Les solitaires intempestifs

du 15 au 26 janvier 2007

Les solitaires intempestifs

L’audacieux collage de textes d’auteurs du XIXe et du XXe de Jean-Luc Lagarce dresse un portrait de groupe autour des thèmes de l’amour et du couple, un parcours à travers notre époque. De fête en fête, les élans de ces âmes-soeurs éperdues nous mènent du désir au désenchantement, de l’amour à la désunion, sans apitoiement.

Un audacieux collage
Une danse au bord du gouffre…
Notes sur la mise en scène

  • Un audacieux collage

L’audacieux collage de textes d’auteurs du XIXe et du XXe de Jean-Luc Lagarce dresse un portrait de groupe autour des thèmes de l’amour et du couple, un parcours à travers notre époque. De fête en fête, les élans de ces âmes-soeurs éperdues nous mènent du désir au désenchantement, de l’amour à la désunion, sans apitoiement.

"Parfois c’est comme un mélodrame, et puis comme une chanson ou un film ou le souvenir d’un livre qu’on croirait connaître, ou tout simplement le récit des vies que nous pensons avoir vécu." Jean-Luc Lagarce

D’après les textes de : H.P. Roché, Anton Tchekhov, Dorothy Parker, Franz Kafka, Alexandre Dumas fils, H. Mac Coy, F.-Scott Fitzgerald, Jean Eustache, Marguerite Duras, Virginia Woolf, A. Cohen, Gustave Flaubert, Marcel Jouhandeau, Kurt Tucholsky, Peter Handke, Henrick Ibsen, Botho Strauss, David Gascoyne, Stendhal, Hervé Guibert, A. Strindberg, Georges Perec.

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  • Une danse au bord du gouffre…

Terriblement flaubertien dans son désenchantement féroce, le collage tonique et plein d’humour de Jean Luc Lagarce nous amène à poser un regard lucide sur nos amours en miettes et nos vies contradictoires et mitées, quand le temps a dissipé les illusions. Et pourtant, il y a une force obstinée, celle de la vie qui repousse sur les bois qui vieillissent.

Cette danse rythmée par un semblant de cabaret, celle des couples qui s’approchent et se déchirent, toujours pareil, celle des gens où le flux des uns accule et repousse les autres, dans la désinvolture des styles heurtés et « coupés-collés », c’est aussi la matrice incisive, crue et drôle de l’écriture du Pays lointain, des matières sensibles au travail dans le heurt du disparate des styles.

Une fête. On s’apercevra que c’est un mariage. Une jeune femme hystérisée apostrophe les hommes : « riez, faites quelque chose, distrayez les filles ». Années 60. Des êtres se croisent, en mal de rencontre. Les mariés jouent encore à cache-cache dans les bosquets du XIXème siècle. Ainsi perdure longtemps un siècle dans l’autre.

Quelques années plus tard, d’autres couples s’engagent dans l’aventure matrimoniale pendant que les premiers se débattent, enlisés. De fête en fête, le solitaire, en chacun, brame à la cantonnade sa plainte et son désenchantement.Dans les vents d’automne, tout se délite. La vie les pousse comme des esquifs à la dérive vers la fin de siècle. Une femme meurt d’un cancer tandis que l’autre récupère le veuf alcoolique, les autres couples sont toujours au bord du divorce sous le regard lucide d’un enfant qui grandit.

Quelques règlements de compte, un dernier verre, comme une danse au bord du gouffre de cette fin de siècle, à moins que ce ne soit déjà au bord des éclats et des débris urbazins de la violence du siècle naissant.

Josanne Rousseau

Raconter le Monde, ma part misérable et infime du Monde, la part qui me revient, l’écrire... en construire à peine, une fois encore, l’éclair, la dureté, en dire avec lucidité l’évidence. Montrer sur le théâtre la force exacte qui nous saisit parfois, cela, exactement cela, les hommes et les femmes tels qu’ils sont, la beauté et l’horreur de leurs échanges et la mélancolie aussitôt qui les prend lorsque cette beauté et cette horreur se perdent, s’enfuient, et cherchent à se détruire elles-mêmes, effrayées de leurs propres démons. Dire aux autres, s’avancer dans la lumière et redire aux autres, une fois encore, la grâce suspendue de la rencontre, l’arrêt entre deux êtres, l’instant exact de l’amour, la douceur infinie de l’apaisement, tenter de dire à voix basse la pureté parfaite de la Mort à l’œuvre, le refus de la peur, et le hurlement pourtant, soudain, de la haine, le cri, notre panique et notre détresse d’enfant, et se cacher la tête entre les mains, et la lassitude des corps après le désir, la fatigue après la souffrance et l’épuisement après la terreur.

Jean-Luc Lagarce
Du luxe et de l’impuissance, ed. Les Solitaires intempestifs

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  • Notes sur la mise en scène


NOVA
Ce n’est que moi, originaire d’un autre village, pas très différent. Mais soyez-en persuadés, l’esprit de l’ère nouvelle parle en moi et voici ce qu’il a à vous dire. Oui, le danger existe : c’est grâce à lui que je peux parler comme je vais parler : dans la résistance. Aussi, écoutez mon poème dramatique. - ne plus glisser au fil de vos rêves, c’est bien ; mais ne vous réveillez pas les uns les autres en aboyant comme des chiens. Vous n’êtes pas des barbares, et aucun de vous n’est coupable ; dans vos crises de désespoir vous avez peut-être constaté que vous n’êtes pas du tout désespérés. Désespérés, vous seriez morts. On ne peut pas renoncer ; ne jouez donc pas les solitaires intempestifs : car si vous continuez à avoir de l’inclination pour vous-mêmes, ne voyez-vous pas dans l’abandon où vous êtes une lueur des dieux ?

Peter Handke

Pourquoi le choix de ce texte/prétexte, Les solitaires intempestifs, aimé pour sa thématique et son climat sensible, dans notre parcours ? J’ai beaucoup aimé monter des adaptations de romans (F. Gorenstein, deux fois, puis B. Hrabal), pour la fantaisie (phantaisie) qu’elles permettaient. Après quelques pièces explorant notre contemporain sur un mode réaliste (Bled de M. Azama et la Chapelle-en-Brie d’A. Gautré), s’est imposé le recours à ce « coupé/collé » de Lagarce qui appelle plus de désinvolture, une recherche de formes et flirte avec le kitsch pour toucher aux enjeux les plus graves de la vie. C’est ce tiraillement, le manque de sérieux du procédé du collage qui me paraissaient l’invitation à une recherche scénique.

L’enjeu est bien du drame des vies : le désenchantement, la perte, le deuil, le fourvoiement et les chemins perdus. Tout cela se dessine peu à peu en filigrane à travers le portrait d’une génération, une sorte de portrait de groupe, plein d’humour et de mordant, les parcours sensibles d’une génération (historiquement, approximativement celle de 68). Le collage invite à visiter ces vies à travers la dimension du collectif, comme dans Tchekov, Lagarce dit : « une tribu sous la lune… la danse du rut » : organiser ces flux et ces reflux de groupes de personnes, les dilatations et les rétractations dans l’espace, l’éclatement en solitudes. Mettre en scène cette danse, cette sorte de ballet de tous et de chacun. Trouver la chorégraphie des élans, des engouements et des replis ; trouver l’âme sœur chorégraphe…

Personnages, figures, corps, chercher les figures, les postures d’attitudes de vie. Désinvolture de la notion de figure, légèreté du typique. Mais nous souhaitons aussi engager des incarnations, des figures, oscillation selon les moments. Ruptures stylistiques. Toucher au drame des vies, c’est aller vers l’aveu, de la vie, de l’époque, du moment, de son sexe. Le moment où tout peut lâcher, où tout lâche, le moment fragile que l’acteur nourrit de ses propres failles. Laisser affleurer sur le plateau sa fragilité, c’est-à-dire la question de son échec personnel autant que celle du bonheur. C’est à ce prix que ces parcours de vie se rejoignent, viennent nous poinçonner, sans se contenter de nous présenter un album-photos rétro et complaisant. (les années 60, 70, 80…)

Le rapport au monde : mise en perspective de cette problématique de couples en peine avec le monde comme il va : par des inclusions, des fragments, des bribes sonores du récent passé politique et historique, je dis des bribes, parfois, la matière sensible, la voix de De Gaulle comme irruption soudaine, par exemple, et puis images d’actualité projetées… Donner à entendre à la fois un proche passé et des histoires encore au présent.

La scénographie : bien loin encore d’un projet fermement défini. Recherche aux prises avec des retours obsessionnels et envahissants : par exemple les amoncellements du 11 septembre mais aussi des guerres, obsession qui vient rejoindre la problématique pointée par le livre récent de Catherine Naugrette sur le théâtre comme paysage dévasté « waste land ». Cette saga sentimentale d’une génération qui n’a pas connu la guerre est pour moi cernée par les images des guerres d’ailleurs. Cet imaginaire rencontre l’exigence d’une installation plastique sur le plateau tel qu’il est comme lieu réel, ou plutôt produit comme un lieu réel concret, et le retour vers un travail sur des matériaux, dans des lieux originaux, comme l’arte povera italien nous en offre la conception.

J’ai peu fréquenté les images des installations de Kounellis comme un point de départ pour l’imaginaire. Par exemple, à partir d’un usage, pour la fable, de chaises pour ces personnages qui mangent, boivent et chantent dans les fêtes, comment construire ce « paysage dévasté » avec des chaises nécessairement sérielles, ou des lits ou des carcasses de canapés, ou…, j’aime aussi l’idée que tous les objets du quotidien seraient plâtrés (verres, bouteilles…) comme les objets grisâtres sortis des fouilles d’Herculanum. La présence, la série, la carcasse…

Ce ne sont encore que des pistes, des images de référence en travail et en métamorphose. La musique est un élément décisif, Lagarce avait donné à travers les personnages (la chanteuse, un pianiste) une indication de cabaret possible, c’est en tous cas ainsi qu’il a conçu le spectacle qu’il a lui-même tiré de ce collage (1992).

Nous écartant de ce parti, nous avons travaillé un peu sur les chansons comme mode de complicité et de reconnaissance d’un groupe, ainsi, quelques chansons seraient-elles amusement, jeu, nostalgie… et malmenées, c’est l’aspect choral. Et puis le personnage de Solange (Claire Engel) pourrait, selon les situations, donner une dimension plus poétique à travers des échappées dans une musique plus savante, Kurt Weil, mais aussi peut-être Britten, Berio ou Aperghis. Pour le musicien, je pense choisir un clarinettiste (non encore distribué) et peut-être y a-t-il à composer des climats sensibles qui reprennent et ponctuent ce qui se joue.

Il reste que, pour guider ce travail, il faut mettre tout ce projet, ce disparate, ces textes qui ne sont pas de Lagarce, sous le signe de l’esprit artistique, de la sensibilité de Lagarce et de son écriture même qui se cherche et se trame dans les pas des autres, nous qui avons lu et vu beaucoup de ses travaux. Enfin, un enjeu global, qui n’est pas le moindre, est aussi de réfléchir à la paternité de Handke, qui a inspiré à Lagarce le titre de ce projet de spectacle, « les solitaires intempestifs » (voir citation en exergue), avant qu’il ne devienne l’enseigne d’un projet éditorial.

Josanne Rousseau

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Spectacle terminé depuis le vendredi 26 janvier 2007

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