement dans le public la question: " Quand allez-vous remonter Le Saperleau ? ". jusque-là, je souriais niaisement et, vaguement flatté, je répondais " Un jour peut-etre qui sait, après tout pourquoi pas?". D'aucuns qui l'ont lu n'y ont bien entendu rien compris et s'en etonnent, "C'est normal", bredouillé-je, "ça n'est pas fait pourêtlu, unpneu comolière, et loivà c'est reparti!! et pis et puite et j'ai fait des enfanteaux de pluie, ils ont envie de savoir aussi keskila dedans la cabesse affabule leur papa d'avant lrap, alorvoiçu j'y va r'tournu au saperlu, faut bien, des fois qu'ça f'rait encore zigomater l'popu Jo, va savoir! En rut pour de zouvelles naventures. Après tout c'est pas pire de que bandannoncer saperdeux l'eau le retour".
Gildas Bourdet, mars1998
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.