
Si Anass Habib se déplace si facilement entre les répertoires et les liturgies, c’est sans doute parce que la musique est sa seule religion véritable. Chants soufis syriens ou chants byzantins, classiques de Fairuz ou chaabi algérien, il se saisit de tout avec la même ardeur. Accompagné de son seul daff, transcendant de sa voix puissante son physique fragile, il donne en partage sa foi en la musique, pardelà les classifications et les croyances.
“Je ne sais pas si j’ai été choisi par la nature ou par le bon Dieu, par les anges ou par le destin, mais je sens que chaque moment de ma vie, je l’ai vécu pour arriver à chanter comme je chante maintenant.”
Né dans la médina de Fès, Anass Habib est le benjamin d’une famille de onze enfants. Une fratrie qui compte sept musiciens, cependant seul Anass, le petit dernier, a osé se lancer dans une carrière musicale professionnelle. Mais n’est-il pas écrit dans la Bible que les derniers seront les premiers ? Le pouvoir de sa voix et de sa présence, il l’a éprouvé dès les fêtes de l’école : “Quand je chantais, tout le monde s’arrêtait. Je sentais que j’étais différent.” Un jour, à la radio, il entend la diva libanaise Fairuz chanter a capella des liturgies maronites. C’est le déclic. À ses parents qui insistent pour qu’il fasse des études “sérieuses”, il concède quatre exténuantes années de littérature anglaise (“C’était comme verser de l’eau sur du sable”), et, le devoir accompli, il explose : hors la musique, rien n’est possible.
Il part terminer son apprentissage auprès des maîtres de musique syriens, dans les conservatoires de Damas, et d’Alep, où il étudie les subtilités de la musique savante : les différents maqâms, les rythmes, les Mouwashahat, les techniques d’improvisation des mawâls… Mais il travaille aussi la musique traditionnelle : la dabkeh libanaise, la taqtouqa, les qoudoud alépins. Dans les villages de Maaloula et de Saydnaya, où les gens parlent encore l’araméen, il va rencontrer les Pères de l’Église syriaque.
“Je leur demandais s’ils voulaient bien m’apprendre leurs chants. Ce n’était pas trop difficile, parce que les modes sont les mêmes que dans le chant arabe classique. En revanche, les rythmes varient, même a capella, donc je retournais les voir de temps en temps pour vérifier mon travail et ne pas faire des bêtises avec le répertoire.”
Insatiable de textes et de mélodies, Anass Habib refuse de se laisser enfermer dans une typologie, dans une religion, dans un univers. Il admire autant Soeur Marie Keyrouz qu’Oum Kalsoum. Il interprète aussi bien les chants médiévaux de l’église espagnole de Montserrat que les poèmes de Mahmoud Darwich, mis en musique par Marcel Khalifé. Tant pis si cela lui vaut d’être rejeté par les puristes et les chapelles.
Anass, lui, cherche la beauté. “L’important, c’est de faire ressortir chaque nuance. D’accéder à ce qui sort des profondeurs de la mélodie ou de la pensée.” Entré en musique comme d’autres en religion, Anass Habib s’explique en une phrase : “Je crois à l’art.”
Place du Jour 75001 Paris