Présentation
Extrait de
"Eugène Labiche" de Philippe Soupault
Extrait de
"La maison Tellier" de Guy de Maupassant
Extrait de
" moi ", dEugène Labiche
- « Ce matin, rue de Lourcine, le cadavre dune jeune charbonnière a
été trouvé horriblement mutilé... »,
- « Cest affreux !... Je reprendrai de lomelette ! »
Dans LAffaire de la rue de Lourcine, Labiche nous ouvre les portes dun monde clos, perclus dans son mobilier, au prise avec ses fantasmes : une sorte de description entomologique de la vie des fourmis. Lenglumé, paisible rentier a découché à linsu de sa femme pour se rendre à un banquet. Il est fort surpris de trouver au réveil, couché dans son propre lit, un individu quil reconnaît comme un des convives de cette soirée. Les deux compères dabord intrigués par les objets hétéroclites quils découvrent dans leurs poches (un soulier de femme, des noyaux de prunes, des cerises, du charbon) saffolent lorsque Madame Lenglumé lit dans le journal quune jeune charbonnière a été assassinée par deux hommes pris de boisson...
Liconographie dEgon Schiele (la pornographie hante la conscience de nos deux bourgeois), les descriptions de maisons closes de Guy de Maupassant, les films de Buster Keaton et de Fatty Arbuckle, les Variations Goldberg de Bach accompagneront notre travail.
" Vous avez raison, écrivait Labiche en 1880 à Léopold Lacour, je me suis adonné presque exclusivement à létude du bourgeois, du philistin ; cet animal offre des ressources sans nombre à qui sait le voir. Il est inépuisable. Cest une perle de bêtise quon peut montrer de toutes les façons " Laffaire de la rue de Lourcine est lhistoire de deux petits bourgeois au prise avec leurs fantasmes, dans un monde malade, soucieux de préserver les apparences, prêt à tout pour y parvenir ; une description entomologique proche du traité de Maeterlinck sur la vie des fourmis. Pour interpréter ces caractères, je souhaite travailler sur le rapport des corps entre eux, sur une " évidence " physique telle que celle de Laurel et Hardy. Le trio Philippe Clévenot (Lenglumé/Giacometti), Hervé Pierre (Mistingue/Ingres) et Christine Murillo (Norine/Rubens) répond à cette préoccupation. Liconographie dEgon Schiele (la pornographie hante la conscience de nos deux bourgeois) les films de Keaton et Fatty, les Variations Goldberg de Bach seront nos références et nos guides dans le travail dinterprétation.
Jean-Baptiste Sastre
18 décembre 1999
Extrait de "Eugène Labiche" de Philippe Soupault
Labiche commença par écrire des farces, puis, à la fin de sa carrière, des comédies. Les farces les plus réussies, si on les considère vraiment comme des farces, sont : Un jeune homme pressé, Edgar et sa bonne, LAffaire de la rue de Lourcine, qui est un chef-duvre (cétait aussi une des pièces préférées par Labiche). Bergson, pensant aux farces de Labiche, les a résumées en déclarant que lauteur " fera que quelques-uns de ces personnages aient quelque chose à dissimuler, soient obligées de sentendre entre eux, jouent une petite comédie va déranger lautre, puis les choses sarrangent et la coïncidence des deux séries se rétablit ".
LAffaire de la rue de Lourcine et les farces types montrent en outre que leur auteur accorde à ses personnages des personnalités ; ce ne sont point des pantins ou des fantoches, mais des hommes entraînés par un courant irrésistible qui les fait se débattre. Cest la force de ce courant qui permet de mesurer la puissance comique. La fantaisie nest quapparente. Les spectateurs apprennent que la destinée domine ces individus. Ce qui les fait rire, cest que ces individus sefforcent de la vaincre et que plus ils se battent, plus ils la provoquent et plus elle exerce sa puissance. Lauteur leur laisse à peine le temps de respirer, de se reprendre. La valeur de ses farces dépend de leur rythme. Jamais aucun écrivain nétait arrivé à imposer à ses uvres cette rapidité du rire.
Philippe Soupault
in Eugène Labiche
Mercure de France 1964
Extrait de "La maison Tellier" de Guy de Maupassant
Enfin la maison Tellier était une ressource, et rarement quelquun manquait au rendez-vous quotidien.
Or, un soir vers la fin du mois de mai, le premier arrivé, M. Poulin, marchand de bois et ancien maire, trouva la porte close. La petite lanterne, derrière son treillage, ne brillait point ; aucun bruit ne sortait du logis, qui semblait mort.
Les deux bourgeois aussitôt senfuirent pour nêtre pas compromis ; mais un léger " psst " les arrêta : cétait M. Tournevau, le saleur de poisson, qui, les ayant reconnus, les hélait. Ils lui dirent la chose, dont il fut dautant plus affecté que lui, marié, père de famille et fort surveillé, ne venait là que le samedi, " securitatis causa ", disait-il, faisant allusion à une mesure de police sanitaire dont le docteur Borde, son ami, lui avait révélé les périodiques retours. Cétait justement son soir et il allait se retrouver ainsi privé pour toute la semaine.
Les trois hommes firent une grand crochet jusquau quai, trouvèrent en route M. Philippe, fils du banquier, un habitué, et M. Pimpesse, le percepteur. Tous ensemble revinrent alors par la rue " aux Juifs " pour essayer une dernière tentative. Mais les matelots exaspérés faisaient le siège de la maison, jetaient des pierres, hurlaient ; et les cinq clients du premier étage, rebroussant chemin le plus vite possible, se mirent à errer par les rues.
Ils rencontrèrent encore M. Dupuis, lagent dassurance, puis M. Vasse, le juge au tribunal de commerce ; et une longue promenade commença qui les conduisit à la jetée dabord. Ils sassirent en ligne sur le parapet de granit et regardèrent moutonner les flots. Lécume, sur la crête des vagues, faisait dans lombre des blancheurs lumineuses, éteintes presque aussitôt quapparues, et le bruit monotone de la mer brisant contre les rochers se prolongeait dans la nuit tout le long de la falaise. Lorsque les tristes promeneurs furent restés là quelque temps, M. Tournevau déclara : " ça nest pas gai. Non certes ", reprit M. Pimpesse ; et ils repartirent à petit pas.
Maupassant
La maison Tellier
Extrait de " moi ", dEugène Labiche
DE LA PORCHERAIE. - Mon ami, laissez-moi vous le dire, vous êtes sur une pente
déplorable
la pente du sacrifice qui illustra Don Quichotte
ARMAND. - Vous en eussiez fait autant à ma place !
DE LA PORCHERAIE. - Oh ! non !
DUTRECY. - Je réponds de lui !
DE LA PORCHERAIE. - Dans les circonstances suprêmes, je songe à moi !
ARMAND. - Comment ?
DE LA PORCHERAIE. - A ce joli petit moi
qui est tout notre
univers
ARMAND. - Quest-ce que cest que votre moi ?
DE LA PORCHERAIE. - Mais cest un composé de tous les organes qui peuvent
mapporter une jouissance
AUBIN, à part, écoutant. - Ils sexprime bien, lami de
Monsieur
DE LA PORCHERAIE. - Cest ma bouche
quand elle savoure une truffe
moelleuse, mes yeux lorsquils se reposent sur une jolie femme
AUBIN, à part, se passionnant. - Oh ! oh !
DE LA PORCHERAIE. - Mon oreille
quand elle mapporte lécho
dun musique
digestive et peu savante
ARMAND. - Eh bien !
et le cur ?
DE LA PORCHERAIE. - Oh ! le cur nest pas de la maison
cest un invité
un noble étranger quil est impossible de jeter à la
porte, malheureusement
Mais quil faut rigoureusement surveiller, sans quoi il
nous ôte le pain de la bouche et jette, par toutes les fenêtres, notre argenterie aux
passants.
ARMAND. - Mon oncle, vous ne dites rien ?
DUTRECY. - Moi ?
je suis indigné !
Quand tu me parleras du
cur
je serai toujours avec toi
contre de La Porcheraie
Oui, le
cur est un noble organe
un présent du ciel !
Nous devons le
laisser régner
DE LA PORCHERAIE. - Mais pas gouverner !
DUTRECY. - Cest un roi constitutionnel
(A Armand) Vois-tu, dans ce
monde
il ne faut pas être égoïste !
mais il faut penser à soi, à sa
fortune, à son bien être
les autres ny penseront pas pour toi,
dabord
AUBIN, à part. - Il a raison, Monsieur
DUTRECY. - Retiens bien cette maxime dun sage
toute la science de la
vie est là : On na pas trop de soi pour penser à soi !
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