Le Père Goriot

du 19 avril au 29 mai 2016
1h15

Le Père Goriot

Frédérique Lazarini offre un théâtre à ce roman-fleuve et l’inscrit dans un espace qui évoque autant les tréteaux de la commedia dell’arte que les castelets lyonnais
Frédérique Lazarini offre un théâtre à ce roman-fleuve et l’inscrit dans un espace qui évoque autant les tréteaux de la commedia dell’arte que les castelets lyonnais, les marionnettes ayant laissé place à trois comédiens, parfois masqués, qui passent d’un rôle à un autre aussi rondement que se succèdent les tableaux.
  • Jeu de masques

Comment adapter au théâtre cette totalité balzacienne ? Une revendication assumée de dépouillement nous a fait prendre le contrepied d’une « grande production » attendue, dynamitant ainsi l’aspect « fleuve », naturaliste, de l’histoire. Partir du plus petit (le castelet de marionnettes) pour évoquer l’immense oeuvre balzacienne, c’est aussi un choix poétique, qui nous a conduits à nous imposer un code rigoureux et ludique : 3 hommes comédiens prennent en charge tous les personnages (masculins et féminins grâce à des masques).

Nous mettons ainsi à distance le « monstrueusement triste » de l’histoire, car on ne peut s’en tenir strictement au mélodrame social qu’est Le Père Goriot. Ce qui ne nous fait pas pour autant refuser l’émotion, bien au contraire.

Autant donner la note : comme dans le théâtre élisabéthain, la théâtralité est affichée. Le travestissement, le masque, la délimitation de l’espace sont autant de ruses et de citations pour exalter les sentiments forts, les plaies de l’âme, tout en tenant le récit à distance. Bien sûr, on ne peut traduire le monde balzacien en 1h15 de représentation théâtrale. Il s’agit d’en extirper un fil ténu, une simple ligne (ici, celle de la paternité, d’une filiation d’adoption). Il s’agit d’insister sur la complexité, et la contradiction intérieure d’un jeune homme rongé par son arrivisme forcené, et en même temps illuminé de l’intérieur par son empathie avec le Père Goriot, ce vieil homme mal aimé : « une tempête sous un crâne », dirait Hugo.

A ce choc des contraires, que vit le personnage de Rastignac, répond un autre choc, esthétique celui-là, entre une écriture romanesque liée à un monde quasi réel, et un traitement théâtral qui se réfère au théâtre de poupées.

Frédérique Lazarini

Par la Compagnie Minuit Zéro Une. Distribution en alternance.

  • Un roman fleuve de Balzac…

Le Père Goriot est le roman avec lequel Balzac inaugure le principe du retour des personnages, procédé qui donne une profondeur et une densité considérables à l’ensemble de l’oeuvre et fonde ainsi La Comédie Humaine. Certains des personnages de ce roman sont parmi les plus « récurrents » (Rastignac, Bianchon, Nucingen …), mais Goriot, lui, s’épuise dans ce seul roman, sans espoir de retour, pourrait-on dire.

Le roman de Balzac traite de thèmes multiples : la puissance de l’argent dans un monde corrompu, la tentation de l’amour intéressé (la Baronne de Nucingen), la fascination du mal (Vautrin), dans la société parisienne de l’époque.

Dans ce roman, qui « emprunte à la tragédie sa structure (chacun des principaux protagonistes a son acte), […] Rastignac parcourt la société parisienne au cours d’un voyage social qui nous présente un monde disloqué, où l’individu doit conquérir son destin ». (Gérard Gengembre, l’ABCdaire de Balzac).

  • …adapté pour trois comédiens

Didier Lesour en a réalisé l’adaptation dont l’angle d’approche privilégiera deux thèmes principaux…

C'est d'abord celui de l'ambition (plus tard repris dans le cycle Vautrin-Rubempré), avec la période de formation du jeune Rastignac et sa célèbre apostrophe à Paris qui clôt le roman : «A nous deux maintenant !». « Et n’est-ce pas là le mot d’ordre de ces jeunes gens qui se préparent une belle destinée en calculant déjà la portée de leurs études, et les adaptant par avance au mouvement futur de la société pour être les premiers à la pressurer. Combien de Rastignac à HEC, à l’ENA, parmi les traders des grandes banques qui jonglent avec des centaines de millions d’euros ? » (Max Gallo. Préface au Père Goriot)

C'est aussi celui de la paternité (le père Goriot), et notre lecture du roman va privilégier cette trame du rapport filial. La paternité est un thème extrêmement fréquent dans l'oeuvre balzacienne (d'Eugénie Grandet à La Vendetta en passant par Beatrix ou Splendeurs et Misères des Courtisanes...), mais qui culmine dans Le Père Goriot, où la générosité absolue de Goriot (sorte de " père-pélican " ) par rapport à ses filles, qui le dépouillent sans merci, contraste avec la relation d'abandon et de non-reconnaissance vécue par Victorine Taillefer de la part de son père, et où le rapport filial de Rastignac à sa mère et au père Goriot lui-même (sorte de " beaupère " d'élection-substitution !) contraste avec la relation (très ambiguë !) de Vautrin à ce même Rastignac. La paternité, on le voit, déploie ici un spectre particulièrement riche : on trouve là matière à un travail susceptible d'intéresser tout spécialement les adolescents.

  • Honoré de Balzac

« Un démiurge », « un titan », « un forçat des lettres » : tous les superlatifs ont été convoqués pour qualifier l’homme autant que l’écrivain. Et, en effet, une oeuvre gigantesque a été édifiée en un temps record par un homme aux activités multiples (et souvent hasardeuses) qu’il entreprendra jusqu’à la fin de sa courte vie. Balzac, c’est aussi les 40 tasses de café par jour, la porte dérobée de sa maison pour échapper à ses créanciers, les oeuvres plusieurs fois vendues à des éditeurs différents, le mariage et la mort, trois mois plus tard, au terme d’un terrible voyage. La robe de chambre et la statue de Rodin.

Mais aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’une oeuvre écrite il y a plus de 150 ans a encore à nous dire ? Ce Balzac, ce lion, ce capitaine d’industrie nous parle-til encore ? Et d’abord, de quoi parle-t-il ? D’une société où l’argent est roi et l’ambition le moteur essentiel, une société gangrenée par les affaires, où les « héros » les plus audacieux sont des bandits avérés. C’est l’époque cynique du développement débridé du capitalisme et des débuts de l’expansion coloniale « Enrichissez-vous ! » était le mot d’ordre officiel. Eh bien cette époque, n’est-ce pas la nôtre ? Ces sentiments qu’il nous dépeint, ces motivations qu’il nous exhibe, ne sont-ce pas les nôtres ?

Alors, certes, Balzac nous décrit une société de son temps, avec une précision réaliste d’autant plus étonnante qu’elle était en contradiction avec ses idées politiques personnelles : l’homme aux convictions réactionnaires avait une vision artistique progressiste.

Mais au-delà de ce « témoignage », dont la contradiction a fasciné les critiques marxistes du 20eme siècle, c’est surtout le miroir qu’il nous tend qui nous fascinera aujourd’hui. Dans un miroir se reflètent toujours deux mondes : le monde extérieur que le reflet a capturé, et la personne même qui tient le miroir. Proust le disait : une oeuvre d’art est un prisme à travers lequel le lecteur se découvre, et qui lui permet de voir en lui-même. Alors oui, « on a tous en nous quelque chose de… » Balzac !

  • Balzac : un style ?

Il y a, dans le Père Goriot comme dans toute l’oeuvre de Balzac, schématiquement, trois registres d’écriture :

Les descriptions : amples, détaillées, pittoresques. Celle de la pension Vauquer qui ouvre Le Père Goriot peut servir de modèle canonique du genre chez Balzac.

« Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis ; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet ; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d’église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s’est blottie la spéculation et dont madame Vauquer respire l’air chaudement fétide sans en être écoeurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d’automne, ses yeux ridés, dont l’expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l’amer renfrognement de l’escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans l’argousin, vous n’imagineriez pas l’un sans l ’autre. L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d’un hôpital. Son jupon de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s’échappe par les fentes de l ’étoffe lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. »

Dans une adaptation au théâtre, on peut considérer ces descriptions comme de très longues didascalies.

Les dialogues : leur « théâtralité » n’est pas la même d’un roman à l’autre, chez Balzac. Dans Le Père Goriot, ils sont directement aptes à la profération scénique, se « mettent en bouche » sans difficulté, constitués qu’ils sont de phrases courtes au vocabulaire volontairement pauvre (comme chez Racine !) et à la tournure presque quotidienne :

VAUTRIN Voilà maman Vauquerrrrre belle comme un astrrrre, ficelée comme une carotte. N’étouffons-nous pas un petit brin ? (lui tâtant les seins) Les avant-coeurs sont bien pressés, maman. Si nous pleurons, il y aura explosion ; mais je ramasserai les débris avec un soin d’antiquaire.

Mme VAUQUER Monsieur Vautrin ! (a parte) Il connaît le langage de la galanterie française, celui-là ! Aurait-il des intentions relatives à ma personne ?

Les généralisations : souvent ahurissantes, où son réalisme se perd dans les assertions hasardeuses de la physiognomonie de Lavater.

La taille ronde est un signe de force, mais les femmes ainsi construites sont impérieuses, volontaires, plus voluptueuses que tendres. Au contraire, les femmes à taille plate sont dévouées, pleines de finesse, enclines à la mélancolie ; elles sont mieux femmes que les autres. La taille plate est souple et molle, la taille ronde est inflexible et jalouse. (Mme. de Morsauf, dans Le Lys dans la Vallée)

Dans ces errances, on voit se profiler l’avenir d’un certain système de pensée (les théories racistes) impulsé par Gobineau. Ce n’est pas, on s’en doute, ce troisième niveau que nous avons privilégié dans l’adaptation que nous avons faite du roman.

Sélection d’avis du public

Bel appel à la découverte du grand Balzac et à la lecture du Père Goriot Par Alfred B. - 25 avril 2016 à 08h55

Avec de très sobres moyens , mais avec beaucoup d'invention et une grande inspiration , les trois Comédiens parviennent à restituer dans des séquences bien enchaînées un " Digest " de ce roman très riche d' Honoré de balzac , sans le caricaturer . Le jeu des acteurs et la mise en scène sont très suggestifs .L'idée inattendue des rôles masqués est un bon moyen d'adoucir le côté dramatique de lapièce en luiapportant une touche de cocasserie assez subtile pour ne pas être déplacée ? C'est un très beau spectacle . Le jeu des acteurs , particulièrement le Père Goriot , passe bien la rampe . Un grand Bravo à cette équipe

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Bel appel à la découverte du grand Balzac et à la lecture du Père Goriot Par Alfred B. (4 avis) - 25 avril 2016 à 08h55

Avec de très sobres moyens , mais avec beaucoup d'invention et une grande inspiration , les trois Comédiens parviennent à restituer dans des séquences bien enchaînées un " Digest " de ce roman très riche d' Honoré de balzac , sans le caricaturer . Le jeu des acteurs et la mise en scène sont très suggestifs .L'idée inattendue des rôles masqués est un bon moyen d'adoucir le côté dramatique de lapièce en luiapportant une touche de cocasserie assez subtile pour ne pas être déplacée ? C'est un très beau spectacle . Le jeu des acteurs , particulièrement le Père Goriot , passe bien la rampe . Un grand Bravo à cette équipe

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