L'espace furieux

du 6 au 10 mars 2018
2 heures environ

L'espace furieux

Six êtres de chair malaxent les mots, les culbutent, et jouissent du langage pour mieux dévoiler la condition humaine.
Chez Novarina, la parole est la matière vive. Les répliques surgissent de nulle part, tantôt bouffonnes, tantôt spirituelles. Ici, tel un commando surentraîné à la défense du texte, six êtres de chair malaxent les mots, les culbutent, et jouissent du langage pour mieux dévoiler la condition humaine.
  • Le mot, une arme

Chez Novarina, le langage est la matière vive. Le Vieillard carnatif, Jean Singulier, l’Enfant d’Outrebref et autres figures de cet espace furieux de démesure, parlent à gros bouillon. Étonnés d’être des animaux doués de parole, ils se jettent dans une langue française énergisée, déguisée, réinventée. Ici, pas d’histoire ni de psychologie. Cependant, dans la joie, le jeu et l’irrévérence, des bouffées d’humanité vous envahissent.

Avec Mathilde Delahaye, fraîchement issue de l’École du Théâtre National de Strasbourg, nous savons déjà que le chant et la danse prennent aussi leur part. Le tout est rythmé, limpide et d’une précision à vous nettoyer les oreilles. Tel un commando surentraîné à la défense du texte, six êtres de chair culbutent les mots et les malaxent pour en faire un festin rabelaisien.

L’Espace furieux a été publié en 1997 chez P.O.L.

  • Note d'intention

Envisager les mots comme des fruits historiques et géographiques, nourris de strates enfouies, enracinés dans le mystère de nos grammaires, mais toujours en mouvement et toujours d’abord matière. L’Espace furieux commence par une généalogie ludique et métaphysique de la parole, ce sont deux enfants qui s’interrogent « Qu’est-ce que parler ? », et qu’est-ce que « Je suis » ? Parodie d’un dialogue philosophique, c’est aussi la scène qui est interrogée et le théâtre entier qui est convoqué : l’équivalent moderne du « Qui est là ? » chez Hamlet.

L’Espace furieux est l’espace d’une démesure, celle de la jouissance de la langue parlée, des mots culbutés, renversés, malaxés, dansés et chantés. C’est donc une expérience à laquelle les spectateurs sont conviés, où les figures, car ce ne sont pas ici des personnages au sens classique, se livrent et débordent dans le gros bouillon du langage : c’est un festin de mots. Je veux m’emparer de cette matière-monstre avec une équipe constituée de jeunes acteurs complices de promotion du TNS et d’acteurs plus âgés.

Il s’agit d’éprouver dans cette rencontre le croisement des figures présentes dans le texte (les Enfants d’Outrebref et Traversant, Jean Singulier, et la Figure pauvre, Sosie, le Vieillard Carnatif…). Il s’agit aussi d’ouvrir le spectre des paroles car c’est le métier même de l’acteur qui est interrogé par cette langue, cet étrange animal qui se fait traverser par la parole d’un autre. M’attaquer à cette langue, dont la découverte en 2005 a été décisive dans mon parcours de jeune metteur en scène, est un défi immense et joyeux.

Mathilde Delahaye

  • Extraits

Sosie  : Nous sommes quatre acteurs, contrairement au public : dès que nous avançons, il recule.
L’Enfant d’Outrebref : À ceux que nous ne voyons pas, car ils sont dans le noir, c’est en vain que nous prêtons désormais des yeux.
L’Enfant Traversant : Encore un mot ?
Sosie : Je désire prouver que je suis un animal.
L’Enfant d’Outrebref : Faites-le. Qu’est-ce que tu fais ?
L’Enfant Traversant : Je préfère pas voir cette scène, je sors !

Le Vieillard Carnatif : J’étais clouer de Stop : ma vie se passait à cloudre. À installer des stops, sur des passages de routes, pour que nos piétons traversassent… Activité qui allait bon train… Puis le temps m’est apparu et m’a fui… Puis je me suis aperçu que c’était moi qui étais ici : je ne clouais que des stops, stop sur stop, livrant passage à des camions automobiles livrant camions poubelles, tout ceci, le matin tôt, à Rungy, à Huit, à Action-les-Plâtres. Elles bondiraient à moteur rugissant, si fort que je les entendrais si elles étaient encore là !.. puis elles s’arrêteraient soudain de cesser de bondir… C’est alors qu’on m’a demandé de déremplacer un feu rouge par un vert, en m’habillant moi-même de ce costume orange-marron. Mais le feu vert verdit et toutes les autos partuiiirent, et il n’y avait plus de sécurité ! Et il n’y avait donc plus personne à traverser ici-bas. Alors la suite m’écrasa. Et je mourus cada, tout le long du jour épatant.

  • Entretien avec Mathilde Delahaye

La langue de Novarina peut paraître complexe de prime abord. D’aucuns la qualifient de « novalangue ». Comment les comédiens se sont-ils appropriés ce que vous nommez vous-même une « matière- monstre » ? Sont-ils dans une quête de sens littéral ou de sens figuré ?
Elle est complexe à lire c’est vrai, mais quand elle est parlée, il y a une évidence, on la com- prend intuitivement : ça nous parle fort. Ce n’est pas du tout une langue qui fait appel à notre esprit d’analyse, à notre intelligence ou à notre culture : il y a quelque chose du babil, un rapport primaire, primal, primitif aux mots, une jouissance priapique assez puérile, des mots comme objets bizarres et dont on fait l’expérience physique.

Les acteurs ont travaillé leur texte comme une partition. Il y a un long travail, solitaire d’ailleurs, parce que c’est une cuisine dans laquelle le metteur en scène n’est pas nécessaire. Les acteurs y apprivoisent le souffle, le mouvement de chaque segment, apprennent à le respirer, le font descendre en eux, loin après la compréhension de la tête qui n’est pas forcément centrale. La parole se fait alors fonction du corps plutôt que développement de la pensée.

La dimension intergénérationnelle de la distribution est un élément de votre mise en scène. Pourquoi avoir choisi de faire se rencontrer de jeunes acteurs et des comédiens plus âgés, qui ont de la bouteille ?
J’avais dans l’idée qu’il y ait sur scène le plus grand écart d’âge possible, de « maturité d’outil » comme on dit, de voix et de corps, d’épaisseur de vie aussi, pour faire miroiter toutes les facettes du texte et pour réunir un petit morceau d’humanité. Rien n’est dit sur l’âge des personnages mais il y a quelques indices que j’ai décidé de prendre au pied de la lettre. Les Enfants, par exemple, sont plus théoriques, plus naïfs : ils posent des questions et ne font pas, comme les autres, des récits de vie. Jean Singulier, Sosie et la Figure Pauvre laissent entendre qu’ils ont déjà un peu vécu. Et le Vieillard Carnatif, par son ironie distante, sa sagesse qui ne sait rien, est sans doute le plus âgé. Cela dit, la parole ne se réduit jamais à cette orientation « psychologisante ». Le texte — et c’est sa force — est comme un seul grand fleuve à plusieurs couleurs, à plusieurs embouchures.

Les comédiens paraissent être davantage des porte-paroles que des personnages au sens strict. À défaut de dialoguer entre eux, à qui s’adressent-ils véritablement ?
Ils s’adressent... à nous ! À eux-mêmes ! Aux contemporains qui les écoutent ! Ils sont surtout mus par la parole : telle est l’action qui est à l’œuvre sous nos yeux, et sans tricherie... Il n’y a pas de personnages au sens classique dans les pièces de Novarina, mais des prises de parole diverses et ancrées différemment, comme les instruments d’un orchestre. Il est vrai qu’on ne dialogue pas, il n’y a pas de « situation », pas de conflit ni de passif : ça ne se joue pas là. Finalement, alors que c’est une langue extrêmement orale faite pour les bouches et les corps, quelque chose résiste ou plutôt excède la théâtralité. C’est ce qui est difficile quand on le monte mais c’est aussi ce qui est jouissif.

Nous avons fait le choix, surtout dans la première partie du spectacle, d’identifier les personnages ainsi que leurs rapports entre eux. Il y a le Vieillard Carnatif qui tient un peu le cabaret et les deux Enfants – d’Outrebref et Traversant – qui en sont les ordonnateurs, comme des maîtres loyaux qui annoncent et accueillent les numéros. Et, dans ce cabaret déglingué, trois « fauves » viennent faire un acte de parole, souvent pour dire leur vie : un nœud existentiel. Chacun a des problématiques différentes, des drames de la langue à eux. Nous avons donc choisi de souligner ce qu’il y a de personnage dans les figures. Je sais que Valère Novarina s’inspire beau- coup des acteurs avec qui il travaille dans les répétitions : il s’appuie aussi sur ce qu’ils sont comme personnes et cela déteint dans ses textes. En fait, oui, il y a des personnages ! Non pas dans le sens psychologique mais dans le sens humain, quelque chose qui les singularise, qui traverse leur parole.

Chant, musique et danse sont autant de médiums que vous convoquez pour donner corps à la langue de Novarina. Quels effets produisent-ils sur cette dernière ?
Si l’on prend le texte comme une partition, tous les médiums sont bons pour lui donner corps. La langue de Novarina les appelle pour différentes raisons, mais intrinsèque- ment. Je voulais tirer le fil du carnaval des mots, une ribambelle, un cabaret de la parole. Le chant, la danse et les masques sont venus comme ça. L’engagement physique que demande le texte déborde toujours le simple fait de parler : l’acteur qui dit vraiment cette langue glisse facilement vers le chant, la danse, comme si la langue contenait ce possible, l’exigeait. C’est aussi ce qui lui permet de respirer.

Les parties chantées sont mentionnées dans le texte : elles arrivent un peu comme on retrouve la grève après une plongée sous-marine. C’est Kaspar Tainturier qui a composé la musique à partir des paroles et des didascalies dont nous nous sommes assez vite affranchis par ailleurs. Le chant est un autre état de la parole qui convoque autrement le spectateur, plus directement. Dans notre idée de faire de la première partie du spectacle un cabaret, le chant avait toute sa place, comme un numéro en soi.

La danse quant à elle, a plusieurs statuts. Pour certains moments, c’est une volonté de ma part de poursuivre la partition orale en chorégraphie. Cela s’imposait déjà dans mes sensations de lecture : la parole met en mouvement les corps jusqu’à la danse, laquelle devient une chorégraphie de la parole. Par exemple, nous avons utilisé le Quadrille, une danse de salon du xixe siècle très codifiée et assez mécanique. La rythmique de l’écriture tendait vers ça. Le cabaret l’accueillait naturellement.

D’autres moments dansés sont indiqués dans le texte comme le prolongement des mots, là où le corps peut les compléter. La « danse du néant » de la Figure Pauvre, par exemple, est l’unique moyen qu’elle trouve pour dire « [qu’] elle n’entendait du monde que la chanson du néant ». Souvent, les didascalies indiquent « elle le fait », comme si danser, c’était parfois exactement faire une parole. Par ailleurs, « Furieux » signifie « hors de soi ». On tend toujours vers le bord de la langue, là où ça défaille. Dans la pièce, la prière (sans Dieu !), la musique, le rire, la colère, la liste, la danse sont autant de façons de sortir de soi, de l’ici.

La scénographie est marquée par deux moments très différents. D’où vient cette ambivalence ?
Il y a une didascalie au milieu de la pièce : « Tout est renversé ». À partir de cet indice, nous avons décidé, avec les scénographes, qu’il y avait au centre de la pièce une bascule irréversible, un retournement complet : le passage à un autre état de corps, à un autre espace. Je voulais que l’espace et la musique portent le fil narratif global. La bascule de l’espace métamorphose les personnages, les sens s’ouvrent et chacun trouve son dénouement selon son propre schéma. Celui qui s’est tu parle enfin, celle qui souffrait de l’indicible violence du monde moderne s’en délivre. La colère est mutée en joie sans nom, la parole réopère.

Le cabaret du drame, tenu par le Vieillard Carnatif et les Enfants, laisse place au paysage furieux de la parole, qui est libérée dans un espace plus métaphorique, plus dangereux, plus beckettien. Un espace plutôt géographique que théâtral, « les géographies solennelles des limites humaines » dirait Eluard. Une matière jonche le sol et est versée sporadiquement et mystérieusement « d’en haut », ils en seront bientôt ensevelis. Une cabane de fortune sur laquelle est toujours perché le musicien protège cette communauté de solitudes qui finit en fanfare tremblée.

Propos reccueillis par Aurélien Péroumal

Sélection d’avis du public

L'espace furieux :du grand théâtre exigeant et jouissif Le 21 février 2018 à 18h12

Vu la création à Chalon de cette metteuse en scène brillante qui a su s'entourer d'une troupe de comédiens de choc. Pour les amoureux de la langue et de la liberté exubérante de la parole. Ca décrasse les noneilles !

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L'espace furieux :du grand théâtre exigeant et jouissif Le 21 février 2018 à 18h12

Vu la création à Chalon de cette metteuse en scène brillante qui a su s'entourer d'une troupe de comédiens de choc. Pour les amoureux de la langue et de la liberté exubérante de la parole. Ca décrasse les noneilles !

Informations pratiques

Théâtre de la Cité Internationale

17, boulevard Jourdan 75014 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Librairie/boutique Restaurant
  • RER : Cité Universitaire à 157 m
  • Tram : Cité Universitaire à 32 m
  • Bus : Cité Universitaire à 223 m, Stade Charléty - Porte de Gentilly à 320 m, Jourdan - Montsouris à 358 m
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Plan d’accès

Théâtre de la Cité Internationale
17, boulevard Jourdan 75014 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 10 mars 2018

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